Le bébé: un cauchemar pour le couple?
Les études scientifiques autour de la famille se sont longtemps centrées sur le lien mère-enfant. Mais, depuis quelques années, les chercheurs s’intéressent de plus en plus à la transition du couple vers la parentalité. Nicolas Favez, psychologue et professeur à l’Université de Genève, nous en dit plus sur cette étape aussi heureuse que vertigineuse.
En quoi la naissance d’un enfant renforce-t-elle les liens familiaux et rend heureux?
Un tel événement renforce les liens d’abord parce que le fait d’avoir un enfant est un projet pour la majorité des couples (plus de 80% d’entre eux). Ce désir répond très souvent à une attente familiale, parentale et sociale forte. En devenant parent, on concrétise ces attentes et on pérennise la famille. Sur le plan individuel, pour certains, devenir père ou mère vient renforcer le sentiment d’être un homme ou une femme. Aussi, cela fait partie des choses de la vie qu’on souhaite réaliser, au même titre que l’accomplissement professionnel, dans des mesures qui sont propres à chacun. Mais, il y a un avant et un après.
Qu’est-ce que l’arrivée d’un bébé implique pour le couple?
Avant l’arrivée d’un enfant, le couple est centré sur un fonctionnement à deux. Mais lorsque l’enfant paraît, le couple soudain se dédouble. La relation, qui n’était jusqu’alors que maritale ou conjugale, devient co-parentale. L’autre n’est plus seulement un partenaire affectif, sexuel, intellectuel, mais il est aussi un parent. Il s’agit d’un changement magistral, tant sur le plan symbolique que pratique. D’abord, le couple a soudain beaucoup moins de temps pour les activités communes. Aussi, la difficulté d’être parent et l’attachement qu’on porte à son enfant génèrent de nouvelles attentes vis-à-vis de celui qu’on aime. On devient particulièrement sensible à la manière que l’autre a d’exercer son nouveau rôle de parent. C’est un apprentissage, par essais-erreurs, qui suscite bien des émotions. Le besoin d’être soutenu par son partenaire, aussi bien affectivement que dans la vie de tous les jours, s’intensifie.
En marge de cela, en devenant père ou mère, on revisite sa position en tant qu’enfant et ses relations avec nos parents. Cela peut réactiver des conflits ou resserrer les liens avec la famille d’origine.
Pourquoi est-ce que cette transition peut être si difficile à vivre?
Socialement, la naissance d’un enfant est connotée très positivement. Mais on a tendance à oublier que c’est aussi un passage délicat pour les couples. La réorganisation que cela suppose au quotidien génère des tensions, des conflits et des remises en question qui sont en réalité tout à fait normales, mais qui souvent mal perçues par l’entourage! A cause de cette pression sociale du «Tu as tout pour être heureux!», les jeunes parents se sentent coupables de ne pas l’être et ont d’autant plus de peine à partager leurs difficultés et leurs émotions. Or, les études montrent que 60 à 80% des couples vivent une très forte insatisfaction dans les deux années qui suivent la naissance. Par ailleurs, les dépressions post-partum ne sont pas rares : elles touchent même une femme sur cinq et un homme sur dix. Il est bon de le rappeler: être tout le temps heureux dans le couple, ou même dans la relation avec ses enfants, n’existe pas. L’ambivalence des sentiments dans la vie est naturelle.
Peut-on se préparer à mieux vivre ce grand chambardement?
Être conscient que ces turbulences au sein du couple ou dans l’exercice de son rôle de père ou de mère sont normales est un moyen de les vivre plus sereinement. Il ne s’agit pas de banaliser les moments de découragement qui peuvent survenir, mais d’accepter qu’ils font partie de la vie de tout jeune parent. Mais, si les difficultés sont trop importantes, il ne faut pas hésiter à en parler à son entourage ou à demander de l’aide auprès d’un spécialiste (à la sage-femme ou à l’infirmière de la petite enfance en première ligne, voire à son médecin de famille, à un psychologue ou à un pédopsychiatre).
Environ un couple sur deux se sépare. Les difficultés liées à la transition vers la parentalité en sont-elles responsables?
Non. Les données statistiques sont très claires à ce sujet. Pour les couples, le fait d’avoir un enfant est un facteur protecteur contre le divorce. Les couples avec enfants sont plus pérennes. Par contre, la naissance d’un enfant va précipiter la séparation des couples qui avaient déjà de grandes difficultés relationnelles. Dans ce cas, faire un enfant pour resserrer les liens n’est pas une bonne solution.
Combien de temps faut-il au couple pour se remettre de l’arrivée d’un enfant?
Les études montrent qu’il faut en moyenne deux ans pour que la satisfaction conjugale revienne, mais cela peut prendre six mois seulement, ou dans le pire des cas, jusqu’à quatre ou cinq ans.
«Deux ans», vous allez en effrayer plus d’un! Comment l’expliquer et surtout comment retrouver un équilibre dans le couple?
Les raisons sont diverses: tout d’abord, avec le temps, la fatigue des parents, et en particulier celle de la mère, s’atténue pour le bien de tous. Aussi, l’enfant devient de plus en plus autonome. Ainsi, les parents osent davantage le confier et recommencent alors à faire des activités à deux.
Pour être satisfait dans cette nouvelle vie, les couples ne devraient pas oublier de prendre du temps pour eux. Ce n’est pas la quantité des instants partagés qui compte, mais la qualité. De plus, il ne sert à rien de se sentir coupable d’avoir envie de partager des choses à deux, mais il serait tout autant inutile de s’y contraindre. Aussi, il est bon de se soutenir et de se légitimer l’un l’autre dans les rôles de père et mère et de conjoint. Les études montrent en effet que les couples qui durent sont ceux qui s’échangent beaucoup de commentaires positifs. Si on considère que ce que l’autre fait pour le bien commun est normal, c’est dangereux...
Pour ne pas risquer son couple, faut-il attendre de retrouver un équilibre avant de mettre en route un deuxième bébé?
C’est une question très difficile, à laquelle on ne peut donner de réponse toute faite. Mais faire deux enfants dans un délai très rapproché entraîne une fatigue physique importante qui peut être difficile à gérer. C’est sans doute la raison pour laquelle il y a souvent deux ou trois ans d’écart entre les enfants. Cela dit, on observe deux stratégies. Certains parents préfèrent attendre plusieurs années (trois à cinq ans) avant le deuxième, pour que le premier enfant acquière une certaine autonomie et que le couple ait, de son côté, retrouvé une façon de fonctionner satisfaisante. Tandis que d’autres se «serrent les dents» et font les enfants de manière très rapprochée en se disant «comme ça après ce sera fini!» Mais aucune étude ne dit quelle stratégie est la meilleure. C’est à chacun de se déterminer. Le plus important est que ce projet soit commun aux deux partenaires, qu’il ait été réfléchi et négocié ensemble.