L’insomnie est très répandue mais se soigne

Dernière mise à jour 18/09/13 | Article
L’insomnie est très répandue mais se soigne
Deux heures du matin. Le tic-tac du réveil alterne avec les respirations de votre conjoint. Comme la nuit dernière, vous ne dormez toujours pas. Et comme la prochaine, craignez-vous.

De quoi on parle?

Les faits

Des chercheurs de l’Université de San Diego ont montré, grâce à des images par résonance magnétique (IRM), que certaines fonctions du cerveau sont moins performantes chez les insomniaques que chez les bons dormeurs, notamment en ce qui concerne la mémoire.

Vous n’êtes pas le seul: l’insomnie est un trouble extrêmement répandu. On estime qu’en Suisse, une personne sur trois n’est pas satisfaite de son sommeil et qu’une sur dix en ressent les conséquences durant la journée: fatigue et somnolence, troubles de la concentration et de l’humeur, stress et irritabilité. Pour ceux qui en souffrent, l’insomnie est un fléau. Pourtant, ils sont peu nombreux à demander de l’aide: près de sept insomniaques sur dix n’en ont jamais parlé à leur médecin, ont révélé des études. Cette situation frustre les spécialistes du sommeil, car l’insomnie se soigne.

Le cerveau «prend le pli»

Si vous vous décidez à consulter, le médecin n’aura pas besoin d’examens pour poser le diagnostic. Deux éléments lui suffisent: primo, vous vous plaignez que votre sommeil est difficile à trouver, insuffisant, entrecoupé ou non réparateur (ou tout cela à la fois) et, secundo, que vous en subissez des conséquences au quotidien, explique José Haba Rubio, médecin associé au Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil, à Lausanne. Pour mettre en place un traitement, il faut définir le type d’insomnie. Il en existe deux: l’insomnie primaire, dont les troubles apparaissent seuls, et l’insomnie secondaire, causée par une autre maladie. Cette dernière affecte deux insomniaques sur trois et survient en cas de troubles cardiaques (dont l’impact sur la respiration dégrade le sommeil), de dépression ou

d’anxiété(ruminer ses soucis empêche de s’endormir) ou de douleurs chroniques. «Les insomnies secondaires se traitent en soignant la maladie de base», explique le Dr Haba-Rubio. L’insomnie chronique primaire, elle, a des causes psychologiques. Elle survient souvent après un stress ou un choc émotionnel (deuil, licenciement, séparation) et «s’auto-entretient, reprend le médecin. C’est comme si, à force de mal dormir, le cerveau prenait cette situation pour acquise.» Pour le reconditionner et «éliminer progressivement ce cercle vicieux», on utilise une thérapie dite cognitivo-comportementale, qui agit à la fois sur les comportements et les attitudes à propos du sommeil. Les somnifères sont dans ce cas inopérants (lire encadré).

Le traitement commence par «des informations sur le fonctionnement et l’hygiène du sommeil, détaille le Dr Stephen Perrig, responsable du laboratoire du sommeil aux Hôpitaux universitaires de Genève. Des techniques de relaxation sont aussi enseignées pour aider au lâcher-prise.» Mais c’est le versant de reprogrammation des habitudes liées au sommeil qui est crucial, poursuit le médecin: «On ne se couche que quand l’on est somnolent. Si le sommeil ne vient pas après vingt minutes, il faut se lever et faire autre chose jusqu’à ce que la somnolence revienne. Le but de ce déconditionnement est que le lit ne soit plus associé à des moments désagréables.»

Moins de temps au lit

Une autre technique consiste à restreindre le temps passé au lit la nuit. En fixant des heures de coucher et de lever à respecter tous les jours et en proscrivant les siestes, on augmente la durée de veille et donc la fatigue. L’effet est physiologique: les malades trouvent plus facilement le sommeil quand ils se couchent.

«En renforçant cette «pression de sommeil», nous jouons beaucoup sur la perception que l’insomniaque a de son propre sommeil, explique le Dr Perrig. C’est une notion clé pour comprendre l’insomnie, car il est fréquent que cette perception soit mauvaise. Une fois au lit, le cerveau ne s’endort pas d’un bloc. Un insomniaque continue donc souvent à cogiter ou à écouter ce qui se passe dans la maison tout en étant endormi.» Livrer cette information au patient lui permet de mieux comprendre sa situation et, souvent, de le rassurer. Le cas échéant, on peut faire un pas supplémentaire en réalisant un enregistrement du sommeil en laboratoire. Différents capteurs et caméras observent le patient qui dort. Il arrive alors fréquemment que l’insomniaque, qui pense ne pas avoir fermé l’œil de la nuit, réalise qu’il a dormi quelques heures. Mais surtout, l’observation du sommeil permet de poser un diagnostic sur les causes de l’insomnie. Certaines, comme le syndrome des apnées du sommeil ou celui des jambes sans repos, doivent absolument être recherchées, car leur traitement nécessite des approches spécifiques.

Enfin, en plus d’identifier les causes, la médecine du sommeil apporte la «possibilité de déterminer la sévérité des troubles du sommeil», conclut le Dr Perrig. Qui insiste: «Les plaintes de sommeil ne doivent pas être banalisées, notamment parce qu’elles peuvent annoncer une dépression.»

Somnifères et addiction

Insomnie et dépression

Interactions

Les liens entre insomnie et dépression sont étroits. Etre insomniaque multiplie par quatre le risque de devenir dépressif, explique le Dr Haba-Rubio, du Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil, à Lausanne. «Mal dormir rend un peu triste et irritable. La concentration et la mémoire sont touchées. Une personne fatiguée diminue ses contacts

et risque un repli social.»

A l’inverse, la dépression est, chez huit personnes sur dix, une cause d’insomnie. Un phénomène similaire est observé avec l’anxiété et le stress, qui sont à la fois une conséquence et une cause de l’insomnie. En revanche, l’épuisement professionnel ne provoque généralement pas de manque de sommeil.

Un usage régulier de somnifères augmente les risques de cancer

Risques

Insomnies riment-elles avec somnifères? Surtout pas, expliquent les médecins. Le premier risque de prendre des somnifères est de ne plus pouvoir s’en passer (voir infographie). Mais leurs effets à long terme sont aussi préoccupants. Ainsi, l’an dernier, une étude épidémiologique publiée dans le British Medical Journal concluait que les usagers chroniques de somnifères connaissaient un risque de décès trois fois supérieur à la normale et 35% de chances de plus de souffrir d’un cancer.

Pour le Dr Haba-Rubio, c’est un indice de plus «qu’il faut utiliser ces médicaments avec précaution du fait de leurs effets secondaires et du risque de tolérance et d’accoutumance qu’ils présentent». En règle générale, les somnifères ne sont prescrits que si l’insomnie apparaît brutalement chez une personne qui dort habituellement bien. Sur quelques nuits, ils peuvent éviter que l’insomnie s’installe.

L’Etat de Vaud prend d’ailleurs le problème au sérieux puisqu’il a lancé cette année une campagne visant à sensibiliser la population âgée. On trouve ainsi chez les médecins et les pharmaciens des affiches et des prospectus incitant les personnes concernées à en parler à leur médecin. «C’est une initiative importante puisque l’on sait que, chez la personne âgée, les somnifères augmentent les risques de chutes, les pertes de mémoire, et que l’on suspecte même qu’ils pourraient accélérer la survenue de la démence», détaille le Pr Christophe Bula, chef de la gériatrie au CHUV à Lausanne.

En collaboration avec

Le Matin Dimanche

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