La piste des odeurs blanches
Dans l’univers des sens, rien de plus courant que de tester la vision ou l’audition en cas de doute. Évaluer les performances de l’odorat s’avère en revanche bien plus complexe. Trois explications entrent en jeu.
«Les odeurs blanches sont étonnantes et insolites»
ESTELLE, praticienne en thérapie olfactive, a travaillé pendant vingt ans en tant que chimiste dans l’industrie du parfum. Elle s’est portée volontaire pour l’étude portant sur le test SMELL-RS.
«Je ne m’étais jamais prêtée à un test d’olfaction comme celui-là. L’expérience m’a beaucoup plu: les instructions de l’appareil sont claires et la démarche plutôt ludique. Les "odeurs blanches" sont étonnantes et insolites. Alors, pour les mémoriser, j’ai tenté de les raccrocher à des souvenirs, le bois de coco pour l’une, un baume utilisé pour les douleurs musculaires pour une autre…»
La première relève d’un biais culturel. La logique est implacable: il est quasi impossible de reconnaître et nommer une odeur jamais rencontrée auparavant. La deuxième englobe les disparités individuelles. Et pour cause, chaque personne naît avec un set de près de 400 récepteurs olfactifs qui lui est propre et ne couvre bien entendu pas la totalité des odeurs existantes. Dès lors, une personne ne sera en mesure de percevoir une odeur donnée que si elle est équipée des récepteurs correspondant à cette odeur. «Ces deux aspects expliquent les limites des tests actuels, puisque ces derniers se fondent sur l’identification d’odeurs bien précises. Dès lors, de mauvais résultats sont-ils le signe d’un réel trouble de l’olfaction, d’une méconnaissance de l’odeur présentée ou d’une spécificité génétique? L’énigme peut être totale», résume le Dr Julien Hsieh, chef de clinique à l’Unité de rhinologie et olfactologie et à l’initiative du test olfactif SMELL-RS, actuellement étudié aux HUG.
Test universel
Quant au troisième obstacle, il relève d’aspects pratiques: «Le test le plus utilisé en Europe, appelé Sniffin’Sticks, fait intervenir plusieurs séries de feutres odorants. Il dure environ 45 minutes, nécessite un matériel précis et une supervision en continu par un ou une soignante expérimentée. Tout cela limite sa faisabilité à large échelle», souligne Nathalie Isidor, infirmière spécialisée au NeuroCentre, centre des HUG dédié à la recherche et partenaire de l’étude portant sur le test SMELL-RS. D’où l’idée de ce test universel. D’abord pensé au sein de l’Université de Rockefeller, aux États-Unis, par le Dr Hsieh et ses collègues – la Pre Leslie Vosshall et le Dr Andreas Keller –, il a fait l’objet d’une collaboration avec les HUG, où il est aujourd’hui en phase de test clinique pour évaluer sa fiabilité et sa capacité à établir des normes officielles. Les résultats sont attendus dans les mois à venir.
Double avantage
Parmi ses secrets: le recours à des odeurs blanches. «À l’instar de la lumière blanche, qui résulte d’un mélange de longueurs d’onde, nous avons créé des composés olfactifs inédits en associant une vingtaine de molécules différentes choisies selon leur composition chimique», explique le Dr Hsieh. Double avantage: l’odeur est bien réelle, mais inédite pour tout le monde – ce qui lève le biais culturel – et la variété des molécules utilisées multiplie les chances d’activer des récepteurs olfactifs, contournant ainsi le biais génétique. Avantage supplémentaire: se présentant sous la forme d’une tablette délivrant elle-même les échantillons successifs, le procédé est en grande partie automatisable. En pratique, il repose sur deux étapes. La première, dite «SMELL-S», est le test de sensibilité. Il évalue la capacité à détecter une odeur blanche de plus en plus diluée. Le second, «SMELL-R», est le test de résolution. Il s’agit alors de reconnaître une odeur blanche «intruse» parmi deux autres.
Attendu en Allemagne, aux États-Unis ou encore en Chine, le test, s’il confirme ses performances, pourrait transformer la prise en charge des personnes souffrant de troubles de l’olfaction. Et plus encore: «Ces troubles constituent l’un des premiers symptômes de pathologies neurodégénératives telles que les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson, qui altèrent très tôt les zones cérébrales dédiées à l’olfaction. Bénéficier d’outils diagnostics fiables et universels serait une avancée majeure pour leur prise en charge», précise le Dr Hsieh.
«Le Covid m’a fait perdre l’odorat»
ALEXANDRA, aide-soignante. Atteinte de Covid long, elle a multiplié les tests d’olfaction et en a expérimenté les limites.
«En 2020, le Covid m’a fait perdre l’odorat. Depuis, je récupère doucement, mais certaines odeurs m’échappent encore, à tel point que j’ai mis le feu à ma cuisine en quittant la pièce sans me rendre compte que j’avais allumé la mauvaise plaque de cuisson… Et pourtant, tous les tests que j’ai faits ont donné des scores "dans la norme". Je suis très bien prise en charge aux HUG, mais ces résultats restent troublants au vu de ce que je vis au quotidien.»
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Article repris du site pulsations.swiss