Pesticides: la santé des agriculteurs en première ligne
Quid de la population générale?
«Les risques de la population générale ne sont pas comparables», souligne Aurélie Berthet, toxicologue responsable de recherche à Unisanté. Les travailleurs agricoles sont exposés aux produits concentrés. Du côté de Monsieur et Madame Tout-le-Monde, l’exposition aux pesticides dépend de leur lieu de vie. Si le domicile est en milieu rural, les habitants peuvent inhaler ces produits de synthèse, mais dans une moindre mesure par rapport aux agriculteurs. La population urbaine est susceptible quant à elle de consommer des résidus de pesticides contenus dans l’eau et les aliments. Les conséquences de cette exposition sont encore très discutées au sein de la communauté scientifique et sur la scène publique. Le débat actuel sur le glyphosate est représentatif de la tension que soulève cette thématique.
Glyphosate, agriculture bio, contamination des eaux: les pesticides font la Une. Si l’impact de ces produits sur la santé de la population fait débat, les travailleurs agricoles sont souvent absents des considérations. Pourtant, ce sont eux qui sont en contact direct avec les pesticides. Au sein du Département Santé au travail et environnement (DSTE) du Centre universitaire de médecine générale et de santé publique (Unisanté), on étudie l’exposition professionnelle aux pesticides. En rassemblant les données existantes de la recherche sur le sujet, les scientifiques ont pu faire le point sur les connaissances établies, mais aussi constater le manque de données.
Dans le langage courant, le terme «pesticide» désigne les produits phytosanitaires, permettant de protéger les plantes des agressions extérieures. En Suisse, deux tonnes de pesticides sont vendues chaque année. Ils se déclinent en plusieurs catégories, dont les plus connues sont les herbicides, les insecticides et les fongicides. Ces produits peuvent être issus de la chimie de synthèse ou être d’origine naturelle. «Il ne faut pas pour autant associer les pesticides naturels à l’absence de risques, avertit Aurélie Berthet, toxicologue responsable de recherche à Unisanté. Le cuivre et le souffre, utilisés en agriculture biologique, peuvent être nocifs à haute dose.»
Exposition chronique
Directement en contact avec les produits, les premiers concernés sont les opérateurs, impliqués dans la préparation et l’application des pesticides. Les travailleurs agricoles, les paysagistes et les horticulteurs sont exposés lorsqu’ils se rendent dans les cultures traitées. «Les travailleurs sont exposés aux produits à 90% par contact avec la peau, explique Aurélie Berthet. Les 10% restant sont liés à l’inhalation.» Des équipements de protection existent, mais ne garantissent pas une protection complète. De plus, leur efficacité est limitée. «Quelques agriculteurs refusent même de porter les combinaisons, car elles sont peu supportables dans la chaleur estivale», raconte la toxicologue.
Pourtant, des études montrent le lien entre une exposition continue aux pesticides et certaines pathologies. Le premier risque, c’est l’empoisonnement suite à l’exposition à une forte dose. Si ce danger est bien connu, quelle menace pèse sur le travailleur qui est tous les jours en contact avec une petite quantité de pesticides? Tout d’abord, l’exposition entraîne un risque de développer des maladies respiratoires et dermatologiques. Lorsqu’on étudie les populations d’agriculteurs, on observe également une prévalence des maladies dégénératives, comme Parkinson et Alzheimer, et des cancers, notamment celui de la vessie, de la prostate, ainsi que le lymphome non-hodgkinien.
Données décentralisées
Les herbicides et les insecticides seraient les principaux incriminés. Difficile, cependant, de pointer du doigt un pesticide en particulier. Les produits contiennent plusieurs substances, susceptibles de développer un effet cocktail. «On peut toutefois suspecter six substances, développe Aurélie Berthet. Il existe un lien entre le glyphosate, le chlorpyrifos et le lymphome non-hodgkinien. Le mancozeb est quant à lui associé à la maladie de Parkinson.» Ces trois substances, ainsi que le mecoprop, le 2,4-D et le MCPA sont également suspectées d’augmenter le risque de cancer du sang. Les adjuvants, qui permettent à la substance active de pénétrer dans la plante, ainsi que les solvants auraient aussi des effets sur la santé.
Pour mieux comprendre les conséquences des pesticides sur la santé des travailleurs agricoles, il faut étayer les données existantes. Actuellement, elles sont collectées de façon isolée par plusieurs organismes. L’Agroscope, le centre fédéral pour la recherche agricole, a entamé les démarches pour réunir des informations sur l’utilisation. Une procédure que salue Aurélie Berthet. «La thématique de l’environnement est mise en avant depuis des années, mais la santé des agriculteurs a parfois été oubliée. Il est important de les soutenir, car ce sont les premiers concernés», conclut la chercheuse.
Entre critique populaire et insectes ravageurs
Si les chercheurs manquent de données sur la santé des travailleurs agricoles, c’est notamment car ces derniers ne sont pas des habitués des consultations médicales. «Mon assurance perte de gain n’entre pas en vigueur avant trois semaines, témoigne l’agriculteur Hansruedi Roder. Je ne peux financièrement pas me permettre de rester alité.» Le Genevois ne se sent pas menacé par les pesticides qu’il utilise et ne porte pas d’équipement de protection. Cela pour prévenir les coûts supplémentaires, mais aussi pour éviter d’être dévisagé: «Cela suscite la réaction des gens. La semaine passée, j’ai été photographié par un passant. Imaginez ce que ce serait si je portais une grosse combinaison.»
Pourquoi ne pas passer à l’agriculture biologique? «Ce n’est pas si simple, sourit l’agriculteur. Il faut assurer un rendement minimum pour pouvoir vivre de la profession.» Face à certaines maladies ou insectes, des champs entiers peuvent être décimés. La globalisation et le changement climatique amènent de nouveaux risques pour les cultures. Hansruedi Roder cite le cas de la mouche du brou du noix, une espèce invasive venue du Mexique qui dévaste les noyers. Difficile de faire face à ces ravageurs sans produits de synthèse. Cela n’empêche cependant pas les agriculteurs d’être sensibles à la question des pesticides. Hansruedi Roder a réduit les doses de produits phytosanitaires, parce que ses cultures de céréales et d’oléagineux le permettent. Il attend le développement de techniques permettant d’allier durabilité et rentabilité, comme le désherbage électrique. «Mais l’abandon progressif des pesticides ne peut pas se faire sans un changement d’habitudes du consommateur, souligne l’agriculteur. Il doit accepter d’avoir dans son panier des légumes moins esthétiques. La qualité des denrées est trop souvent jugée selon leur apparence, ce qui est un mauvais indicateur.»
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Paru dans le Quotidien de La Côte le 08/05/2019.