Un espoir contre les cauchemars
Les cauchemars sont des rêves qui surviennent pendant le sommeil dit paradoxal, une phase durant laquelle le cerveau est très actif alors que le corps est paralysé. Cette phase aurait notamment pour rôle de consolider la mémoire et de traiter les émotions négatives. Mais lorsque les cauchemars sont trop fréquents (à partir de deux fois par semaine) et ont un impact négatif sur la vie quotidienne, on parle de «maladie des cauchemars», un trouble qui concernerait 4% de la population adulte dans le monde.
«On sait que les troubles du sommeil rendent plus vulnérable à de nombreuses pathologies psychiatriques, c’est une relation très étroite. C’est pour cette raison qu’il est essentiel de faire de la recherche à ce sujet et de développer des traitements», explique Sophie Schwartz, professeure ordinaire au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’Université de Genève (UNIGE), co-auteure d’une nouvelle thérapie innovante pour lutter contre la maladie des cauchemars.
Changer les cauchemars en rêves
L’originalité de ce nouveau traitement vient de la combinaison de deux thérapies existantes. La première est la thérapie par répétition d’imagerie mentale (IRT, pour Imagery Rehearsal Therapy), déjà utilisée pour le traitement des cauchemars. Son principe est simple: on raconte un de ses cauchemars, mais au lieu d’aller jusqu’au bout de l’histoire, soit le moment le plus terrifiant, on imagine un dénouement alternatif et on transforme le cauchemar en une histoire qui finit bien. «On demande aux patients et patientes d’imaginer cette fin positive et de la répéter une fois par jour, explique la chercheuse de l’UNIGE. L’idée est de fabriquer une nouvelle autoroute pour le cerveau, un nouveau souvenir. Au moment où le cauchemar démarre, il aura plus de chances de se diriger vers le nouveau scénario, donc vers une issue positive, parce que celle-ci aura été répétée régulièrement.» Et la méthode fonctionne, puisqu’on observe une diminution des cauchemars au bout d’environ deux semaines de pratique. Son seul défaut, c’est qu’elle ne fonctionne pas chez tout le monde et qu’elle est relativement lente à mettre en place.
Une madeleine de Proust du sommeil
Pour tenter de contourner ces inconvénients, le Dr Lampros Perogamvros, chef de clinique scientifique au Centre de médecine du sommeil du Département de psychiatrie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), a eu l’idée de coupler la thérapie IRT à la méthode de réactivation de mémoire ciblée (TMR, pour Targeted Memory Reactivation), une procédure expérimentale utilisée notamment pour renforcer la mémoire. Elle consiste à associer un stimulus sensoriel simple (son, odeur, toucher ou même goût) à n’importe quel autre élément (une image, un événement ou, comme ici, un cauchemar). «C’est le principe de la madeleine de Proust, résume Sophie Schwartz, qui a travaillé sur cette innovation avec le Dr Perogamvros. On présente en même temps les deux informations de manière répétée pour qu’au moment où on propose le stimulus sensoriel simple (le goût de la madeleine, chez Proust), le souvenir de l’événement associé soit quasi automatiquement réactivé. C’est comme un hameçon.»
Sur la base de la première thérapie (IRT), qui consiste à modifier l’issue du cauchemar, on a donc superposé la méthode TMR en y ajoutant un son. L’équipe de l’UNIGE et des HUG a réuni 36 patients et patientes souffrant de la maladie des cauchemars. Deux groupes ont été constitués: l’un devant mettre en pratique la thérapie classique par IRT uniquement et l’autre, la thérapie couplée. Chez ce deuxième groupe, un accord de piano était joué toutes les dix secondes pendant l’exercice de répétition afin qu’il soit associé au nouveau scénario positif du rêve. Le son était ensuite rejoué pendant le sommeil afin de réactiver le souvenir positif dans les rêves.
Des résultats prometteurs
Dans les deux groupes, les cauchemars ont diminué. Mais la diminution était plus importante, allant même jusqu’à l’élimination des cauchemars, dans le groupe ayant suivi la thérapie couplée. Un succès donc pour cette innovation médicale et un espoir pour toutes les personnes qui souffrent de cauchemars récurrents.
Beaucoup de personnes font des cauchemars toute leur vie mais n’osent pas en parler, par peur d’être stigmatisées, déplore Sophie Schwartz: «Dans notre société, nous entretenons un rapport complexe avec nos rêves et en parler est considéré comme impudique. Comme si le cauchemar révélait forcément quelque chose de honteux ou de pervers. C’est regrettable, parce que les cauchemars fréquents peuvent avoir un impact négatif sur la santé et devenir une source de souffrance, il n’y a donc pas de raison de les tolérer sans rien faire. Il ne faut pas avoir peur de consulter un spécialiste du sommeil car les cauchemars se traitent.»
Les cauchemars sont-ils utiles?
Des mauvais rêves, tout le monde en fait, mais ce qui distingue un cauchemar est le fait qu’il réveille presque toujours le dormeur ou la dormeuse et provoque une détresse émotionnelle qui peut perdurer après le réveil, par exemple un très fort sentiment de danger. Selon une théorie en neurosciences, les mauvais rêves serviraient à exercer nos réactions en cas de danger. Dans nos vies quotidiennes relativement exemptes de dangers physiques, ces rêves joueraient le rôle d’exercices, comme une simulation de scénarios de danger. Mais lorsqu’ils deviennent trop fréquents et intenses, altérant le bien-être pendant la journée et provoquant une peur d’aller dormir, cette fonction n’est plus assurée, d’où la nécessité de les traiter.
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Paru dans Planète Santé magazine N° 48 – Mars 2023
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