Anosmie et agueusie: à propos d’un cas
Perdre sensiblement l’odorat suite à un rhume et ne plus vraiment sentir le goût de ce que l’on met en bouche: voilà un trouble auquel tout un chacun s’est retrouvé confronté, à un moment ou à un autre, de façon temporaire. La baisse de l’odorat est en effet intimement liée à notre perception du goût: nous «sentons» par l’arrière-gorge (on parle de «voie rétronasale») toutes les saveurs et odeurs des aliments que nous ingérons. Or, si la perte gustative n’est en général qu’une impression temporaire et secondaire à une infection des voies nasales, il arrive qu’il s’agisse d’une réelle pathologie qui perdure. Plutôt rare, cette affection peut provenir de diverses causes: effets secondaires de médicaments, maladies neurologiques, traumatismes ou accidents vasculaires cérébraux, ainsi que maladies touchant la cavité buccale et/ou nasale.
Cause traumatique
La diminution et la disparition complète de la gustation semblent le plus souvent être dues à une cause traumatique. En effet, perdre complètement son odorat suite à un accident impliquant un traumatisme crânien est chose fréquente: les brusques mouvements dont le cerveau est victime peuvent sectionner complètement les fibres olfactives ou provoquer des contusions cérébrales. Par conséquent, ces patients souffrant de perte olfactive ressentent aussi une réduction de leur perception des goûts (salé, sucré, acide, amer et monosodium glutamate). Il n’est pas toujours facile en revanche de savoir si cette atteinte est d’origine périphérique ou centrale, tant ces deux modalités sont liées.
Sentir et goûter: deux sens très proches
Trois nerfs relient notre cavité orale à notre cerveau pour lui transmettre des informations sensorielles. Ces nerfs transitent par le noyau du tractus solitaire et par le thalamus. Ils passent ensuite par l’insula-opercule frontal (le cortex gustatif primaire), jusqu’au cortex orbitofrontal (le cortex gustatif secondaire). Dans ce dernier, les informations gustatives rejoignent deux autres sens chimiques: l’odorat et la fonction intranasale trigéminale (sensibilité de la muqueuse intranasale).
S’intéressant à la concordance entre la perte olfactive et gustative, des scientifiques se sont penchés sur le cas particulier d’un homme victime d’une chute dans le cadre de son travail. Suite à un traumatisme crânien, le patient ne ressent plus aucun goût. Sa muqueuse nasale a perdu toute sa sensibilité: il ne distingue plus, par exemple, le picotement du poivre ni la fraîcheur de la menthe. Son examen ORL révèle d’importantes contusions au niveau du cortex orbitofrontal et des examens ultérieurs confirment la perte simultanée de trois sens chimiques: l’olfactif, le gustatif et l’intranasal trigéminal.
Si la perte d’odorat, causée par l’arrachement des fibres olfactives, provient d’une lésion périphérique, ce cas précis prouve qu’une lésion unique centrale peut à elle seule avoir d’importantes répercussions sur les perceptions sensorielles. En effet, c’est dans cette région du cerveau –le cortex orbitofrontal– que convergent les trois sens chimiques perdus par le patient en question.
Diagnostic et récupération
Face à une personne présentant une altération du goût et de l’odorat, il est indispensable pour les médecins de tester le fonctionnement des deux sens, afin de s’assurer qu’il s’agit d’une réelle pathologie et non d’une impression passagère. La récupération pour les patients souffrant d’une perte olfactive sans relation avec une infection des voies nasales est malheureusement mauvaise: seuls 10 à 15% récupèrent une fonction normale suite au traumatisme. Quant aux troubles gustatifs, aucune donnée claire n’est disponible pour le moment dans la littérature scientifique. On sait seulement qu’ils ont tendance à régresser lorsqu’ils sont causés par des traumatismes comme des accidents vasculaires cérébraux.
Ainsi, bien que peu rapporté dans la littérature scientifique et même sous-estimé, le syndrome d’agueusie-anosmie devrait être davantage recherché en présence d’un changement dans la perception des goûts et des odeurs. Des descriptions cliniques très similaires retrouvées chez les survivants de la Seconde Guerre mondiale, victimes de traumatismes crâniens, attestent notamment de son existence depuis plusieurs décennies déjà.
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Adapté de «Anosmie et agueusie: à propos d’un cas», Drs Charbel Rahban et Basile Nicolas Landis, Service d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale, Hôpitaux universitaires de Genève (HUG); Dr Angeliki Ailianou, Service de radiologie diagnostique, HUG; Dr Etienne Jacot, Service d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale, Hôpital régional Civico Lugano. In Revue Médicale Suisse 2015;11:1787-90. En collaboration avec les auteurs.