De la mémoire aux émotions, les rêves et le sommeil ont de multiples fonctions
Durant l’Antiquité déjà, les peuples égyptiens, grecs et latins se prêtaient à l’oniromancie, un art qui visait à leur faire découvrir les clés de lecture et d’interprétation de leurs rêves. Ils leur attribuaient également une forte fonction rituelle et expiatoire qui disparut peu à peu au fil des siècles. C’est à l’aube du XXe siècle que la fascination pour les rêves connut un second essor majeur grâce à l’avènement de la psychanalyse, aux premiers travaux expérimentaux mais également aux peintres et écrivains surréalistes, qui virent en eux le moyen de découvrir nos conflits internes dissimulés et d’accéder à la puissance d’un inconscient jusque là ignoré. Aujourd’hui, des recherches scientifiques mues par la fascination pour le vaste monde qu’est celui du sommeil et de nos rêves cherchent à en percer les mystères.
Essentiel pour la mémoire
Selon les études actuelles, le sommeil et les rêves que nous faisons sont absolument indispensables à notre développement cérébral, et plus particulièrement à la consolidation de notre mémoire. «Durant la journée, explique le Pr Schwartz, nous sommes constamment en train de sélectionner des éléments de notre environnement. Mais nous sommes incapables de retenir l’ensemble des stimuli auxquels nous sommes confrontés. Nous retenons donc les éléments qui nous interpellent, comme par exemple ceux qui nous touchent émotionnellement. Nous pourrions croire que cette activité cérébrale intense de mémorisation cesse lorsque nous dormons et que nous sommes coupés de tout stimulus extérieur; or ce n’est pas du tout le cas, bien au contraire! Le traitement sélectif que nous opérons durant toute la journée est renforcé par notre sommeil, et sans doute par nos rêves.»
Parmi les nombreux mécanismes entamés le jour qui continuent la nuit, l’un d’entre eux a été isolé à plusieurs reprises dans des études. Ainsi, il a été prouvé que les cellules cérébrales qui s’activent lors d’une tâche motrice ou cognitive exercée durant la journée (par exemple, l’apprentissage d’une partition de piano)se réactivent de façon spontanée durant notre sommeil, renforçant de cette façon notre traitement sélectif diurne et notre travail de mémorisation. «Au-delà de cette consolidation, précise le Professeur Schwartz, il se met en place également une réorganisation de la mémoire; bref, une véritable gymnastique cérébrale nocturne indispensable.»
Crucial pour l’apprentissage
Tout comme pour la mémoire, des études ont démontré le rôle du sommeil pour l’apprentissage. Au cours d’une expérience, on a demandé à des sujets volontaires de se déplacer dans un labyrinthe virtuel présenté sur un écran d’ordinateur. Les sujets qui dormaient après et qui rêvaient de cette tâche présentaient une nette amélioration dans l’exécution de cette même tâche le lendemain. Les changements cérébraux nécessaires à notre apprentissage sont donc plus permanents et génèrent une plus grande efficacité lorsque nous dormons la nuit qui suit notre effort d’apprentissage. Ainsi par exemple, une forte activation de l’hippocampe (région du cerveau très impliquée dans la mémoire et la navigation spatiale) pendant le sommeil à ondes lentes va de pair avec une amélioration de la connaissance spatiale du labyrinthe virtuel. En d’autres termes, la «rumination» cérébrale qui survient lors de notre sommeil et nos rêves est intrinsèquement liée à notre propre développement cognitif.
Les mauvais rêves
Si les données scientifiques actuelles s’accordent sur les rôles positifs du sommeil et des rêves, il n’en est pas moins vrai que ces derniers sont souvent perçus par les individus de façon négative et désagréable. Nous nous souvenons effectivement principalement des rêves à connotation émotionnelle négative. Les cauchemars récurrents peuvent aussi être des symptômes chez les personnes atteintes de stress post-traumatique ou vivant des situations difficiles. Leur absurdité et leur bizzarrerie peuvent être mal comprises et perturbantes pour l’individu qui en fait l’expérience; de plus, nous rencontrons souvent dans nos rêves les angoisses qui occupent déjà toutes nos journées… Autrefois expliqués par les psychanalystes comme l’expression de nos pulsions refoulées, de quelle façon ces éléments sont-ils expliqués aujourd’hui par la science ? Nous savons que, dans le cerveau, les circuits des émotions sont fortement activés pendant le sommeil, en particulier le sommeil paradoxal, explique le Pr Schwartz, et ceci permet notamment à des éléments émotionnels de la mémoire d’être réactivés de manière privilégiée pendant le sommeil. Ainsi, la nuit venue, notre cerveau «rejoue» nos souvenirs émotionnels de façon largement indépendante de notre volonté. Alors que nous ne sommes pas aujourd’hui en mesure d’affirmer que les rêves régulent activement nos conflits intérieurs de nombreuses études montrent qu’ils reflètent notre état psychique du moment. De plus, il est communément admis que le manque de sommeil (et par conséquence de rêves) engendre de l’irritation et des comportements à risques, qui dépendent aussi des circuits cérébraux des émotions et qui peuvent influer sur notre bien-être.
Des rêves d’intensité variable
Différentes caractéristiques typiques de nos rêves telles que la bizarrerie ou l’intensité émotionnelle s’expliquent entre autres par le fait que certaines régions cérébrales n'ont pas le même niveau d’activation pendant le sommeil que pendant la journée. Ainsi, l’amygdale (zone importante pour les émotions) est très activée durant le sommeil paradoxal (que l’on associe à une activité onirique plus intense). Le cortex préfrontal (siège des fonctions de contrôle, d’orientation de l’attention et de surveillance), quant à lui, voit son activité chuter complètement.
Ce phénomène pourrait expliquer pourquoi nous ne luttons pas contre les incohérences que nous rencontrons dans nos rêves et que, pourtant nous détecterions immédiatement durant l’état d’éveil - les mêmes incohérences qui avaient suscité l’intérêt et la fascination des adeptes du surréalisme.
Au vu des différents rôles cognitifs et affectifs évoqués du sommeil et des rêves, il apparaît donc clairement qu’ils sont un pilier nécessaire à notre bien-être physique et psychique. Et si l’étrangeté des rêves ne peut être imputée aujourd’hui à de simples pulsions refoulées, elle peut néanmoins permettre aux dormeurs de mettre le doigt sur les aspects de leur vie qui les préoccupent. Enfin, si notre conception des rêves a largement évolué depuis les balbutiements de l’art divinatoire jusqu’aux découvertes scientifiques d’aujourd’hui, elle n’en demeure pas moins un objet d’étude toujours aussi passionnant, et dont les mystères ne sont pas encore tous révélés.
Les trois cycles du sommeil
Le sommeil peut se définir comme un changement d’activité cérébrale au cours duquel trois grands cycles se distinguent: l’endormissement, le sommeil à ondes lentes et le sommeil paradoxal. Les cycles de sommeil à ondes lentes et paradoxal alternent de trois à cinq fois durant une même nuit de sommeil.
Le premier état, l’endormissement, constitue la transition entre l’éveil et le sommeil.
Le sommeil à ondes lentes peut lui-même se décomposer en plusieurs stades allant d’un sommeil léger à un sommeil très profond. Au fur et à mesure de la succession de ces différents stades, l’état de sommeil du dormeur devient de plus en plus profond et l’activité cérébrale de plus en plus faible, avec des ondes très synchronisées.
C’est durant le sommeil paradoxal que nous rêvons le plus. Cette phase ultime tient son nom du paradoxe qui la caractérise. En effet, au cours de cette dernière, l’activité cérébrale est très forte et désynchronisée, très semblable à celle observée à l’éveil au repos, et des signes évidents d’activité tels qu’une respiration rapide et des mouvements oculaires peuvent être observés. Or, les muscles sont en atonie, complètement immobiles.
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