Le rôle des émotions dans la douleur chronique
Les émotions font partie du tableau de la vie. Elles peuvent accentuer les douleurs chroniques comme les estomper. Cette réalité ne remet pas pour autant en cause les facteurs physiques. Mais nier le rôle des émotions dans l’expression des symptômes, c’est risquer de passer à côté de la nature subjective de la douleur.
Apport des neurosciences
Grâce à la contribution des neurosciences, la compréhension de la douleur chronique a fait un bond en avant. Comment? En mettant en évidence des mécanismes de sensibilisation qui contribuent à l’amplification des signaux douloureux dans certaines zones du cerveau. Outre ce phénomène d’hypersensibilité, des études ont confirmé le rôle clé des émotions dans le ressenti douloureux. Elles peuvent prédisposer à la douleur ou la moduler à la baisse comme à la hausse. Les consultations spécialisées évaluent d’ailleurs de manière systématique l’état émotionnel des patient-e-s.
L’International Association for the Study of Pain (IASP) reconnaît pleinement le rôle des émotions dans le ressenti de la douleur, qui est décrite comme «une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à un dommage tissulaire ou potentiel, ou décrite en termes d’un tel dommage». Traduction: quand on a mal, on ne ressent pas qu’une sensation, on éprouve forcément aussi une émotion. On ne peut pas ressentir la douleur pour autrui, elle n’est pas visible sur une radio, comme le serait une fracture, ou mesurable avec un appareil, comme l’est la tension artérielle, ou par un test sanguin. La douleur est une expérience tout à fait personnelle qui doit être accueillie sans jugement. Cette définition confère une légitimité indiscutable aux douleurs pour lesquelles aucune lésion n’a pu être décelée. Exit donc les soupçons de douleurs imaginaires ou simulées. On ne peut que croire la personne. Si elle dit qu’elle a mal, c’est qu’elle a mal.
Composante affective
Désagréable, pénible, envahissante, angoissante, insupportable: l’expérience douloureuse, même de courte durée, possède une indéniable dimension affective. Dans sa version longue –mois ou années de souffrances–, les émotions négatives ont toutes les chances de prendre le dessus, avec à la clé l’apparition possible d’un état dépressif ou anxieux.
Le contexte de la douleur et le sens que nous lui donnons contribuent aussi à la «couleur» émotionnelle. Tout comme l’incertitude liée à l’évolution de notre état qui peut se révéler anxiogène («Je suis seule pour élever mes enfants, que vont-ils devenir si je ne peux plus travailler?»; «Vais-je souffrir comme ça toute ma vie?»). À l’inverse, un certain optimisme a le don de remonter notre moral: «J’ai confiance, les choses vont aller mieux et je trouverai des moyens pour gérer la situation.»
Dimension cognitive
«C’est forcément grave si je continue à avoir mal»; «Avec ces douleurs, la vie n’a plus de sens». Les représentations liées à une douleur qui ne relâche pas son étreinte varient fortement d’une personne à l’autre. L’interprétation et la compréhension des symptômes douloureux influencent directement le vécu de la douleur. Typiquement, savoir que la douleur persistante est le fruit d’un dysfonctionnement du système nerveux central aide à comprendre ce qui nous arrive et à l’expliquer aux autres.
Les pensées et les anticipations négatives participent à l’abaissement des seuils de la douleur. L’anxiété, par exemple, contribue à amplifier les sensations désagréables ressenties, empêchant ainsi toute tentative de banalisation. Des expériences de perte (comme un deuil) peuvent également entraîner des variations du seuil de sensibilité. Les émotions positives, à l’inverse, sont en général capables d’émousser le ressenti douloureux.
Prendre en charge les émotions
La subjectivité est ainsi le propre de la douleur. Les liens entre douleur chronique et émotions sont indissociables d’une vision humaniste. Cette conception globale ne remet pas en cause la réalité de la douleur vécue par la personne. Au contraire, elle permet de la comprendre et de mieux la gérer.
La façon dont l’individu interprète l’expérience douloureuse influence la composante émotionnelle et donc sa perception. Alliées ou adversaires, les émotions sont dans tous les cas les grands modulateurs de la douleur. Leur importance est telle qu’elles doivent faire l’objet d’une évaluation systématique lors de la prise en charge. Car, tel un rouleau compresseur, les douleurs incessantes épuisent les ressources personnelles et peuvent déboucher sur un état anxieux ou dépressif, source de tourments supplémentaires.
Enfin, la douleur est parfois le reflet d’une détresse émotionnelle (lire encadré). Derrière une exacerbation douloureuse, la question d’une éventuelle souffrance psychologique doit être explorée.
La douleur comme masque
Phénomène connu depuis longtemps, la souffrance morale s’exprime parfois par la souffrance du corps. Dans ce cas, la blessure psychique revêt le « masque » de la douleur. On parle alors de somatisation. Les vécus traumatiques anciens et les situations de maltraitance ou d’abandon pendant l’enfance constituent des facteurs de vulnérabilité dans le développement de douleurs chroniques rebelles. Les études indiquent que le syndrome de stress post-traumatique est plus fréquemment retrouvé chez les malades douloureux chroniques. La persistance de la douleur semble coexister avec celle de l’émotion liée à l’accident ou l’agression. Enfin, des travaux récents montrent également un lien entre le sentiment d’injustice et l’intensité de la douleur.
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Adapté de J’ai envie de comprendre… Les douleurs chroniques et rebelles, de Suzy Soumaille et la Dre Valérie Piguet, Ed. Planète Santé, 2018.
Paru dans Planète Santé magazine N° 31 - Octobre 2018
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La goutte est due à un excès d'acide urique dans le sang et à une accumulation dans les tissus. Elle provoque le plus souvent des douleurs intenses des articulations.