Ne vous arrachez plus les cheveux: finissez-en avec la trichotillomanie
«Trichotillomanie». Il faut s’y prendre à deux fois (parfois trois) pour parvenir à prononcer correctement ce terme médical. On peut aussi, pour s’en souvenir, songer au tricot qui devient aussi parfois une manie. On peut aussi entrer dans les dédales de l’étymologie grecque: θρίξ, τρίχος, (thríx, tríkhos): poil, τίλλω, (tíllō): épiler ou effeuiller et μανία, (manía). Le terme fut forgé et utilisé pour la première fois en 1889 par le dermatologue français François Henri Hallopeau (1842-1919). Cent-vingt quatre ans plus tard, un précieux ouvrage revient sur le métier. Il est édité par les Presses Universitaires de France et signé de Jean-Christophe Seznec, psychiatre, pharmacologue et médecin du sport. On en trouvera les références ici même.
Les signes de la trichotillomanie ne prêtent généralement guère à confusion. On reste en panne, en revanche, pour ce qui est des estimations chiffrées. Pas de registre spécialisé, les trichotillomanes n’étant guère friands de recensements. Au mieux consultent-ils le dermatologue, rarement le psychiatre. La question est d’ailleurs toujours pendante de savoir si la trichotillomanie est une affection. Ensuite de savoir si elle est une affection en elle-même ou, plus compliqué, de l’une des manifestations d’une affection psychiatrique.
Dans un état second, comme dans une bulle
L’intérêt pour ce phénomène est assez neuf. Plus les médias s’y intéressent et plus la chose semble être fréquente, comme s’il y avait une forme de contagiosité naturelle de la trichotillomanie. Certains spécialistes estiment qu’on la trouverait à hauteur de 0,5% chez les moins 18 ans. En fait, la proportion est certainement plus élevée si l’on s’intéresse aux personnes qui ne présentent qu’un ou quelques épisodes ponctuels au cours de leur vie. Ou à celles qui ne présentent pas de formes intensives du phénomène; des formes qui ne conduisent pas à des disparitions massives de cheveux ou de poils. Dans la majorité des cas, ce sont les femmes qui sont les plus concernées. Ce sont elles aussi qui acceptent le plus facilement d’en parler. Il est vrai aussi que ce sont également elles qui parlent le plus souvent sinon de leur corps, du moins de son apparence.
Comportement impulsif, la trichotillomanie peut être épisodique ou continue, d'intensité et de localisation très variables. Le moment venu la personne ne maîtrise plus ses gestes: elle ne peut plus s'empêcher de toucher, palper et s'arracher des cheveux. «Quelque chose» fait qu’elle «s’en arrache les cheveux». Quoi? Stress? Angoisse? Ennui? Dérivatif? Toujours est-il que durant l’épisode (soit de quelques minutes à quelques heures), la personne (le «sujet», diraient les médecins) est dans un état second, comme dans une bulle, dans une crise qui ne dirait pas son nom. On observera qu’une autre expression populaire parle de «se faire des cheveux» quand la première parle de se les arracher. De l’ambivalence du poil humain, en somme.
Toutes les cibles pilaires peuvent être visées: cheveux, cils, sourcils et poils de barbe (quand ils existent) mais aussi tous les poils du corps, que la toison soit ou non fournies. L’affaire peut aussi se faire par procuration; ainsi les enfants peuvent-ils arracher les poils d’autres personnes ou ceux de certains animaux de compagnie (parfois à leurs risques et périls). Il n’est pas rare que les trichotillomanes jouent ensuite avec leur butin avant, parfois de l’ingérer (on parle alors de tricophagie).
Une addiction gestuelle
Est-ce un «trouble obsessionnel compulsif»? On en discute toujours. Une addiction? Peut-être. Faut-il ranger dans la même catégorie le fait de seulement manipuler périodiquement ses poils et d’en appuyer systématiquement et fortement sa base sur sa peau? Les intéressé(e)s disent ici ressentir une forme de jouissance associée à une sensation de «brûlure» ce qui, on le sait, peut ne pas être incompatible. Certains assure que cela ne peut pas empêcher les efforts de concentration, voire les faciliter.
Dans les formes massives la trichotillomanie peut conduire à de véritables handicaps: dommages physiques, calvitie, détresse majeure, claustration etc. Certains redoutent d’être découverts et usent de mille et un subterfuges pour garder le secret. Très souvent, la trichotillomanie est associée à une mauvaise perception de son corps, une faible estime de soi. En résultent anxiété, frustration, dépression parfois. Le sentiment de ne pas être en mesure d’intéresser ou de séduire autrui. Et ce d’autant que ces personnes sont très généralement mal comprises par le corps médical qui ne mesure pas véritablement les souffrances associées à un phénomène qui peut faire rire. D’où la honte et le repli sur soi.
D’où, aussi, l’intérêt du tout récent et précieux ouvrage de Jean-Christophe Seznec qui développe longuement la question, complexe, des soins. Pas de solution univoque ici. Il faut avant tout parler, tenter de se comprendre pour aider et se faire aider. Sans œillères, ce livre propose différents parcours d’accompagnement, basés notamment sur des thérapies comportementales et cognitives. Il s’agit bien, au final, de guérir de cette addiction gestuelle. Ensuite, comme dans le cas de l’alcool, reste souvent, longtemps, une certaine vulnérabilité. Ce qui n’interdit nullement d’en guérir, et d’en guérir définitivement.
Référence
Jean-Christophe Seznec. «J’arrête de m’arracher les cheveux. Soigner la trichotillomanie». Editions PUF. Collection Psychoguides. Paris. 2013. 272 pages. 23 euros.