Des traces objectives de la douleur chronique
Il y a douleur et douleur
Pour les personnes qui en souffrent, une douleur, d’où qu’elle vienne – du dos, de la tête, des articulations, d’un traumatisme, etc. – est une douleur. Mais pour les médecins, il existe divers types de douleurs chroniques qu’ils ont classifiées. Parmi elles figurent deux catégories principales.
Les premières sont dites «nociceptives». Elles résultent d’une activation des récepteurs situés au bout des fibres nerveuses (dans les muscles et les articulations par exemple). Ce sont celles que l’on ressent quand on souffre notamment d’une entorse, d’une fracture ou de rhumatismes.
Les secondes, dites «neuropathiques», découlent soit d’une atteinte d’une structure nerveuse due à la compression ou à la section d’un nerf, soit d’un trouble du fonctionnement de cette structure. Elles se manifestent en particulier lors d’une sciatique, chez les personnes amputées, chez certaines personnes souffrant du diabète ou encore d’un zona.
Un adulte sur cinq souffre de douleur chronique. Cela peut durer des mois, voire des années. Quand le mal s’est installé, il perturbe souvent la vie personnelle, professionnelle et sociale des personnes concernées que les médecins n’arrivent parfois pas à soulager. Cela pourrait changer grâce à des équipes de Genève et de Sion qui ont, pour la première fois, identifié dans le génome une trace biologique permettant de classifier la douleur.
Lorsqu’on se brûle ou que l’on subit un choc, on éprouve une douleur aiguë. Cette sensation est positive, car elle permet de protéger l’organisme contre une menace et d’accélérer sa guérison. À l’issue de son parcours le long du système nerveux, le signal douloureux arrive au cerveau qui, «par un mécanisme de rétrocontrôle, envoie à son tour des messages aboutissant, à terme, à l’atténuer», précise Bertrand Léger, chef du Service recherche de la Clinique romande de réadaptation (CRR) à Sion (Valais).
Il en va tout autrement quand la douleur perdure au-delà de trois mois. Elle devient alors chronique et, dans ce cas, le mécanisme de rétrocontrôle perd de son efficacité. Chez de nombreuses personnes, des phénomènes de sensibilisation se mettent alors en place. Dans certains cas, «un stimulus qui, au départ, n’était pas douloureux, le devient – on ne supporte plus le contact d’un vêtement par exemple. Dans d’autres, une douleur qui était tolérable devient insupportable», explique le biologiste.
Un mal difficile à évaluer
Toutes les douleurs chroniques n’ont pas la même origine. Les cliniciens en distinguent plusieurs types, les principales étant celles nommées «nociceptives» et celles dites «neuropathiques» (lire l’encadré).
Pour soulager les patients et leur prescrire le traitement le mieux adapté (lire l’encadré), il faudrait savoir précisément de quelle douleur ils souffrent. Mais cela reste difficile, car la douleur est un phénomène subjectif dont il n’est pas possible de détecter la trace par des examens médicaux ni de mesurer l’intensité. Tout ce dont disposent les médecins sont des échelles visuelles, sur lesquelles les patients notent leur mal de 0 à 10, ou des questionnaires qu’ils remplissent. Ce mode d’évaluation n’est pas très précis. En outre, «il n’est utilisable que si la personne parle français, qu’elle est consciente ou qu’elle ne souffre pas d’un handicap mental», constate Ariane Giacobino, professeur au Département de génétique et développement de l’Université de Genève (UNIGE).
La situation pourrait toutefois changer, puisque les chercheurs genevois et sédunois ont identifié des biomarqueurs, c’est-à-dire des signatures biologiques, permettant de classifier, objectivement, la douleur.
À cette fin, les généticiens de l’UNIGE ont analysé la totalité du génome de 57 personnes traitées à la CRR – 20 ne ressentant aucune douleur, 18 ayant des douleurs nociceptives et 19 des douleurs neuropathiques. «Nous n’avions pas d’idées préconçues, précise la généticienne. Nous avons simplement voulu comparer les génomes de ces trois groupes de patients qui avaient fait l’objet de bilans médicaux très complets à la CRR.»
Dans le génome, les chercheurs ont trouvé des paraphes de la douleur, non pas génétiques, mais épigénétiques. En d’autres termes, les signatures se trouvent non pas dans les gènes eux-mêmes mais dans la manière dont ils s’expriment – dont ils s’allument ou s’éteignent. «À notre surprise, note Ariane Giacobino, nous avons constaté que ces signatures ne se chevauchent pas puisque, selon que la douleur était nociceptive ou neuropathique, les gènes concernés sont très différents.» Dans le premier cas, il s’agit de gènes intervenant dans le système opioïde, qui est impliqué dans les émotions et le système de la récompense, mais aussi «dans le contrôle de la douleur», souligne Bertrand Léger. Dans le second, ils sont liés au système GABA, «un neurotransmetteur (messager chimique) qui, lui, inhibe la douleur».
Analyse de sang
Ces biomarqueurs étant identifiés, il pourrait bientôt être possible, à partir d’une simple prise de sang, de les détecter dans le génome des patients. On saurait ainsi précisément de quel type de douleur ils souffrent. «Actuellement, les traitements sont administrés de manière assez empirique, reconnaît Bertrand Léger. À l’avenir, dès le début de la prise en charge, on devrait pouvoir choisir le médicament le mieux adapté.» L’analyse de ces signatures pourrait aussi permettre «de suivre l’évolution de l’intensité de la douleur et ainsi de contrôler l’effet du traitement», ajoute Ariane Giacobino. Il ne s’agit encore que de recherche fondamentale, mais elle est de nature à donner une lueur d’espoir à celles et ceux qui sont handicapés par des douleurs chroniques.
Des traitements différents
Les douleurs nociceptives et neuropathiques ne se traitent pas avec les mêmes médicaments. Si, dans les deux cas, les médecins ont souvent recours à des antalgiques ou à des anti-inflammatoires, «le traitement des douleurs neuropathiques est plus complexe», constate Bertrand Léger, chef du Service recherche de la Clinique romande de réadaptation à Sion. Il implique en effet des antidépresseurs, des antiépileptiques, des infiltrations des nerfs, etc., «qu’il pourrait être délétère de prescrire à quelqu’un qui n’en a pas besoin».
Quant aux médicaments opioïdes qui sont parfois aussi utilisés, ils ne sont pas très efficaces et entraînent une forte dépendance. Aux Etats-Unis, où ils ont été fréquemment prescrits, ils ont provoqué une véritable épidémie qui a entraîné de nombreux décès pour cause de surdose. Un problème dont l’Europe n’est plus épargnée.
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Paru dans Le Matin Dimanche le 07/11/2021
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