La peur laisse des traces dans notre cerveau

Dernière mise à jour 31/07/19 | Article
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Des marques biologiques de la peur sont observables dans des zones primitives du cerveau. Une découverte qui ouvre la piste à de nouveaux traitements contre les phobies et les syndromes de stress post-traumatique.

Contrôler la peur grâce à l’activité des neurones

Objet de nombreuses études ces dernières années, le neurofeedback offre une piste intéressante pour mieux comprendre certains troubles comme les phobies ou les symptômes post-traumatiques. La méthode consiste à observer en direct l’activité cérébrale via l’imagerie médicale, comme l’IRM ou l’électroencéphalogramme. Le neurofeedback consiste ensuite à agir volontairement sur ce signal. Il peut être représenté sur un écran, par exemple sous la forme d’un thermomètre dont la jauge baisse ou augmente. Le patient, placé face à l’écran, se concentre pour essayer de modifier cette jauge. «La peur est une émotion liée à une activité cérébrale bien spécifique, explique le Pr Patrik Vuilleumier, chercheur en neurosciences à l’Université de Genève. Grâce au neurofeedback, on pourrait peut-être apprendre à diminuer l’activité des circuits de la peur, trop activés chez les personnes anormalement anxieuses.» Aujourd’hui au stade de la recherche, cette technique offre l’espoir de pouvoir mieux contrôler ce type d’émotion «déréglée».

Sans peur, l’être humain ne pourrait survivre. Elle permet de réagir immédiatement face au danger, mais aussi d’apprendre à mieux se protéger. Et cet apprentissage se fait par la modification de certaines zones du cerveau. Depuis plusieurs années, les scientifiques ont en effet découvert que les événements de peur intense créent des « engrammes », c’est-à-dire des véritables traces biologiques dans notre cerveau. Après un traumatisme, des voies d’information entre des groupes de neurones sont renforcées dans des zones précises. De nouveaux circuits apparaissent, qui constituent la mémoire de l’événement.

Jusqu’à aujourd’hui, les engrammes ont principalement été observés dans le cortex frontal et l’amygdale, des régions cérébrales liées à la gestion des émotions. Une étude de l’Université de Strasbourg, publiée dans la revue Neuron, vient cependant de découvrir des engrammes dans l’hypothalamus, une zone notamment impliquée dans la sécrétion d’hormones. «Ces résultats sont intéressants, car l’hypothalamus est une région cérébrale très primitive, réagit le Pr Alexandre Dayer, directeur du pôle de recherche Synapsy à l’Université de Genève (UNIGE). On ne pensait pas, jusqu’alors, que des traces liées à une mémoire du type de celle de la peur pouvaient s’y retrouver.»

Des souvenirs pour la vie

La peur est une émotion que notre cerveau enregistre avec une remarquable efficacité. La plupart des événements traumatiques restent dans la mémoire sur le long terme, avec une grande précision. Ce phénomène s’explique notamment par l’anatomie du cerveau et les connexions entre ses différentes aires. L’amygdale est la première zone à reconnaître les stimuli de danger, sans que nous en soyons conscients. Très bien connectée aux autres régions, elle enclenche immédiatement une cascade de réactions. L’hypothalamus envoie alors les signaux qui provoquent l’ensemble des réponses de notre corps comme l’accélération du cœur, la transpiration et surtout les gestes réflexes : soit l’immobilité soit la fuite. Des connexions directes existent également entre l’amygdale et les régions frontales, spécialisées dans la prise de décisions. Des informations sont finalement transmises à d’autres zones du cerveau comme les aires visuelles et auditives. «L’amygdale est située juste à côté de l’hippocampe, une structure clé de la mémoire, relève le Pr Patrik Vuilleumier, chercheur en neurosciences à l’Université de Genève. Or, les hormones de stress sécrétées en cas de peur ont tendance à créer et amplifier des connexions entre ces deux régions». Ceci explique que les émotions fortes soient généralement mieux encodées par les systèmes de la mémoire.

En montrant que de nouveaux engrammes apparaissent dans l’hypothalamus à la suite de traumatismes, les chercheurs français ont révélé «que cette région cérébrale ne sert pas uniquement à déclencher des réactions physiques, analyse le Pr Dayer. Elle semble aussi capable d’apprentissage.»

Effacer les traces problématiques

Cette découverte suscite l’espoir de voir émerger de nouvelles stratégies thérapeutiques, lorsque la mémoire de la peur devient pathologique. Les syndromes de stress post-traumatique ou les phobies, par exemple, pourraient être liés à de très fortes traces ancrées dans différentes zones du cerveau.

Actuellement, ces troubles sont généralement traitées par la psychothérapie. Dans le cas de phobies, certains traitements consistent à confronter le patient à l’objet de sa peur (par exemple une araignée, un oiseau, etc.), pour apprendre à diminuer sa réponse au stress et la maîtriser. Des méthodes qui donnent déjà d’excellents résultats. Mais il arrive que ces troubles résistent malgré tout. Essayer «d’effacer» les traces de la peur pourrait alors constituer une nouvelle approche thérapeutique.

L’hypothalamus a la capacité de sécréter de l’ocytocine (connue sous le nom d’hormone de l’amour), qui joue un grand rôle dans la régulation des émotions. Grâce à une méthode de ciblage génétique, les chercheurs français ont pu identifier les neurones hypothalamiques activés lors d’une réaction de peur. En stimulant leur production d’ocytocine, ils sont parvenus à effacer ou faire durer l’expression de cette émotion.

Maintenant que ces circuits spécifiques sont bien identifiés, le prochain objectif est de trouver des molécules pharmacologiques capables de les inhiber ou les activer. «Mais dans la plupart des cas, ces traces restent essentielles à notre survie, puisqu’elles nous permettent d’apprendre, rappelle le Pr Dayer. Il faut donc uniquement cibler celles qui relèvent du traumatisme.»

Victoria, 32 ans: «La journée entière des attentats de Boston est gravée dans ma mémoire»

«Avril 2013. Mon mari et moi profitons de quelques jours de vacances sur la côte est des États-Unis. Encore euphoriques, nous sortons du stade après un match intense des Red Sox. Le soleil brille, nous décidons de remonter Boylston Street pour encourager les marathoniens sur la ligne d’arrivée. On aimerait passer de l’autre côté de la rue, mais la foule est dense. Non loin de là, les drapeaux de l’arrivée flottent au vent. Soudain, sur ma droite, une déflagration me fait sursauter. De la fumée s’échappe et je pense à un court-circuit. Mais quelques secondes plus tard, deuxième détonation, à gauche cette fois. Et là, je comprends. C’est un attentat.

Je garde en mémoire des images extrêmement précises de ces instants où je passe en mode survie. Autour de nous, tout le monde arrête de parler. Puis c’est la panique. Certains fuient en abandonnant leurs sacs et même des poussettes, d’autres s’agglutinent les uns contre les autres pour se protéger. Je revois encore à mes pieds ce sac Longchamp, couleur marron, que sa propriétaire a laissé là. Mon mari me saisit la main et nous courrons dans les rues de Boston jusqu’à notre hôtel. Malgré la terreur, je me souviens avec précision de l’itinéraire que nous avons emprunté. En fait, cette journée entière reste gravée dans ma mémoire. Je me rappelle de ce que j’ai mangé, des discussions que j’ai eues et même des vêtements que je portais ce jour-là, avant l’attentat.

Aujourd’hui encore, je garde certains réflexes liés à cet événement. Je ne me sens pas à l’aise dans les lieux bondés et je ne reste jamais près d’une poubelle, au cas où une bombe risquerait de s’y trouver…»

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Paru dans Le Matin Dimanche le 28/07/2019.

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