Faire «uriner» du sucre, une révolution contre le diabète?

Dernière mise à jour 23/11/15 | Article
Faire «uriner» du sucre, une révolution contre le diabète?
Une étude récente avance qu’une nouvelle molécule marquerait une avancée majeure dans le traitement du diabète de type 2. Mais sa méthodologie et les effets secondaires font débat.

De quoi on parle

Le 14 novembre a eu lieu la 20e Journée romande du diabète à Palexpo, à Genève, un rendez-vous d’information et d’échanges entre public et spécialistes, à propos d’une maladie qui touche une part croissante de la population. Des chercheurs publient dans le même temps une étude, subventionnée par l’industrie pharmaceutique, sur un nouvel antidiabétique, l’empagliflozine. Il permettrait une réduction significative du risque de décès dû à des accidents cardiovasculaires chez les personnes à risque souffrant de diabète de type 2. Une révolution dans le traitement du diabète ou un effet de manches?

«Une nouvelle sensationnelle pour les diabétiques!» C’est la promesse faite par les groupes pharmaceutiques Boehringer-Ingelheim et Eli Lilly, qui commercialisent depuis deux ans l’empagliflozine (Jardiance®), un nouveau médicament contre le diabète de type II, la forme la plus courante de cette maladie. La raison de cet émoi? Les résultats publiés en septembre dernier d’une étude montrant que cette molécule diminue de façon notable le risque de décès dû notamment à un accident cardiovasculaire chez des patients présentant déjà un risque important (lire l’encadré). A-t-on affaire à une avancée importante dans le traitement du diabète? Pour y voir clair, il faut séparer deux choses: le mode d’action de l’empagliflozine, qui est effectivement différent de celui des antidiabétiques classiques, et la méthodologie de l’étude, qui annonce que des millions de vies pourraient être sauvées.

Eliminer le sucre par les reins

«L’étude a été effectuée chez des gens qui avaient déjà eu un infarctus et qui avaient un risque accru d’avoir des complications d’ordre cardiovasculaire. Chez eux, l’empagliflozine diminuait effectivement la mortalité générale et cardiovasculaire. Mais cet effet n’a pas été mis en évidence chez des patients ayant d’autres caractéristiques», souligne le professeur Jacques Philippe, médecin-chef du service endocrinologie, diabétologie, hypertension et nutrition aux Hôpitaux universitaires de Genève. La démonstration reste donc à faire pour l’ensemble des patients souffrant de diabète de type 2. Cela dit, la piste étudiée semble intéressante, car les problèmes cardiovasculaires font partie des complications potentielles liées au diabète. Mais de là à parler de révolution, il y a un pas que les spécialistes ne veulent pas franchir. «Il n’y a pas de médicament miracle et sans effets secondaires. Celui-ci provoque notamment des infections urinaires et gynécologiques. Et il ne doit pas être utilisé en cas d’insuffisance rénale», reprend le Pr Jacques Philippe. Cela posé, en deux ans d’utilisation, le médicament s’est montré efficace. Son mode d’action est original par rapport aux médicaments classiques car il bloque la réabsorption du sucre au niveau des reins. Le sucre excédentaire est ensuite éliminé par les urines. «On diminue ainsi le taux de sucre, sans recourir à l’insuline, poursuit le médecin. Par ailleurs, l’élimination quotidienne de 60 à 100 grammes de sucre diminue l’apport calorique, ce qui représente entre 240 et 400 calories par jour. Ce qui entraîne une perte de poids.»

Neuf diabétiques sur dix souffrent du diabète de type 2, en croissance constante

Le diabète touche 350 000 personnes en Suisse, soit 6,6% de la population. Il est dû à une anomalie dans le métabolisme du sucre (glucose). On en distingue deux sortes. 

Diabète de type 1

L’organisme ne fabrique pas d’insuline, hormone permettant au glucose de pénétrer dans les cellules. On le soigne par des injections répétées et quotidiennes d’insuline. Dans certains cas, on procède à la greffe de cellules du pancréas, l’organe qui produit l’insuline. Cette maladie, qui représente un cas de diabète sur dix, atteint des personnes minces et jeunes. 

Diabète de type 2

C’est la forme la plus courante de diabète, soit 90% des cas. Il découle soit d’une insuline insuffisamment efficace, soit d’une résistance à l’insuline au niveau cellulaire. Les médicaments administrés tendent donc à stimuler la production d’insuline ou à diminuer la résistance de l’organisme à cette hormone. Dans certains cas, des injections directes d’insuline sont nécessaires. En revanche, ce diabète est lié à l’obésité et touche le plus souvent des personnes de plus de 40 ans. Mais elle menace aussi les enfants et les jeunes obèses. Par ailleurs, à Genève, dans la population adulte, on trouve une prévalence de 3,6% de cas de diabète chez des gens qui ont un poids normal. L’Organisation mondiale de la santé considère que ce diabète a les caractéristiques d’une épidémie mondiale.

Il ne s’agit toutefois pas d’une panacée mais plutôt d’un médicament complémentaire quand, par exemple, un traitement standard ne suffit pas à stabiliser un diabète ou lorsque le patient ne veut pas d’injections d’insuline. Le Dr Vittorio Giusti, endocrinologue et spécialiste de l’obésité, estime lui aussi que l’empagliflozine n’est pas un médicament de premier recours, mais qu’il complète les possibilités actuelles de traitement. «Le diabète est une maladie dans laquelle plusieurs organes dysfonctionnent. Alors que les médicaments classiques agissent au niveau du pancréas, du foie et parfois du muscle, celui-ci s’attaque au rein. Les possibilités de traitement s’en trouvent augmentées. C’est important dans une maladie chronique comme celle-ci, l’objectif étant d’éviter les complications liées à la maladie, dont les affections cardiovasculaires.»

Un effet amaigrissant?

Ce médicament n’a-t-il pas également un intérêt pour la perte de poids? «C’est un effet intéressant, mais il faut savoir à quel type de perte de poids nous avons affaire, répond le Dr Vittorio Giusti. Le patient perd-il véritablement de la graisse ou s’agit-il juste d’eau? Une étude est en cours pour essayer de répondre à cette question.»

7000 patients testés entre 2010 et 2013

Plus de 7000 patients dans 42 pays ont participé à l’étude EMPA-REG, menée entre 2010 et 2013. Il s’agissait de personnes souffrant de diabète de type 2, à haut risque cardiovasculaire. Toutes étaient soumises à un traitement standard, visant soit à stimuler la production d’insuline, soit à réduire la résistance de l’organisme à cette hormone. Une partie des participants recevaient en plus, et à des doses différentes, de l’empagliflozine, une substance qui provoque l’élimination du sucre par voie urinaire. 

L’addition de l’empagliflozine au traitement standard a permis de réduire de 38% le risque de décès dû à un événement cardiovasculaire par rapport au traitement de base. La mortalité globale (toutes causes confondues) a diminué de 32%, et le risque d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque de 35%. L’amélioration du risque cardiovasculaire intervient en quelques jours ou quelques semaines. En revanche le médicament augmente les infections génitales. Vu le nombre de personnes souffrant de diabète dans le monde (plus de 387 millions), le médicament pourrait sauver des millions de vies selon les auteurs de ladite étude. Ainsi, en traitant 1000 patients souffrant de diabète de type 2 et de maladie cardiovasculaire, 25 vies pourraient être sauvées et 14 hospitalisations évitées. Par contre, le sucre dans les urines causerait une infection génitale chez 53 personnes. Mais ces résultats prometteurs méritent d’être confirmés.

La prise en charge du patient diabétique a par ailleurs beaucoup évolué au cours des trente dernières années et les complications dramatiques, comme la cécité, la gangrène, l’insuffisance rénale et les amputations, sont devenues rares. Mais à cause de l’augmentation spectaculaire des cas de diabète, elles ne disparaissent pas complètement. Pour les prévenir, le plus important reste la prévention. Et les recommandations sont toujours les mêmes: bouger, marcher, monter les escaliers, manger mieux (moins de sucre, moins de sel) et cuisiner des produits frais. Et faire tout cela avec plaisir!

En collaboration avec

Le Matin Dimanche

Articles sur le meme sujet
innovations_diabétiques

Ces innovations qui améliorent la vie des diabétiques

En matière de prise en charge du diabète, la révolution est pour bientôt. Un certain nombre de nouveautés simplifient déjà le quotidien des patients diabétiques de type 1 et 2. Passage en revue avec le professeur Jacques Philippe, chef du Service d’endocrinologie, diabétologie, hypertension et nutrition aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Epidémie de diabète : une bataille sur tous les fronts

Epidémie de diabète: une bataille sur tous les fronts

En raison du surpoids et du vieillissement, les personnes diabétiques sont toujours plus nombreuses, enfants compris. Pour y faire face, les HUG offrent une approche multidisciplinaire.
Mesure du diabète

Maladies chroniques et explications socioculturelles

Les maladies chroniques peuvent être étudiées sous un angle social et pas uniquement biologique. Pour certains chercheurs, une approche socioculturelle du soin se doit s’être proposée pour lutter contre le diabète, pandémie en constante augmentation dans le monde.
Videos sur le meme sujet

Première mondiale: une femme atteinte de diabète de type 1 produit sa propre insuline

Une étude chinoise apporte de lʹespoir dans la guérison du diabète de type 1.

"We Will Rock You" pour aider les diabétiques

Des scientifiques de lʹETH Zurich (EPFZ) ont élaboré une méthode qui permet de libérer de lʹinsuline dans le corps quelques minutes après avoir écouté de la musique.

La pose dʹune pompe à insuline de A à Z

En Suisse, on estime à 1 demi-million les personnes atteintes de diabète.