En hiver, les virus ont plus de chances d’infecter vos poumons
De quoi on parle
Le froid est-il, ou non, responsable des infections respiratoires? Chaque année à la même époque, le débat rebondit. Il est à nouveau alimenté par le Français Maël Lemoine, philosophe des sciences médicales, qui vient de publier Petite philosophie du rhume aux éditions Hermann. Il y défend l’idée que si cette affection est fréquente en hiver, il s’agit surtout d’une coïncidence et que les basses températures n’y sont pour rien.
Cette fois, l’hiver s’est installé. Le rhume nous pend au nez, mais aussi la grippe, la bronchite, voire la bronchopneumonie ou la pneumonie. Pendant la saison froide, «30% de la population contracte une infection respiratoire», selon Laurent Nicod, médecin chef du Service de pneumologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
Toutes ces maladies sont dues à des virus. Il en existe une kyrielle –rien que pour le rhume, on estime qu’ils seraient environ deux cents– appartenant à différentes familles. Certains sont très contagieux, comme celui de la grippe, d’autres très fréquents, comme les rhinovirus responsables des rhumes, d’autres encore, tels les coronavirus, sont beaucoup plus rares, mais très agressifs (c’est le cas du coronavirus qui a provoqué une épidémie de SRAS, le syndrome respiratoire aigu sévère, en 2003 en Chine).
Ces différents pathogènes se transmettent d’un individu à l’autre par voie aérienne, via des gouttelettes que l’on émet quand on tousse ou quand on parle par exemple. Or, lorsqu’il fait froid, nous vivons calfeutrés, ce qui favorise la promiscuité, donc la contagion. D’ailleurs, «dans les pays occidentaux, on observe un pic des épidémies à Noël, au moment où les familles se retrouvent», constate le médecin du CHUV. Les enfants sont aussi plus menacés que les adultes, car à la crèche, à l’école ou ailleurs, ils sont en contact étroit les uns avec les autres, ce qui facilite la transmission des pathogènes. Pour tomber malade, «il ne suffit pas de côtoyer des virus, il faut aussi en inhaler une certaine quantité, précise le spécialiste. S’il y en a peu, nos défenses naturelles parviennent à les éliminer.»
Muqueuses asséchées
L’infection nécessite l’interaction de deux partenaires. Si les virus sont les fauteurs de troubles, les méfaits qu’ils provoquent dépendent de leur hôte et de son état général.
Or, les basses températures ont divers effets sur notre organisme. L’air froid et sec assèche les muqueuses qui constituent «notre première barrière de défense contre les infections respiratoires», souligne Laurent Nicod. Ces tissus, qui tapissent l’intérieur du nez et des bronches, abritent en effet des composants du système immunitaire –des défensines, «qui sont des sortes d’antibiotiques naturels», et des immunoglobulines A (IgA)– dont le rôle protecteur se trouve probablement amoindri. En outre, le froid peut léser les muqueuses, ce qui permet aux virus d’y pénétrer plus facilement. C’est pour cette raison que les fumeurs, dont les membranes internes sont endommagées, «ont deux à trois fois plus de bronchites et de pneumonies que les autres», précise le spécialiste. A contrario, des personnes dont «l’appareil muco-ciliaire (NDLR - comprenant le mucus venant des glandes des muqueuses et les cils qui éliminent les pathogènes et les cellules inflammatoires) est en bon état de fonctionnement, ont moins de risques d’avoir des infections respiratoires, quelles que soient les conditions météorologiques, et même si elles sont en contact avec des individus infectés».
Ces germes qui nous protègent
Un autre élément important intervient: le microbiote pulmonaire (lire encadré). «Jusqu’en 2010, on pensait que les poumons étaient stériles, constate le médecin du CHUV. On sait aujourd’hui que ce n’est pas le cas». Comme les intestins, cet organe est colonisé par des bactéries, des virus et des champignons qui semblent nous protéger des infections. Ils occupent la place et empêchent les pathogènes de s’installer dans notre organisme.
Il est maintenant aussi établi que la bonne santé de nos poumons est, entre autres choses, liée à l’équilibre qui s’est établi entre les différentes familles de microorganismes qui le peuplent. Lorsque nous prenons froid, il est probable que certains germes prolifèrent plus vite que les autres. Il est aussi possible, ajoute Laurent Nicod, «que notre système immunitaire lutte moins bien contre certaines souches, notamment contre des virus pathogènes dont nous sommes tous porteurs et qui reprennent alors le dessus».
Ce ne sont encore que des hypothèses. Quoi qu’il en soit, le pneumologue recommande «de ne pas perdre de vue le sens commun» et, quand la température chute, «de bien se vêtir et d’emmitoufler les enfants, afin d’éviter qu’ils prennent froid». Comme nous le recommandaient nos grands-mères.
Le microbiote pulmonaire
Depuis des lustres, on sait que nos intestins sont peuplés d’un ensemble de germes inoffensifs –bactéries, virus et champignons– qui constituent la flore intestinale, ce que l’on nomme maintenant le microbiote. Mais ce n’est que récemment que l’on a découvert que les mêmes microorganismes colonisaient aussi l’estomac, le nez, la bouche, les bronches et les poumons. Toutefois, leur diversité varie d’un organe à l’autre: telle famille de bactéries, prépondérante dans l’intestin, est faiblement représentée dans les poumons, chaque organe constituant pour les différentes populations de germes «un écosystème dans lequel elles trouvent leur équilibre», précise Laurent Nicod, médecin chef du Service de pneumologie du CHUV.
Les nouveau-nés acquièrent ces micro-organismes à la naissance et dans les mois qui suivent. Dans les poumons des souris, «les germes sont au départ peu nombreux et peu variés. Mais au bout de soixante jours, les six grandes classes de bactéries sont représentées et un certain équilibre s’établit entre elles», explique le médecin. Il y a tout lieu de penser qu’il en est de même pour les être humains. Pour le confirmer, des chercheurs du CHUV, en collaboration avec des collègues suédois et australiens, ont lancé une étude visant à analyser l’évolution du microbiote d’enfants entre leur naissance et l’âge de 5 ans.
Par ailleurs, en étudiant l’allergie aux poussières chez des souris, des chercheurs du CHUV et leurs collègues australiens ont constaté que la nourriture influence la santé du système respiratoire. Les aliments ingérés ont une grande influence sur la composition des bactéries du microbiote intestinal «qu’elles modifient en quelques jours». Or, par leur métabolisme, ces germes libèrent des substances qui passent dans le sang et dont les effets biologiques se font ressentir jusque dans les poumons. «Lorsqu’ils sont exposés à des poussières, les rongeurs ayant reçu un régime riche en fibres ont une inflammation des poumons réduite et produisent moins de mucus dans leurs bronches». Une alimentation équilibrée est donc conseillée pour préserver nos poumons, non seulement des allergies, mais aussi des infections hivernales.
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Paru dans Le Matin Dimanche du 17/12/2017.
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