Le «locus coeruleus», gardien des cycles du sommeil

On a longtemps considéré que l’éveil et le sommeil étaient deux états diamétralement opposés. Mais de nouvelles recherches viennent bouleverser cette vision simpliste. À l’Université de Lausanne, la professeure en neurosciences Anita Lüthi et son équipe ont étudié l’activité du locus coeruleus, une zone nichée dans le cerveau, chez des souris pendant leur sommeil. Elles ont ainsi pu observer que, durant le sommeil profond, le locus coeruleus sécrétait toutes les 50 secondes de la noradrénaline, une molécule (neurotransmetteur) jouant un rôle clé dans l’éveil et la capacité à réagir aux stimuli externes.
Pourquoi ce phénomène durant le sommeil? Selon les chercheurs, cela pourrait être un mécanisme de protection, permettant –ici à la souris– de se réveiller rapidement en cas de danger. «Pour tout animal, dormir comporte un risque, car il n’est plus attentif à ce qui l’entoure», explique la Pre Lüthi. Ces fluctuations de la noradrénaline durant le sommeil profond permettraient de maintenir un état de vigilance, agissant de cette manière comme une sorte de système d’alarme intégré.
Permettre la transition vers le sommeil paradoxal
Mais les découvertes de l’équipe de Lausanne ne s’arrêtent pas là. Les fluctuations de ce neurotransmetteur rendraient possible la transition vers le sommeil paradoxal, ou sommeil REM (lire encadré), connu pour être la phase la plus propice aux rêves. Les chercheurs ont constaté que selon les niveaux de noradrénaline, il est possible ou non d’entrer dans la phase de sommeil paradoxal. Lorsque la concentration de noradrénaline atteint son maximum, l’éveil est facilité et la vigilance accrue, tandis qu’à son niveau le plus bas, la transition vers le sommeil paradoxal devient possible. Ce mécanisme exercerait donc une influence directe sur l’architecture du sommeil, en le structurant selon des cycles de 50 secondes.
Comprendre le sommeil pour mieux traiter les troubles mentaux
L’équipe d’Anita Lüthi a également mis en évidence que le stress perturbait les fluctuations de noradrénaline, ce qui ouvre de nouvelles pistes vers la compréhension des troubles du sommeil. «Le stress altère la fonction du locus coeruleus, entraînant des réveils plus fréquents et retardant l’apparition du sommeil paradoxal», indique la spécialiste. Des études ont aussi fait apparaître que l’architecture du sommeil, notamment la répartition entre le sommeil REM et le sommeil non-REM, est perturbée en présence de troubles psychiatriques ou neurologiques, tels que la dépression ou la maladie de Parkinson.
La prochaine étape de ces travaux? Étudier ce système chez l’humain. «Nous devons d’abord vérifier si on retrouve ces fluctuations de 50 secondes chez nos patients, souligne le Dr Geoffroy Solelhac, spécialiste en médecine du sommeil au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Si c’est le cas, nous pourrons ensuite évaluer leur éventuelle relation avec certaines pathologies grâce aux données récoltées sur plus de 2000 personnes lors de l’étude de cohorte HypnoLaus.» Il s’agira, in fine, de trouver des traitements aux troubles du sommeil en agissant sur le locus coeruleus. «Sachant que le stress affecte ce rythme, est-ce qu’une réduction du stress pourrait améliorer sa régularité?», s'interroge le Dr Solelhac. Avant d’ajouter: «Une autre question à laquelle nous aimerions répondre: est-ce que des thérapies, médicamenteuses ou non, pourraient alors s’avérer utiles?»
Une autre piste prometteuse pourrait concerner les maladies neurodégénératives. Des études ont en effet montré que le locus coeruleus compte parmi les premières structures touchées lors du développement de la maladie d’Alzheimer. Ces atteintes surviendraient très tôt, bien avant les premiers symptômes. «Identifier des déficits fonctionnels du locus coeruleus à un stade préclinique de la maladie permettrait peut-être d’utiliser le sommeil pour détecter ces maladies de manière précoce», conclut la Pre Lüthi.
Zoom sur les phases du sommeil
Un cycle complet de sommeil dure environ une heure et demie. Pour rappel, il existe quatre stades de sommeil:
Sommeil non-REM*
- Stades 1 et 2: sommeil léger
- Stade 3: sommeil profond
Sommeil REM (ou sommeil paradoxal)
- Stade 4: sommeil profond
À mesure que la nuit avance, la proportion de sommeil profond (stade 3) diminue, tandis que celle de sommeil paradoxal (stade 4) augmente.
* Le terme REM vient de l’anglais «rapid eye movement» (mouvement rapide des yeux). Ce stade est aussi appelé «sommeil paradoxal» en raison du contraste entre l’intense activité cérébrale et le relâchement complet des muscles durant ce laps de temps. C’est pendant cette phase que l’on rêve le plus.
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Paru dans Planète Santé magazine N° 56 – Mars 2025

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