Cerveau: la glie rebat les cartes

Dernière mise à jour 14/03/19 | Article
cerveau_glie_rebat_cartes
Les cellules gliales ont bien longtemps été les grandes oubliées des neurosciences centrées sur les neurones. Pourtant, ces cellules sont essentielles au bon fonctionnement du cerveau et pourraient être des cibles thérapeutiques de choix.

Alors que les neurones sont aujourd’hui connus par le plus grand nombre et même passés dans le langage courant, astrocytes, microglie et oligodendrocytes sont bien moins populaires. Et pourtant, ces cellules sont aussi nombreuses dans le cerveau humain que les neurones, et sans elles ces derniers auraient bien de la peine à fonctionner correctement. Pourquoi ces cellules, qui ensemble constituent la «glie», sont-elles restées dans un tel anonymat?

Sans doute en grande partie car elles ont été présentées, dès leur découverte en 1846 par Rudolph Virchow, comme ayant un simple rôle de tissu de soutien, une sorte de «glu», qui leur a d’ailleurs donné leur nom. La glie était ainsi vue comme l’ensemble des cellules qui remplissent le vide autour des nobles neurones. «Ce qui a également joué contre les cellules gliales, c’est que contrairement aux neurones, elles ne produisent pas de potentiel d’action. Or les neurosciences se sont bâties sur les enregistrements de ces signaux électriques, marqueurs de l’activité cérébrale», explique le Pr Pierre Magistretti, professeur honoraire de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et de l’Université de Lausanne (UNIL), co-auteur avec le Pr Yves Agid de L’Homme Glial (Ed. Odile Jacob). Le chercheur lausannois, qui a consacré sa carrière à ces cellules, n’hésite d’ailleurs pas à avouer que lui-même s’y est intéressé grâce «au hasard et à l’ignorance»!

Une vision «neurocentrée»

Le titre de l’ouvrage de Pierre Magistretti n’est pas innocent et se veut un clin d’œil à L’Homme Neuronal, publié par le célèbre neuroscientifique français Jean-Pierre Changeux, dans les années 1980. Si, pendant plus d’un siècle, la glie a été déconsidérée et étudiée seulement par une poignée de groupes de recherche dans le monde, elle occupe aujourd’hui le devant de la scène scientifique. Et les dogmes actuels sur le fonctionnement de notre cerveau pourraient bien s’en trouver remis en cause.

Les cinquante dernières années ont été marquées par un essor considérable des neurosciences, qui ont mis l’étude et la compréhension des neurones au centre de la discipline. «C’est aussi pour cela que peu de chercheurs se sont intéressés aux cellules gliales, relève Andrea Volterra, professeur au département des neurosciences fondamentales de l’Université de Lausanne, autre spécialiste suisse de la glie. Les neurones et leurs interactions sont déjà bien complexes à étudier. Considérer en plus ces cellules relève du casse-tête pour beaucoup de scientifiques!» Mais si l’acquisition de connaissances sur le cerveau a été gigantesque au cours des dernières décennies, force est de constater qu’elles ont laissé sans réponses de nombreuses questions, notamment celles relatives aux maladies neurodégénératives et mentales. «Pour avancer, les neurobiologistes doivent s’intéresser à toutes les cellules du cerveau, puisque l’on sait désormais qu’elles ont des rôles variés et qu’elles communiquent ensemble, insiste Andrea Volterra. Il est nécessaire de mieux comprendre le micro-environnement des neurones qui joue forcément un rôle dans les processus qui précèdent leur destruction.»

Développer la «gliopharmacologie»

«Les cellules gliales intéressent de plus en plus de jeunes chercheurs. Ce n’est plus un sujet réservé à une poignée de connaisseurs», se réjouit le Pr Magistretti. L’intensification des recherches sur ces cellules a permis de mettre au jour les nombreuses fonctions des différents types cellulaires de la glie au sein du système nerveux central. Dès la formation du système nerveux central dans l’embryon, puis tout au long de l’existence, la glie assure les apports en énergie des neurones, évacue leurs déchets, améliore la communication nerveuse, contribue à la plasticité cérébrale, assure l’immunité autour des cellules nerveuses… Beaucoup de ces fonctions sont assurées par les astrocytes, cellules en forme d’étoile, qui sont bien plus que du «petit personnel des neurones», note Pierre Magistretti. Comme Andrea Volterra, il est convaincu que ces cellules, en interaction étroite et permanente avec les neurones, sont impliquées directement ou indirectement dans les pathologies qui touchent ces derniers. «Pour trouver de nouveaux traitements, leur rôle ne doit plus être négligé. Il faut développer une "gliopharmacologie" qui considère les processus gliaux comme autant de cibles thérapeutiques possibles», conclut le spécialiste.

_______

Paru dans Planète Santé magazine N° 33 - Mars 2019

Articles sur le meme sujet
P24-04_sante_cerebrale

Prendre soin de sa santé cérébrale

En proie aux troubles, aux accidents ou encore aux effets du vieillissement, notre cerveau devient aujourd’hui l’objet de préoccupations et de soins inédits. Sous l’impulsion de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les initiatives en faveur de la santé cérébrale se multiplient. L’enjeu: allier les forces de la neurologie, de la psychiatrie ou encore des neurosciences afin de mieux comprendre la maladie et d’améliorer la prise en charge des personnes concernées, mais également de faire évoluer les mentalités.
BV13_illusions_optique

Les illusions d’optique: comment ça marche?

Lorsqu’il existe une différence notable entre la réalité d’un objet et la perception que l’on en a, on parle d’illusion d’optique. Elle est la plupart du temps liée à une interprétation biaisée des images reçues par le cerveau.
PS52_andrea_serino

«Une grande opportunité de faire évoluer la neuroréhabilitation»

Inauguré en novembre dernier à Lavigny par le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), l’Université de Lausanne (UNIL) et l’Institution de Lavigny* elle-même, le NeuroRehab Research Center (NeuroRehab) laisse augurer d’une nouvelle ère dans le domaine de la neuroréhabilitation, en particulier pour les patients ayant subi un accident vasculaire cérébral (AVC) ou un traumatisme crânien sévère. Rencontre avec son directeur, le Pr Andrea Serino.
Videos sur le meme sujet

Lʹattention peut-elle être mesurée de façon fiable ?

Notre attention est constamment sollicitée, mais les outils que nous utilisons pour la mesurer sont-ils encore fiables ?

Les humains adaptent leur rythme de parole pour communiquer avec les chiens

En collaboration avec des éducateurs canins, lʹéthologue Éloïse Déaux de lʹUniversité de Genève (UNIGE) a mené une recherche sur la communication entre humains et chiens qui a impliqué 22 personnes et 30 chiens en Suisse.

Dans le cerveau des champions: atteindre la concentration ultime

Que se passe-t-il dans le cerveau dʹun.e champion.ne au moment dʹune prouesse extraordinaire?