Pervers narcissiques: qui sont-ils vraiment?
Comment reconnaître un pervers narcissique?
Répondant à un très fort besoin de validation, il va se montrer séducteur et agréable au premier abord pour se faire apprécier. Comment savoir à qui l’on a affaire? «On ne peut reconnaître un pervers narcissique que lorsqu’il s’attaque à nous», répond la Dre Valérie Le Goff, psychiatre-psychothérapeute spécialiste du sujet. Mais on peut recueillir des indices en écoutant les plaintes des personnes qui l’entourent, notamment dans le milieu professionnel. «On entend que c’est quelqu’un d’impossible à satisfaire, que ses consignes sont floues, qu’il va dire une chose puis jurera qu’il ne l’a jamais dite. Dans le même temps, on le trouvera pourtant tellement charmant. Ce genre de commentaires répétitifs peuvent alerter», explique la psychiatre. Une autre manière de le repérer, c’est en remarquant la souffrance de ses victimes. «Ce sont des personnes constamment en train de se dénigrer, de dire qu’elles sont insuffisantes ou nulles», décrit la Dre Le Goff.
Bien qu’il ne s’agisse pas d’un diagnostic médical, la perversion narcissique est une attitude relationnelle dysfonctionnelle qui additionne deux concepts, le narcissisme et la perversion, comme l’explique le Dr Miguel Duarte, chef de clinique au Service des spécialités psychiatriques des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). «Le narcissisme pathologique est une intolérance à se sentir vulnérable ou inférieur, compensée par une tendance à se montrer supérieur. La perversion est un mécanisme de relation qui consiste à nier la réalité de l’autre et à la transformer en ce dont on a le plus besoin», précise-t-il.
Associés, ces deux aspects de la personnalité deviennent alors destructeurs. Incapable de tolérer la critique et la différence chez l’autre, un pervers narcissique va chercher à contrôler totalement les interactions par la manipulation ou le dénigrement, afin de nourrir son besoin de valorisation constante.
«Capable de tout, coupable de rien»
On imagine donc la souffrance des personnes qui deviennent victimes de ce mécanisme. Dévalorisées au quotidien, convaincues qu’elles sont insuffisantes et incompétentes, isolées de leur entourage pour mieux être mises sous emprise, ce sont généralement elles qui consultent en psychothérapie. Car le pervers narcissique, lui, ne voit pas le problème et donc, n’en souffre pas. C’est même le principe de son fonctionnement, selon la Dre Valérie Le Goff, psychiatre-psychothérapeute spécialiste de la perversion narcissique:[1] «Faire une thérapie, c’est se confronter à ses faiblesses et à ses défauts, or le pervers narcissique ne reconnaît pas qu’il en a. Il n’est jamais responsable puisque tout est toujours de la faute de l’autre. Il est capable de tout, mais coupable de rien. C’est une protection contre la souffrance.»
Parfois, cependant, le mur s’effondre et le pervers narcissique perd tout ce qu’il a construit. «Lorsqu’il consulte, c’est que le vernis s’est cassé suite à une grosse déception, comme une rupture amoureuse ou la perte d’un emploi. Il se retrouve alors dans un profond sentiment de confusion et d’humiliation qui menace son intégrité personnelle et peut le mener au suicide», explique le Dr Duarte.
Un trait masculin?
Lorsqu’on entend parler de ces situations, le pervers narcissique est presque toujours un homme et sa victime, une femme, le plus souvent sa conjointe ou sa subordonnée hiérarchique. N’y a-t-il donc que des hommes pervers narcissiques? Selon la Dre Le Goff, les femmes sont aussi concernées, mais elles sont moins visibles parce que la perversion narcissique est liée à la domination dans une société où celle-ci est encore bien souvent l’affaire des hommes. «Les femmes ont moins la possibilité d’atteindre des niveaux de pouvoir où la perversion narcissique peut s’exercer pleinement, que ce soit dans le couple ou dans le monde professionnel», observe-t-elle.
Le Dr Duarte explique également qu’il peut y avoir un biais culturel du côté du diagnostic: «Le trouble narcissique est plus souvent diagnostiqué chez les hommes, tout comme le trouble borderline est plus souvent diagnostiqué chez les femmes.»
Il serait également possible que la construction de la personnalité perverse narcissique soit renforcée dès l’enfance chez les hommes, qui subissent, plus que les femmes, une pression pour être forts et réussir, sans être autorisés à se montrer vulnérables. Mais cela n’explique pas tout, puisque selon la Dre Le Goff, «la perversion se construit très tôt dans la vie à partir des interactions familiales».
Personnages machiavéliques
Il n’en reste pas moins que l’image du pervers narcissique se mêle souvent à celle du mâle toxique. On imagine un personnage cruel, calculateur et sans scrupules. Il sélectionnerait ses victimes méthodiquement pour leur faiblesse, comme un prédateur choisit sa proie, les séduisant d’abord par son charme avant de révéler sa vraie nature.
La réalité est toutefois un peu plus complexe, selon le Dr Duarte: «Le pervers narcissique va souvent entrer en relation avec des personnes qui ont peu confiance en elles parce qu’il pourra contrôler la perception qu’elles ont de lui. Mais ce n’est pas nécessairement conscient. Au début, le lien est sincère, il peut apprécier réellement cette personne qui le rassure dans son besoin de valorisation. Au fur et à mesure qu’il s’investit dans la relation et que le charme initial perd en puissance, il commence à craindre que sa façade ne tombe pour révéler ses failles et imperfections. C’est là qu’il va accroître son emprise.»
La suite est souvent la même. Manipulation, mensonges, dénigrement, le pervers narcissique est prêt à tout pour maintenir son ascendant sur l’autre. Les victimes resteront sous emprise jusqu’à ce qu’un déclic, souvent provoqué par l’entourage, les pousse à chercher de l’aide.
Comment réagir?
La manipulation et la mise en doute de l’autre font partie des méthodes employées par les pervers narcissiques pour garder le contrôle. Le dialogue est donc un champ de mines et on risque d’y laisser sa propre santé mentale. Comment se préserver?
Les pervers narcissiques vont jeter leur dévolu sur des personnes qui ont une mauvaise estime d’elles-mêmes. Le moyen de leur échapper est donc de cultiver la confiance en soi. «Le plus important, c’est de rester en accord avec ses propres pensées et émotions, de garder les deux pieds à l’intérieur de sa propre expérience. Si on a l’impression que l’autre essaye de nous convaincre de ce qu’on est censé ressentir, c’est mauvais signe», prévient le Dr Miguel Duarte, chef de clinique au Service des spécialités psychiatriques des HUG.
Plus facile à appliquer, l’autre réponse possible est simplement de se retirer du dialogue et éviter toute contre-argumentation. «En cas de doute, on arrête la discussion. On écoute sans répondre ou on donne des réponses minimalistes qui indiquent que l’argument a été entendu», recommande le psychiatre.
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Paru dans Le Matin Dimanche le 03/12/2023
[1]Comment survivre au mariage avec un pervers narcissique, Valérie Le Goff-Cubilier, Éd. Médecine & Hygiène, 2013.