Courir pieds nus demande une longue préparation
De quoi on parle?
Les faits
La mode de la course pieds nus ou avec des chaussures à semelles très fines, dites minimalistes, se répand avec ses passionnés et ses détracteurs. Pour les uns, courir «léger» aiderait à corriger les défauts du pied et ouvrirait ce sport aux personnes souffrant de différentes pathologies. Pour les autres, c’est au contraire la porte ouverte aux blessures. Dans ce débat passionné, le fabricant de chaussures Vibram a été condamné aux Etats-Unis à payer près de 4 millions de dollars pour avoir affirmé dans ses publicités que ses chaussures minimalistes, les FiveFingers, permettaient de diminuer les blessures et de renforcer la musculature.
Depuis la parution en 2009 du livre de Christopher McDougall, «Born to Run» («Né pour courir»), les Américains se sont entichés de la course minimaliste. Soit le jogging avec des chaussures pourvues d’une semelle extrêmement fine, permettant de retrouver les sensations de la course pieds nus. Une mode qui fait les beaux jours des fabricants de chaussures comme Vibram, avec ses FiveFingers, des chaussures à doigts qui s’enfilent comme des gants. Leur esthétique est contestable certes, mais la publicité affirme qu’elles permettent de renforcer le pied et réduire le risque de blessure. Une joggeuse de Floride, Valerie Bezdek, a pourtant estimé que l’affirmation était mensongère et a lancé une plainte collective contre le fabricant. Vibrama été condamné à payer près de 4 millions de dollars (3,5 millions de francs) aux déçus de la chaussure minimaliste. Chaque plaignant se verra ainsi dédommagé par la marque pour un montant attendu de 20 à 50 dollars (18 à 45 francs).
De la douceur avant tout
L’histoire amuse beaucoup Patrick Salmon, neurobiologiste à Genève, adepte de la course minimaliste et auteur d’un blog sur le sujet*. Pour lui, ce cas illustre les attentes irréalistes de nombre de coureurs qui abandonnent leurs chaussures à semelles absorbantes. «Beaucoup de gens pensent qu’en enfilant des chaussures minimalistes ou en courant pieds nus, ils vont se transformer en coureur kenyan! Or la transition doit être extrêmement progressive. Elle devrait se faire sur six mois à deux ans afin de permettre à la musculature de s’adapter… Le mot-clé de cet apprentissage est «douceur».» Si elle a la patience de procéder ainsi, une personne, même souffrant d’une hernie discale, de problèmes de genoux ou de hanche, peut retrouver le plaisir de courir, selon lui.
De son côté Mathieu Assal, directeur du Centre de chirurgie pied, cheville, jambe, à la clinique de La Colline à Genève, ne s’étonne pas de la plainte collective américaine contre Vibram. Il soigne de plus en plus de personnes qui viennent en consultation à la suite de blessures liées à ce type de chaussures. Car le Vieux-Continent n’échappe pas à la mode de la course minimaliste. «Songez que nous faisons en moyenne 10000 pas par jour, ce qui représente une charge cumulée de 1000 tonnes à la fin de la journée, explique-t-il. Et l’homme qui court pose dix fois son poids corporel à chaque impact sur le sol. Cela fait subir des charges énormes au pied, il est évident que le squelette et les tissus avoisinants doivent aider à absorber ces chocs. Cet effort est encore plus important lorsque le pied est nu ou chaussé de semelles très fines, car la capacité d’amortissement est bien moindre. Le squelette a ainsi besoin d’un temps d’adaptation, faute de quoi le coureur se blesse. On ne peut donc pas affirmer que les chaussures minimalistes diminuent le risque de blessure. Alors que la chaussure de jogging classique amortit les impacts et facilite le déroulement du pied.»
Les chaussures absorbant les chocs sont pourtant également critiquées. «Tout excès est mauvais, relève le médecin. Dans les chaussures à semelles trop molles, le pied se tord plus facilement, mais on trouve de moins en moins de ce type sur le marché.»
Le médecin relève que les jeunes qui ont un squelette «neuf» peuvent plus facilement se mettre à la course minimaliste sans dommages collatéraux que des personnes plus âgées. Les Africains, qui ont un pied plus souple et une voûte plantaire moins marquée, seraient aussi avantagés pour courir pieds nus. Ceux qui se lancent tête baissée dans ce type de course (lire encadré) risquent par contre des lésions de surcharges comme des fractures de stress et des lésions articulaires (le pied contient une quarantaine d’os!). Des tendinites ainsi que des fissures des tendons peuvent aussi apparaître.
Au-delà des risques de blessure, des études ont prouvé les bienfaits de la course pieds nus pour les douleurs du genou et de la hanche. «Ce type de course diminue le travail de ces articulations en raccourcissant la longueur du pas et en augmentant sa cadence. Pour autant, bien sûr, que l’on coure sur la partie avant du pied; si l’on pose d’abord le talon, c’est tout le contraire (lire encadré)», explique Adrien Ray, médecin adjoint au Service d’orthopédie des HUG, spécialiste du pied et de la cheville.
Comment courir minimaliste
Il faut commencer très progressivement, de préférence pieds nus, afin d’être obligé de procéder avec douceur, selon Patrick Salmon qui coache volontiers les débutants. Le pied doit effleurer le sol, s’il le frappe, cela veut dire que la jambe ne peut pas absorber le choc.
Pour qu’elle y arrive, il faut des mois de construction. La musculature du mollet en particulier doit permettre de rebondir sur le sol. «Renoncez à votre MP3 afin de pouvoir écouter le bruit que vous faites, un beau coureur n’en fait pas…» résume-t-il. Il conseille aussi d’oublier toute idée de compétition et de ne rechercher que le plaisir de courir.
Adrien Ray, spécialiste du pied et de la cheville aux HUG, recommande lui aussi de procéder progressivement: «Je conseillerais aux coureurs d’effectuer la transition en courant avec leurs chaussures habituelles pour les enlever dans les 5 à 10 dernières minutes. Et allonger progressivement le temps de course pieds nus.» Il est aussi très important de courir sur l’avant du pied, selon le spécialiste. «La pire des choses serait de poser le talon en premier, explique-t-il. Or c’est le cas de 30%des coureurs minimalistes, selon les études. Il est très difficile de modifier sa façon de courir. Cela demande à être travaillé, avec un entraîneur par exemple.» Par ailleurs, il est important de courir sur différentes surfaces afin de changer la zone d’impact sur le pied.
Réservée aux initiés
Le médecin relève aussi que les personnes qui souffrent d’une petite déformation, comme un pied creux (très cambré) ou une cheville instable, peuvent bénéficier de la course pieds nus. «Le ressenti est beaucoup plus précis. La proprioception, perception que l’on a de la position de son propre corps dans l’espace et en particulier du pied, est bien meilleure. Si bien que le risque d’entorses pourrait être diminué. Quant aux chaussures minimalistes, elles sont plutôt un intermédiaire entre la course pieds nus et la course en chaussures classiques, un trait d’union entre les deux. Leur avantage consiste principalement à éviter les blessures de la plante des pieds.»
Alors qu’elle semble la chose la plus naturelle du monde, la course pieds nus exige beaucoup de savoir-faire. «Cette course devrait être réservée aux athlètes qui connaissent bien leur corps, estime Adrien Ray. Nombre d’entre eux font d’ailleurs l’essai, reviennent parfois à leurs chaussures habituelles ou mixent les deux types de courses dans leur programme sportif. Les personnes qui débutent n’ont pas cette expérience: elles doivent donc se mettre très progressivement à cette façon de courir. Changer son type de course demande un énorme investissement. Les blessures ne peuvent être évitées qu’en prenant le temps de s’entraîner. Par ailleurs, en cas de douleurs systématiques, il est impératif de s’arrêter. Mais cela est aussi valable pour la course avec les chaussures habituelles. Il s’agit avant tout de trouver le type de course qui convient le mieux à son corps.»
* barefootpat.org
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