Alerte aux PFAS, que faire?

Régulièrement, le terme PFAS (comprendre «substances per- et polyfluoroalkylées») revient sur le devant de la scène quand des valeurs inquiétantes sont mesurées dans les eaux souterraines et dans les sols. Les cantons de Genève, Vaud, Valais et Bâle-Campagne sont particulièrement touchés. Si la Suisse entière est concernée, l’Europe et un grand nombre de pays industrialisés le sont également.
Conseils pour limiter l’exposition aux PFAS
Difficile de savoir où se trouvent les PFAS et donc comment les éviter. Les aliments peuvent être contaminés par le terrain sur lequel ils sont produits, mais aucune étiquette ne le précise. Seule certitude, la plupart des accessoires de cuisine ayant des propriétés antiadhésives sont susceptibles de contenir des PFAS. «Les poêles sans revêtement (acier, inox) sont dépourvues de PFAS et cuisent tout aussi bien les aliments. On peut aussi utiliser des ustensiles en bois ou en métal plutôt qu’en plastique. Enfin, il convient de ne pas réchauffer un plat dans un contenant plastifié pour éviter une contamination de la nourriture», explique Anne Onidi, spécialiste des tests comparatifs à la FRC. Certains fabricants apposent sur leurs poêles et autres casseroles la mention «sans PFAO», ce dernier acide entrant dans la fabrication des objets en téflon. En dehors de la cuisine, il est conseillé d’éviter les cosmétiques waterproof et de ne pas acheter de tissus techniques comme ceux en Gore-Tex par exemple. «S’il faut vraiment se procurer une veste de pluie, l’idéal est de miser sur un article de seconde main. Cela évite de produire un nouveau vêtement et donc des PFAS supplémentaires», précise Anne Onidi. Attention également à certains composés entraînant une exposition importante. «Il s’agit en particulier des cires de fartage et des sprays d’imprégnation contenant des PFAS. En cas d’utilisation, il est impératif de respecter les consignes de sécurité fournies par le fabricant. Par exemple, lors de l’application de cire de fartage, il est essentiel de le faire à l’extérieur ou dans un endroit bien ventilé. En outre, le port d’équipements de protection individuelle (EPI), tels que des gants et des masques, est important pour se prémunir de toute exposition potentielle. Les mêmes précautions s’appliquent à l’usage des sprays imperméabilisants. Enfin, il faut veiller à ce que ces produits soient conservés dans un endroit sûr et inaccessible pour les enfants», explique Céline Reymond, porte-parole de l’OFSP.
Comment se fait-il que ces PFAS semblent être partout et surtout y rester? «Ils regroupent plus de 10’000 composés chimiques différents, formant ainsi une grande famille de molécules qui contiennent du carbone et du fluor. Or la liaison chimique entre ces deux éléments est très forte, c’est la raison pour laquelle les PFAS sont pratiquement indégradables et donc persistants», explique Federica Gilardi, responsable adjointe à l’Unité facultaire de toxicologie du Centre universitaire romand de médecine légale (CURML).
Des données toxicologiques encore très lacunaires
Utilisés principalement en raison de leurs propriétés permettant de repousser l’eau et les corps gras, ces polluants investissent des domaines très variés. «On en trouve dans les vestes de pluie et les tissus techniques, dans les papiers d’emballage d’aliments issus notamment des fast-foods ainsi que dans les cosmétiques waterproof ou encore dans les poêles antiadhésives, les rideaux de douche, les tapis et autres textiles traités contre les tâches, entre autres», détaille Anne Onidi, spécialiste des tests comparatifs à la Fédération romande des consommateurs (FRC).
Céline Reymond, porte-parole de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), explique: «En raison du large éventail d’utilisations et de la persistance de ces composés chimiques, la contamination peut se produire dans tous les milieux environnementaux, y compris l’eau, l’air, le sol et la chaîne alimentaire. L’ensemble de la population est donc potentiellement en contact avec ces substances à des degrés divers. On considère que le principal risque d’exposition aux PFAS se fait via l’ingestion, parce que leur absorption par voie orale est plus importante que par la peau.» En d’autres termes, se baigner dans une eau contaminée a moins d’effets délétères pour la santé que de manger un poisson «aromatisé» aux PFAS. L’experte précise cependant: «Les données toxicologiques sont encore très lacunaires pour un grand nombre de ces composés.»
Davantage étudiés, certains sont toutefois déjà considérés comme plus dangereux que d’autres, à l’instar de l’acide perfluorooctanoïque (PFOA) et de l’acide perfluorooctane sulfonique (PFOS). Le premier a ainsi été classé cancérigène pour les êtres humains par le Centre international de recherche sur le cancer, et le second comme «peut-être cancérigène» selon ce même organisme. «L’ingestion de ces deux substances est surtout associée à une augmentation des niveaux de cholestérol et à un affaiblissement de la réponse immunitaire», détaille Federica Gilardi. PFOA et PFOS se retrouvent souvent dans les produits de la mer, dans les œufs et dans la viande.
Et ce n’est pas tout: «Plusieurs PFAS ont été associés à des altérations métaboliques, des troubles de la reproduction, une immunotoxicité et des cancers, notamment, ajoute Céline Reymond. En 2020, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a mis à jour son évaluation des risques liés aux PFOA et PFOS, en y incluant l’acide perfluorononanoïque (PFNA) et l’acide perfluorohexane sulfonique (PFHxS). L’EFSA a conclu que ces quatre composés peuvent agir sur le développement et avoir des effets néfastes sur la santé. Ils sont, entre autres, associés à une augmentation des dommages au foie et à une réduction du poids à la naissance.» Par ailleurs, l’EFSA et l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques ont mis en évidence un lien entre les niveaux de PFAS dans le sang des enfants et une diminution de la concentration d’anticorps après une vaccination, en diminuant donc l’efficacité.
Introduction de teneurs maximales
En février 2024, l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des produits vétérinaires (OSAV) a introduit des teneurs maximales pour certains PFAS dans les aliments d’origine animale, sur le modèle de celles inscrites dans la législation de l’Union européenne. Ces valeurs sont applicables aux quatre substances prioritaires (PFOS, PFOA, PFNA et PFHxS) et à leur somme lorsqu’elles se cumulent dans un même produit. En pratique, il est toutefois impossible de savoir si le steak que l’on vient d’acheter est contaminé ou pas. «Il est inutile d’essayer de cesser de manger l’ensemble des produits potentiellement concernés. En revanche, il est possible de réduire les sources d’exposition en évitant par exemple l’utilisation de poêles antiadhésives et en limitant les papiers d’emballage alimentaire», poursuit Federica Gilardi. Quant à l’eau potable, le Département fédéral de l’intérieur règle les valeurs maximales pour trois PFAS : 0,5 µg/l pour les PFOA et 0,3 µg/l pour les PFOS ou les PFHxS.
À noter que ces plafonds seront certainement revus à la baisse en 2026 pour suivre les recommandations de l’Union européenne, qui va drastiquement limiter les valeurs pour 20 PFAS sélectionnés. Anne Onidi rappelle : «Les PFAS qui sont présents dans les produits de consommation courante se retrouvent dans l’environnement, puis dans nos assiettes. Ces composés apportent un certain confort, mais nous pouvons nous en passer (lire encadré, ndlr).» Il est en effet agréable de pouvoir emballer un sandwich plein de sauce dans un papier qui ne colle pas, ou d’avoir un mascara qui supporte les larmes ou la transpiration… Federica Gilardi indique cependant : «Il y a des PFAS dans certains dispositifs médicaux et aussi dans les mousses anti-incendie.
Même si l’Union européenne envisage de bannir ces substances, une interdiction totale n’est pas réaliste. En revanche, dans certains domaines, un effort doit être fait. Des PFAS à chaînes plus courtes (contenant moins d’atomes de carbone et donc moins de liaisons avec le fluor, ndlr), mais disposant toujours des mêmes propriétés chimiques et thermiques intéressantes, ont été utilisés car ils sont moins persistants. Ce n’est malheureusement pas une solution, car ils sont plus mobiles et contaminent plus facilement l’air et l’eau environnants.»
Comment lutter contre ces substances «éternelles»?
Très prisés pour leurs propriétés chimiques et thermiques particulièrement intéressantes, les PFAS, employés à grande échelle depuis les années 1970, sont difficiles à détruire. Mais des pistes se dégagent.
Parce que les PFAS ne se dégradent que très peu dans l’environnement, il est difficile d’en venir à bout. S’il convient d’en limiter l’utilisation afin de réduire les contaminations, des procédés pour détruire ces substances «super-résistantes» existent selon l’endroit où elles se trouvent. «Les méthodes actuellement les plus prometteuses pour les matériaux d’excavation (sols, matériaux souterrains, peintures, résidus de mousse anti-incendie, ndlr) pollués par des PFAS sont le lavage du sol et le traitement thermique. Pour parvenir à les détruire, il faut les chauffer à des températures supérieures à 1100 °C. Pour le traitement des eaux souterraines ou des eaux usées, on utilise notamment l’adsorption sur différents supports, tels que le charbon actif ou les échangeurs d’ions, ou encore la filtration membranaire ou le fractionnement par ozone», explique Dorine Kouyoumdjian, chargée d’information à l’Office fédéral de l’environnement (OFEV). Ces différentes techniques permettent de capturer les PFAS pour nettoyer les eaux contaminées. Quels que soient les procédés utilisés, ils sont onéreux et complexes en raison de la nature particulièrement «coriace» de ces composés «éternels». «Ils sont résistants à la graisse, à la saleté et à l’eau. Grâce à leurs liaisons carbone-fluor très fortes, ils sont extrêmement stables thermiquement et chimiquement. En raison de cette persistance, combinée à leur bioaccumulation, leur mobilité et leur toxicité souvent élevées, les PFAS représentent un défi majeur pour la recherche, la politique, l’économie et l’administration», précise Dorine Kouyoumdjian.
Côté législation
La Confédération et les pays de l’Union européenne cherchent des solutions pour limiter ces substances. «À l’heure actuelle, seuls quelques PFAS sont prohibés ou limités. Le PFOS est totalement interdit depuis le 1er avril 2024, le PFOA et le PFHxS sont quant à eux limités», explique Anne Onidi, spécialiste des tests comparatifs à la FRC. Ces restrictions sont peu de chose quand on sait qu’il existe des milliers d’autres PFAS qui ne sont pas réglementés. Les tests de la FRC sur les rideaux de douche et sur les vestes de pluie pour enfants font frémir: tous les modèles passés au crible contenaient des PFAS. «Il faut que la réglementation change! L’Allemagne, les Pays-Bas, la Norvège, la Suède et le Danemark ont déposé une proposition de limitation exigeante. Si l’Union européenne adopte ce projet, la Suisse devra suivre», espère Anne Onidi.En France, les choses bougent. En février dernier, l’Assemblée nationale a adopté une loi qui prévoit d'interdire à partir du 1er janvier 2026 la fabrication, l'importation et la vente de tout produit cosmétique, de fart (pour les skis) ou d'habillement contenant des PFAS. Rebecca Eggenberger, responsable alimentation à la FRC précise: «C’est un excellent début, mais ces substances restent autorisées dans quantité d’autres produits et nous souhaiterions voir une interdiction rapide des PFAS dans les biens de consommation courants. Si cette mesure était également adoptée dans le droit européen, cela deviendrait réellement intéressant pour les consommateurs suisses, car notre pays n'aurait probablement pas d'autre choix que de s'aligner. À noter, qu’il y aura probablement des produits de fabrication française sans PFAS qui seront vendus dans notre pays, avec dès lors, un plus grand choix d'alternatives pour les consommateurs qui souhaitent les éviter.»Et dans l’organisme?
Une fois les substances ingérées, elles se lient aux protéines du sang et circulent ainsi dans l’organisme. «Les éliminer prend beaucoup de temps. En l’état actuel des connaissances scientifiques, il n’est pas possible de les neutraliser, mais des méthodes visant à accélérer leur élimination chez les personnes fortement exposées sont en cours de discussion. Les bénéfices potentiels doivent cependant être bien mis en balance avec les risques potentiels», explique Céline Reymond, porte-parole de l’OFSP. Et Federica Gilardi, responsable adjointe à l’Unité facultaire de toxicologie du CURML, de conclure: «Les femmes, à cause de la perte de sang menstruelle, éliminent plus rapidement les PFAS que les hommes.»
Des pesticides en grande quantité dans les eaux souterraines
Parmi les PFAS très présents dans les eaux souterraines du pays, il y a l’acide trifluoroacétique (TFA). «Cette substance se caractérise par une très bonne solubilité dans l’eau. Elle est notamment issue de la dégradation de certains produits phytosanitaires et des médicaments. Sa présence dans l’eau de pluie provient essentiellement des fluides frigorigènes (ceux qui refroidissent, ndlr) employés dans les climatiseurs des véhicules et des bâtiments. Dès que le TFA a intégré le cycle de l’eau, il devient difficile à éliminer», indique l'OFEV sur son site1. Selon les informations obtenues par la RTS 2, sur 516 stations de mesure étudiées par l’OFEV, 507 présentent des traces de TFA. Il n’existe pour l’heure aucune valeur maximale fixée par la Confédération, mais les sites réunissant la plus forte concentration de TFA se trouvent à Montmagny et Granges-près-Marnand dans le canton de Vaud, à Avusy à Genève, ou encore à Saint-Léonard en Valais. L’OFEV précise que le TFA, selon «les concentrations relevées jusqu’à présent, n’est pas réputé dangereux pour la santé humaine. Cependant, des études montrent qu’il est toxique pour des espèces d’algues à partir d’une concentration de 120 µg/l et qu’il nuit également, sur le long terme, aux espèces aquatiques microscopiques comme les rotifères, mais aussi aux puces d’eau.»
D’après une estimation faite par le journal Le Monde, la France devrait débourser 12 milliards d’euros par an pour parvenir à éliminer le TFA, très présent dans l’eau. Pour ce qui concerne la Suisse, Dorine Kouyoumdjian, chargée d’information à l’OFEV, explique: «Il n’est actuellement pas possible de faire des estimations fiables sur les frais de l’assainissement. Pour les chiffrer, il faut davantage d’informations sur les états de pollution. L’OFEV estime très sommairement les coûts des études réalisées jusqu’à présent à 5 millions de francs tandis que ceux des assainissements déjà effectués se situeraient entre 50 et 100 millions de francs.»
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1 https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/eaux/dossiers/tfa-explorer-les-eaux-du-passe.html
2 https://www.rts.ch/info/suisse/2024/ article/pfas-en-suisse-les-eaux-souterraines-contaminees-22-sites-depassent-la-limite-28731714.html
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Paru dans Planète Santé magazine N° 56 – Mars 2025

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