Le burnout est-il une vraie maladie du travail?
Les Japonais parlent de «karoshi». Le mot sonne joliment aux oreilles, mais sa traduction est brutale: «mort par le travail». En Occident, l’épuisement professionnel a un nom: le burnout.
D’abord utilisé dans le domaine de l’énergie nucléaire pour décrire des réacteurs que l’on n’arrivait pas à refroidir, le terme fait son apparition dans le domaine médical en 1970. C’est le psychologue américain Herbert J. Freudenberger, qui, lui-même victime d’épuisement, en donna une première définition: «Les gens sont parfois victimes d’incendie, tout comme les immeubles. Sous la tension produite par la vie dans notre monde complexe, leurs ressources internes en viennent à se consumer comme sous l’action des flammes, ne laissant qu’un vide immense à l’intérieur, même si l’enveloppe externe semble plus ou moins intacte.»
Plus de cinquante ans après cette première description et alors qu’il est sur toutes les lèvres, le burnout n’est toujours pas une pathologie reconnue. Même la dernière édition de la bible des troubles psychiatriques, le DSM-5, n’en donne aucune définition!
En Suisse, ce problème de classification a des conséquences très concrètes. Pour l’assurance-maladie, le burnout n’est pris en charge qu’en tant que «dépression». C’est pour clarifier les choses qu’en France, fin 2014, les médecins du travail demandaient sa reconnaissance comme maladie professionnelle. Une façon d’obtenir un statut «officiel» pour une pathologie en constante augmentation.
Repérer les signes avant-coureurs
Le burnout survient à l’issue d’un long processus qui s’étale sur une période allant de six mois à plusieurs années. Plus que la conjonction des symptômes décrits ci-après, c’est leur durée et leur intensité qui doivent alerter:
- Fatigue de tension qui ne disparaît pas avec les vacances. La tête est surchargée de pensées. La personne est hyperactive dans son travail et désengagée dans sa vie privée.
- Troubles émotionnels: irritabilité, inquiétude, angoisse, changement de personnalité.
- Troubles du sommeil: réveils nocturnes assortis de l’impossibilité à se rendormir.
- Ruminations autour du travail qui envahit toutes les pensées.
- Isolement progressif: la personne se renferme sur elle-même, rit moins, réduit ses rapports sociaux.
- Symptômes physiques: contractions musculaires, peine à digérer, manque de souffle, maux de tête.
- Symptômes psychiques: difficulté à se concentrer, à s’organiser, diminution des facultés intellectuelles, pertes de mémoire.
Une notion à clarifier
Pour Brigitta Danuser, directrice de l’Institut universitaire romand de la santé au travail, ce n’est pas forcément la bonne manière de procéder: «La notion de burnout est encore totalement floue, ce n’est pas un diagnostic médical. A mon avis, il faut avant tout clarifier les causes qui ont mené le patient à cet épuisement professionnel. Seuls 20% des cas de burnout que je vois sont exclusivement liés au travail. Pour les 80% restants, si la composante du travail est bien là, s’y ajoutent de multiples autres facteurs.»
La classification du burnout dans les maladies professionnelles pourrait d’ailleurs avoir des effets pervers, car le patient doit passer devant une commission d’évaluation qui validera ou non le diagnostic. Or la pratique montre que seuls 10 % des cas sont acceptés. «L’expérience du rejet est très difficile pour ces patients, il faut vraiment être très prudent avec ce genre de maladie», poursuit le Dr Danuser.
S’il s’avère difficile à cerner, le burnout peut tout de même être évalué selon les critères de l’échelle de Maslach (voir le test «Souffrez-vous d’un burnout?»), qui prend en compte trois dimensions essentielles de la maladie: l’épuisement physique et psychique, la dépersonnalisation (une personne empathique devient cynique, par exemple) et le sentiment de ne plus arriver à faire son travail. Mais même si les origines principales d’un burnout sont professionnelles, de multiples facteurs extérieurs interviennent. «De plus, chaque individu réagit différemment», souligne Catherine Vasey, psychologue à Lausanne et experte en burnout.
Ainsi, certaines personnes sont terriblement stressées dans un bureau ouvert, alors que d’autres apprécient le contact permanent avec leurs collègues. Ou encore, le manque d’autonomie étouffe les personnes entreprenantes mais rassure celles qui sont peu sûres d’elles. Difficile donc de pointer du doigt ce qui constitue des conditions de travail qui favorisent le burnout.
Il semble toutefois que la perte de sens fasse particulièrement souffrir les employés d’aujourd’hui. Pour les aînés, l’absence de valeurs communes avec l’entreprise est particulièrement pénible. Douloureux aussi, le manque de reconnaissance, humaine ou salariale, ainsi que l’injustice. La charge de travail joue également un rôle important, mais là encore, tout dépend de la manière dont elle est vécue. «Pour évaluer le risque de burnout, nous devons aussi tenir compte des compensations que trouve un individu aux situations stressantes. Par exemple, une personnalité politique peut supporter d’être constamment sollicitée grâce à la reconnaissance publique qu’elle reçoit en retour. Ou encore un travail exigeant de lourds horaires mais passionnant peut convenir à certains», relève encore Catherine Vasey.
Se remettre d’un burnout
Une fois que l’épuisement professionnel est là, que faire? «Il faut d’abord procéder à un bilan médical pour évaluer les conséquences du stress chronique sur la santé du patient, reprend la psychologue. Ensuite, il faut mettre en place un suivi psychologique spécialisé. Car le burnout ne se traite pas comme une dépression.»
Catherine Vasey propose ainsi un travail en trois étapes. Dans un premier temps, il s’agira de remonter le niveau d’énergie. «Bien dormir la nuit, s’activer physiquement la journée pour décharger le stress, c’est essentiel, insiste Catherine Vasey. Que ce soit en marchant, en jardinant ou en faisant le ménage, bouger permet de se reconnecter avec son corps.» Il faut également détecter et supprimer tout ce qui pompe de l’énergie inutilement et favoriser ce qui fait du bien: rire, aller au cinéma, en bref, retrouver du plaisir. Enfin, le thérapeute doit aider le patient à cadrer ses ruminations sur le travail.
La seconde étape du traitement sera consacrée à comprendre les mécanismes qui ont mené au burnout et envisager les modalités d’un retour au travail pour éviter de retomber dans les mêmes travers, tout en cherchant les moyens de se ressourcer dans sa vie privée. La dernière étape consiste en un retour progressif à l’activité professionnelle. «La personne est encore en convalescence mais, pour aller mieux, elle doit retourner au travail et apprendre à développer une certaine distance avec celui-ci. C’est vraiment tout l’enjeu de la guérison», insiste la thérapeute.
Finalement, le burnout oblige à redéfinir ses priorités, résume Catherine Vasey: «En général, les personnes en burnout ont une meilleure qualité de vie après. Elles sont très attentives à ce que cette situation ne se reproduise plus. Elles seront donc plus fiables et plus solides.»