Cerveau: la glie rebat les cartes
Alors que les neurones sont aujourd’hui connus par le plus grand nombre et même passés dans le langage courant, astrocytes, microglie et oligodendrocytes sont bien moins populaires. Et pourtant, ces cellules sont aussi nombreuses dans le cerveau humain que les neurones, et sans elles ces derniers auraient bien de la peine à fonctionner correctement. Pourquoi ces cellules, qui ensemble constituent la «glie», sont-elles restées dans un tel anonymat?
Sans doute en grande partie car elles ont été présentées, dès leur découverte en 1846 par Rudolph Virchow, comme ayant un simple rôle de tissu de soutien, une sorte de «glu», qui leur a d’ailleurs donné leur nom. La glie était ainsi vue comme l’ensemble des cellules qui remplissent le vide autour des nobles neurones. «Ce qui a également joué contre les cellules gliales, c’est que contrairement aux neurones, elles ne produisent pas de potentiel d’action. Or les neurosciences se sont bâties sur les enregistrements de ces signaux électriques, marqueurs de l’activité cérébrale», explique le Pr Pierre Magistretti, professeur honoraire de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et de l’Université de Lausanne (UNIL), co-auteur avec le Pr Yves Agid de L’Homme Glial (Ed. Odile Jacob). Le chercheur lausannois, qui a consacré sa carrière à ces cellules, n’hésite d’ailleurs pas à avouer que lui-même s’y est intéressé grâce «au hasard et à l’ignorance»!
Une vision «neurocentrée»
Le titre de l’ouvrage de Pierre Magistretti n’est pas innocent et se veut un clin d’œil à L’Homme Neuronal, publié par le célèbre neuroscientifique français Jean-Pierre Changeux, dans les années 1980. Si, pendant plus d’un siècle, la glie a été déconsidérée et étudiée seulement par une poignée de groupes de recherche dans le monde, elle occupe aujourd’hui le devant de la scène scientifique. Et les dogmes actuels sur le fonctionnement de notre cerveau pourraient bien s’en trouver remis en cause.
Les cinquante dernières années ont été marquées par un essor considérable des neurosciences, qui ont mis l’étude et la compréhension des neurones au centre de la discipline. «C’est aussi pour cela que peu de chercheurs se sont intéressés aux cellules gliales, relève Andrea Volterra, professeur au département des neurosciences fondamentales de l’Université de Lausanne, autre spécialiste suisse de la glie. Les neurones et leurs interactions sont déjà bien complexes à étudier. Considérer en plus ces cellules relève du casse-tête pour beaucoup de scientifiques!» Mais si l’acquisition de connaissances sur le cerveau a été gigantesque au cours des dernières décennies, force est de constater qu’elles ont laissé sans réponses de nombreuses questions, notamment celles relatives aux maladies neurodégénératives et mentales. «Pour avancer, les neurobiologistes doivent s’intéresser à toutes les cellules du cerveau, puisque l’on sait désormais qu’elles ont des rôles variés et qu’elles communiquent ensemble, insiste Andrea Volterra. Il est nécessaire de mieux comprendre le micro-environnement des neurones qui joue forcément un rôle dans les processus qui précèdent leur destruction.»
Développer la «gliopharmacologie»
«Les cellules gliales intéressent de plus en plus de jeunes chercheurs. Ce n’est plus un sujet réservé à une poignée de connaisseurs», se réjouit le Pr Magistretti. L’intensification des recherches sur ces cellules a permis de mettre au jour les nombreuses fonctions des différents types cellulaires de la glie au sein du système nerveux central. Dès la formation du système nerveux central dans l’embryon, puis tout au long de l’existence, la glie assure les apports en énergie des neurones, évacue leurs déchets, améliore la communication nerveuse, contribue à la plasticité cérébrale, assure l’immunité autour des cellules nerveuses… Beaucoup de ces fonctions sont assurées par les astrocytes, cellules en forme d’étoile, qui sont bien plus que du «petit personnel des neurones», note Pierre Magistretti. Comme Andrea Volterra, il est convaincu que ces cellules, en interaction étroite et permanente avec les neurones, sont impliquées directement ou indirectement dans les pathologies qui touchent ces derniers. «Pour trouver de nouveaux traitements, leur rôle ne doit plus être négligé. Il faut développer une "gliopharmacologie" qui considère les processus gliaux comme autant de cibles thérapeutiques possibles», conclut le spécialiste.
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Paru dans Planète Santé magazine N° 33 - Mars 2019