Un nouveau médicament contre les insomnies chroniques

Dernière mise à jour 13/09/22 | Article
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Moins de somnolence diurne, pas d’accoutumance, le daridorexant, développé par un laboratoire suisse, ouvre-t-il une nouvelle ère pour le traitement des insomnies?

Des remèdes naturels efficaces?

Les vertus de la valériane sont vantées de longue date: «Des effets bénéfiques sont observés, cependant on sait que l’effet placebo est très important quand il s’agit d’insomnie, relève Raphaël Heinzer, médecin-chef et directeur du Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil du CHUV. Mais tant que les produits consommés ne sont pas dangereux, tant mieux s’ils apportent un bénéfice aux patients.» La mélatonine de synthèse, qui mime l’effet de l’hormone produite par le cerveau, peut être utile notamment chez les adolescents et les adultes de plus de 55 ans. «Cette molécule ne provoque pas d’accoutumance et peu de somnolence diurne, précise Stephen Perrig, neurologue-somnologue au Centre de médecine du sommeil des HUG. Pour ceux qui ont des troubles du sommeil plutôt sur la deuxième partie de la nuit, les formes dites "retard" sont particulièrement intéressantes.» Les troubles du sommeil sont une plainte fréquente et représentent un marché très lucratif. Il convient donc de rester prudent face aux promesses alléchantes de certains produits en vente libre, en particulier sur internet.

Depuis le printemps dernier, le Quviviq® développé par le laboratoire suisse Idorsia a bénéficié d’une campagne de communication de taille, bien qu’il ne soit pas encore commercialisé en Suisse. «J’ai des patients qui ont fait des recherches sur internet et m’ont déjà demandé s’il était possible de s’en procurer», illustre le Dr Stephen Perrig, neurologue-somnologue au Centre de médecine du sommeil des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Si le Quviviq fait tant parler de lui, c’est qu’il offre une approche différente des autres médicaments utilisés pour les troubles du sommeil, avec à la clé moins d’effets secondaires en journée et pas de risque de dépendance. De quoi susciter l’intérêt des personnes dont le sommeil est perturbé. Et elles sont nombreuses:  5 à 10% des habitants des pays occidentaux souffriraient d’insomnie. 

Essais cliniques sur 1800 personnes

«Alors que les benzodiazépines et les antidépresseurs sédatifs ciblent les processus neuronaux impliqués dans le sommeil, le daridorexant, principe actif du Quviviq, agit, lui, sur les circuits de la vigilance. Il se fixe sur les récepteurs de l’orexine, un neurotransmetteur impliqué dans l’éveil. En bloquant son action, le daridorexant favorise le sommeil», explique le Pr Raphaël Heinzer, médecin-chef et directeur du Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Ce mode d’action est proche de deux autres molécules, le suvorexant et le lemborexant, qui ne sont disponibles qu’aux États-Unis, au Japon et en Australie. «Beaucoup de patients insomniaques se plaignent d’hypervigilance, cette approche semble donc intéressante», commente Stephen Perrig, qui relève cependant quelques limites dans les deux essais cliniques menés sur un peu plus de 1800 personnes et publiés dans la revue médicale The Lancet Neurology1.

L’efficacité du médicament a été évaluée, contre un placebo, en utilisant des paramètres mesurés durant des enregistrements du sommeil en laboratoire (polysomnographie), avant et après trois mois de traitement. «Ce sont des paramètres très objectifs, mais l’insomnie est au contraire quelque chose de très subjectif: un paramètre peut être amélioré sans que le patient ne perçoive un quelconque mieux et inversement», explique Stephen Perrig. Les chercheurs ont cependant aussi évalué le ressenti des patients grâce à un auto-questionnaire. «C’est un test qui a été créé pour cet essai clinique et donc qui n’a pas été utilisé pour évaluer d’autres thérapies, difficile donc de comparer sa pertinence», objecte le médecin. Dans un commentaire publié dans The Lancet Neurology2, des médecins des universités de Freiburg (Allemagne) et Oxford (Royaume-Uni) soulignent aussi que les items choisis dans ce questionnaire correspondent plus à une évaluation de la fatigue que de la somnolence. Les données montrent aussi que si les paramètres mesurés sont améliorés chez les patients qui ont reçu le daridorexant, la différence avec les patients recevant le placebo est mince. 

Thérapie cognitivo-comportementale

«Même s’ils sont beaucoup prescrits, il est important de rappeler que les médicaments ne sont pas le traitement de première ligne contre l’insomnie. Le traitement de référence, c’est la thérapie cognitivo-comportementale (TCC)», insiste Raphaël Heinzer. Si l’insomnie débute souvent à l’occasion d’une perturbation extérieure (stress au travail, divorce, accident, etc.), elle est ensuite fréquemment auto-entretenue par des comportements dont le patient n’a pas toujours conscience et qu’il doit désapprendre. Le chemin pour retrouver des nuits paisibles est parfois surprenant. «Certains patients font l’erreur de se coucher trop tôt en espérant que le sommeil vienne plus facilement. Nous leur demandons au contraire de se coucher plus tard et de se lever plus tôt afin de limiter le temps passé au lit. Après quelques jours et une petite dette de sommeil, ils retrouvent du plaisir à se mettre au lit et s’endorment avec plus de facilité», explique le médecin. 

L’insomnie n’est pas une fatalité et il est souvent possible de retrouver un sommeil satisfaisant. Cependant, les rechutes ne sont pas rares, préviennent les spécialistes. La TCC permet d’identifier les drapeaux rouges qui doivent alerter le patient afin qu’il reprenne les outils acquis au cours de la thérapie. «Face à un stress ponctuel et pour éviter de retomber dans un nouveau cercle vicieux, disposer d’un "joker médicamenteux" bien toléré comme le daridorexant pourrait être un plus», suggère Stephen Perrig, qui souligne la nécessité d’évaluations cliniques pour ce type de combinaisons thérapeutiques.

La prévention dès l’adolescence

Beaucoup d’adolescents connaissent un décalage physiologique du rythme veille-sommeil qui se manifeste par des couchers et des levers plus tardifs. L’usage des smartphones en soirée peut aussi créer, ou aggraver, ce type de décalage. L’adolescence est aussi le moment où la pression scolaire s’intensifie et où le stress peut commencer à se manifester par un sommeil troublé. «Les adultes insomniaques rapportent souvent avoir eu des problèmes de sommeil dès leur adolescence», constate le Dr Stephen Perrig, neurologue-somnologue au Centre de médecine du sommeil des HUG. Cette période est donc un moment clé pour acquérir les bons réflexes pour un sommeil de qualité. «Pour sensibiliser les adolescents, nous avons initié un "sleep week challenge" dans quelques classes pilotes», explique le Pr Raphaël Heinzer, médecin-chef et directeur du Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil du CHUV. «L’objectif est de leur faire observer le poids de certains comportements sur leur sommeil et les bénéfices d’un meilleur sommeil sur leur qualité de vie.» Après avoir tenu un journal de sommeil pendant une semaine, les adolescents ont été invités à suivre durant une semaine des conseils pour une meilleure hygiène du sommeil, notamment l’arrêt des smartphones à 20h. Beaucoup ont rapporté un sommeil de meilleur qualité et constaté passer de meilleures journées.

________

1. https://www.thelancet.com/journals/laneur/article/PIIS1474-4422(21)00436-1/fulltext 

2. https://www.thelancet.com/journals/laneur/article/PIIS1474-4422(22)00007-2/fulltext

Paru dans Le Matin Dimanche le 04/09/2022

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