Une appli pour mieux gérer la douleur chronique
Quelles que soient sa manifestation et sa localisation, la douleur est une «expérience sensorielle et émotionnelle désagréable», selon la définition de l’Association internationale pour l’étude de la douleur (IASP). Elle est subjective et invisible.
Sur le plan de l’évolution, la douleur aiguë «a un sens», remarque le Pr Benno Rehberg-Klug, responsable de la Consultation d’antalgie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Elle agit comme un système d’alerte qui signale à notre corps qu’il a subi une agression. Dans ce cas, «normalement, quand sa cause est guérie, la sensation déplaisante disparaît».
Pourquoi avons-nous mal?
Dans la peau, les muscles, les articulations, les viscères, etc., se trouvent des récepteurs de la douleur, chacun d’entre eux étant spécialisé dans la transmission d’une sensation particulière: piqûre, brûlure, forte pression, etc. Leurs messages, transformés en impulsions électriques, transitent par la moelle épinière et parviennent au cerveau. C’est là que se crée la perception de la douleur en termes d’intensité, de type et de localisation. Dans les douleurs chroniques se met aussi en place «unesensibilisation centrale, explique le Pr Benno Rehberg-Klug, spécialiste de la douleur aux HUG. À l’intérieur de la moelle épinière et du cerveau, il existe des mécanismes qui augmentent la sensibilité à la douleur. C’est ce qui explique que celle-ci persiste, même si la maladie qui l’a provoquée a été bien traitée.»
Il n’en va pas de même quand la douleur persiste au-delà de trois mois et qu’elle devient chronique. Elle peut alors être invalidante. En Suisse, d’après une étude publiée en 2016, 16% de la population adulte souffre de cette maladie – reconnue comme telle en 2022 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) – dont la cause n’est pas toujours détectable. «On peut avoir des douleurs sans avoir ni lésion somatique ni traumatisme psychique détectables par les outils diagnostiques habituels», souligne le spécialiste des HUG.
Diverses catégories de douleurs
Certaines douleurs chroniques, comme celles provoquées par des inflammations persistantes, sont dites «nociceptives». Elles sont dues notamment à des lésions dans des muscles ou des articulations qui provoquent un excès d’influx douloureux dans le système nerveux. D’autres, appelées «neuropathiques», sont provoquées par une lésion du système nerveux périphérique ou central. Elles surviennent suite «à la section ou à la compression d’un nerf, mais aussi par exemple lorsque l’on souffre d’une sclérose en plaques ou d’un accident vasculaire cérébral (AVC)», explique le Pr Rehberg-Klug. D’autres encore, dénommées «nociplastiques», telles celles qui sont associées à la fibromyalgie, sont engendrées par des dysfonctionnements du système de contrôle de la douleur.
«Toute douleur a des composantes biologiques, psychologiques et sociales», constate le médecin. C’est pourquoi sa prise en charge est souvent complexe et repose sur des associations de thérapies pharmacologiques, interventionnelles et psychosociales.
Le traitement ne passe pas uniquement par des médicaments et, pour les douleurs neuropathiques, par des thérapies interventionnelles (comme la neurostimulation). Il fait aussi appel «à la physiothérapie, à des activités physiques, à la thérapie cognitivo-comportementale, à l’hypnose et à des thérapies complémentaires comme l’acupuncture», précise le spécialiste.
Améliorer sa qualité de vie
La plupart du temps, la douleur chronique ne se guérit pas. Les personnes concernées doivent donc apprendre à vivre avec. Afin d’améliorer leur qualité de vie, elles doivent chercher à «dévier l’attention de leur cerveau pour qu’il cesse de se concentrer sur la douleur», souligne le Pr Rehberg-Klug.
C’est là qu’intervient l’application Dolodoc (lire encadré) développée aux HUG et disponible depuis l’été dernier. Elle vise à aider les personnes concernées «à apprivoiser leur douleur», souligne le Pr Christian Lovis, médecin-chef du Service des sciences de l’information médicale des HUG. «J’ai été sensibilisé à cette problématique car des membres de mon entourage souffrent de douleurs chroniques», explique-t-il. En 2016, il a soumis le projet à la Fondation privée des HUG qui a accepté de le financer. Puis, pendant deux ans, Jessica Rochat, alors doctorante en psychologie, a dépouillé la littérature scientifique et collaboré avec des experts de la question, ainsi qu’avec des personnes affectées par des douleurs chroniques, «afin de définir les dimensions de la douleur qu’il était important de documenter», précise le Pr Lovis.
Comme le souligne Frédéric Ehrler, responsable de domaine au Service des applications des HUG et chef du projet Dolodoc, «notre approche est centrée sur les utilisateurs et les utilisatrices»: les patientes et patients, mais aussi toutes celles et ceux qui souffrent en silence. Il permet à ces personnes, au fil des mois, de suivre l’évolution de leur douleur et de leur état de santé, et d’établir un bilan qu’elles pourront présenter au médecin quand elles consulteront. «Beaucoup de gens attendent des années avant de s’adresser à un professionnel de santé et ils ont alors perdu la mémoire de l’évolution de leur mal», constate le Pr Lovis.
L’appli donne aussi des conseils, «afin que les individus identifient les actions qui leur sont bénéfiques», précise Frédéric Ehrler. Marcher, prendre des bains froids, jardiner, faire du yoga ou toute autre occupation qui permet de ne pas se focaliser sur la douleur. «C’est important, confirme le Pr Rehberg-Klug, car de nombreuses personnes cessent leurs activités et se renferment sur elles-mêmes de peur d’avoir des douleurs, ce qui augmente leur mal-être.» L’application les aide à sortir de ce cercle vicieux.
Une application unique en son genre
Il existe déjà de nombreuses applications liées à la douleur. Qu’apporte celle élaborée aux HUG? «Contrairement à d’autres, Dolodoc n’est pas spécifique à un type de douleur, répond le Pr Christian Lovis, l’initiateur du projet. Elle n’est pas fondée sur une approche mécanistique de la douleur (qui consiste à préciser qu’on a mal aux genoux, aux dos, etc.), mais tient compte de la douleur dans toutes ses dimensions psychosociales: l’état physique, l’humeur, la capacité d’établir des relations avec les autres, etc.» Un avis que partage le Pr Benno Rehberg-Klug, spécialiste de la douleur aux HUG. «La plupart des applications disponibles permettent uniquement le suivi des patients et patientes, constate-t-il. Je n’en connais pas qui prennent en compte les différentes dimensions de leur qualité de vie et qui leur donnent des conseils.»
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* https://www.hug.ch/application-mobile/dolodoc
Paru dans Le Matin Dimanche le 14/01/2024
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