L’attraction sexuelle génétique entre parents, mythe ou réalité?
De quoi on parle
Ben, 32 ans, et Kim, 51 ans, vivent en couple, veulent se marier et avoir un enfant. Ce n’est ni la différence d’âge ni ce projet de grossesse tardive qui a choqué l’opinion publique quand cette affaire a été révélée. Mais le fait que Kim soit la mère de Ben. Séparés après la naissance de celui-ci, ils ne se sont retrouvés qu’à l’âge adulte. En réalité, les cas de coup de foudre entre individus apparentés ne sont pas rares. Si les spécialistes ont du mal à expliquer le phénomène, certains lui ont donné un nom: l’attraction sexuelle génétique.
Ben Ford et Kim West posent tout sourire à la une du magazine The New Day. Le titre reprend une déclaration de Kim: «Je suis amoureuse de mon fils, et je veux un bébé!» De quoi déclencher un déluge de commentaires, sur le site Web du journal britannique, mais aussi sur ceux des –nombreux– autres médias étrangers qui ont relayé l’histoire. Au milieu des critiques et des jugements sur cette relation incestueuse consentie, certains font valoir le concept d’«attraction sexuelle génétique» (ou GSA, pour genetic sexual attraction). A commencer par Kim elle-même, qui déclare dans les colonnes du magazine: «Ce n’est pas de l’inceste, c’est de l’attraction génétique sexuelle.» Une manière détournée de s’affranchir d’un tabou ou un processus biologique réel? La réponse est complexe.
Un coup de foudre dans un cas sur deux
Kim West avait 19 ans et était encore étudiante quand elle est tombée enceinte. Elle décida de confier son fils à l’adoption après sa naissance. Ben a donc été élevé par des parents adoptifs, et il était marié au moment où il a décidé de rechercher sa mère biologique. Quand il l’a contactée, via Facebook, il vivait aux Etats-Unis, elle en Angleterre. Le coup de foudre a été immédiat.
Depuis, il a quitté sa femme, et sa mère a traversé l’Atlantique pour venir vivre avec lui. Ils expliquent avoir été aidés dans leur démarche par un autre «couple GSA». En Amérique du Nord, mais aussi en Europe, des groupes d’entraide et de discussion se sont créés. Beaucoup d’histoires concernent des couples de frères et sœurs, mais des histoires entre parents et enfants sont aussi relatées, sorte de répétitions modernes du fameux mythe d’Œdipe… A ceci près que le jeune Grec n’était lui pas au courant que Jocaste était sa mère biologique quand il la prit pour femme.
Selon certaines sources, les apparentés qui n’ont pas vécu ensemble et se rencontrent adultes auraient une chance sur deux de développer une attirance amoureuse! «Aucune étude n’a pu confirmer ce chiffre, modère cependant Ariane Giacobino, médecin adjointe au service de médecine génétique des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Cette proportion semble très élevée.»
Le terme de GSA a été inventé dans les années 1980 par Barbara Gonyo. Ni médecin ni psychiatre, cette Américaine est à l’origine d’un groupe de soutien à Chicago pour les parents et enfants adoptés. Dans son livre The Forbidden Love (L’amour interdit), elle raconte sa propre expérience, et l’émotion amoureuse qu’elle a ressentie en retrouvant son fils, abandonné à la naissance. Elle y décrit un sentiment d’excitation plus puissant que tout ce qu’elle avait pu éprouver jusqu’ici: «Je voulais être nue avec lui, sentir sa peau contre la mienne», expliquait-elle dans une interview au Guardian quand son livre est paru. Ce qui a sauvé son couple, admet-elle, c’est que son fils n’a jamais ressenti la même chose. Il s’est depuis marié et entretient avec sa mère des relations pacifiées, même si celle-ci a mis plusieurs années à cesser de ressentir un véritable attrait sexuel pour lui.
La consanguinité augmente le risque de transmission de maladies génétiques
La médecine génétique ne parle pas d’inceste, valeur d’ordre moral qui varie selon les cultures, mais de consanguinité, qui appauvrit la transmission des gènes (voir infographie). Et le phénomène ne serait pas si rare, même en Suisse. «Les consultations de couples consanguins n’ont rien d’exceptionnel», souligne Florence Fellmann, médecin associé au service de médecine génétique du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Idem aux HUG: «Nous voyons cependant principalement des couples cousins au premier ou deuxième degré», précise Ariane Giacobino, médecin adjointe au service de médecine génétique.
«Le risque de transmettre une maladie "autosomale récessive", telle que la mucoviscidose, est augmenté entre apparentés du premier degré, reprend le Dr Fellmann. En effet, il est plus probable que les parents soient tous les deux porteurs sains de la mutation, et le risque de transmission est alors de 25% à chaque grossesse.»
Entre cousins, le risque de transmettre une maladie génétique à la descendance est augmenté, mais il reste faible: environ 6%, contre 3% environ dans la population générale. «Le risque de malformations congénitales augmente aussi avec les liens de parenté», souligne Florence Fellmann, qui rappelle cependant que la consanguinité est encore très présente dans certains pays; 60% des unions seraient concernées dans certaines régions du Pakistan. Dans le monde, 10% des couples seraient formés de cousins au deuxième degré, ou plus proches.
L’effet Westermark
En développant le concept de GSA et en osant parler de son cas, Barbara Gonyo a libéré la parole de nombreuses personnes, aux prises avec un sentiment souvent difficile à gérer. Mais pour l’heure, aucune preuve scientifique de cette attraction «génétique» n’existe. «Plusieurs travaux se sont à l’inverse intéressés aux personnes, apparentées ou non, qui sont élevées ensemble, poursuit Ariane Giacobino. Et il semble que cela diminue l’attraction réciproque.» C’est l’anthropologue finlandais Edvard Westermark qui, en 1921, a émis le premier cette hypothèse, depuis confirmée dans diverses études.
Une recherche menée sur des enfants élevés dans des kibboutz a ainsi conclu qu’il n’y avait pas de mariage entre personnes de la même classe d’âge. D’autres recherches menées sur l’île de Taïwan, quand il était encore de coutume de choisir très tôt une épouse aux garçons et de les élever ensemble, ont montré que la fécondité de ces couples, devenus adultes, était plus basse que dans la population générale, et le taux de divorce plus élevé. «La cohabitation dans la prime enfance réduit la probabilité de se mettre en couple, confirme Francesco Bianchi-Demicheli, spécialiste en sexologie et médecine sexuelle aux HUG. Il y a une sorte d’"empreinte négative" qui se met en place très tôt, sans doute dès les trois premières années de la vie.»
Il est alors possible que si elles n’ont pas développé cette empreinte négative, les personnes apparentées puissent être attirées fortement l’une vers l’autre, et revivent l’attachement initial qu’elles n’ont pu vivre. Barbara Gonyo relatait d’ailleurs que, dans les premiers temps, son attraction pour son fils n’était pas spécifiquement sexuelle: «Comme avec mes autres enfants, j’avais envie de respirer son odeur, de passer mes doigts dans ses cheveux.»
Les couples d’apparentés qui osent s’afficher sont de plus en plus nombreux, mais de plusieurs pays considèrent encore les relations entre adultes apparentés consentants comme un délit. C’est le cas en Suisse.
Naturellement attirés par qui nous ressemble
«L’attirance sexuelle et le désir, sont des phénomènes très complexes», prévient Francesco Bianchi-Demicheli, spécialiste en médecine sexuelle aux HUG, qui travaille sur le sujet depuis de nombreuses années, et a notamment montré que les odeurs jouent un rôle très important, «et pas seulement celles dont nous sommes conscients». En plus des odeurs que nous identifions, d’autres signaux seraient perçus par le cerveau. «Certaines proportions du corps ou du visage et d’autres facteurs implicites (symboliques, associations mentales, etc.) sont aussi connus pour être déterminants», poursuit le médecin. Concernant l’attirance entre apparentés, il rappelle que nous recherchons tous une part de ressemblance dans notre partenaire. «Il a été prouvé que l’on a plus d’empathie pour ceux qui nous ressemblent!»