Est-ce toujours l’âge qui fait blanchir les cheveux ?

On connaît l’expression «blanchir sous le harnais». Apparue au XVIIe siècle, elle ne s’est longtemps appliquée qu'au domaine des métiers d'armes. C’était l’époque où harnais (harnois) désignait l'armure complète d'un homme d'armes, comme celle citée par Boileau (1636-1711): «Savez-vous pour la gloire oublier le repos/Et dormir en plein champ le harnois sur le dos?». «Endosser le harnais», alors, c’était embrasser la profession des armes. Et, par plaisanterie, on usait de la même expression pour parler d'un homme d'Église (ou de robe) qui revêtait les habits de sa profession.
Grow grey in the service
Mais les étymologistes et les linguistes ne nous disent rien sur le blanchiment sous ce harnais. Peut-être s’agit-il là d'une image très simple: les cheveux se font blancs sous l'armure tant celui qui la porte a d'expérience. Et il a d’autant plus d’expérience qu’il y conserve durablement la vie. «Blanchir sous le harnais» signifierait alors, tout bonnement, que l'on acquiert de l'expérience. Ce que nous disent nos amis anglais, qui formulent la chose au choix par grow grey in the service ou par acquire experience.
Serait-ce si simple? Une étude menée outre-Atlantique vient soudain éclairer tout ceci sous un nouveau jour. Ses résultats ont été récemment publiés dans la revue Nature Medicine.1 Ses auteurs ont cherché à faire la part de la génétique et de l’âge dans ce phénomène de blanchiment. Mais aussi celle d’un autre facteur: le stress. Cette étude a été conduite à la fois sur des souris et sur des lignées cellulaires humaines du cuir chevelu. Les souris étaient génétiquement modifiées et les cellules humaines cultivées en laboratoire.
Les chercheurs sont partis d’une donnée bien connue: au cours des processus de cicatrisation des plaies, les cellules souches fournissent celles qui, en se divisant, fourniront à leur tour les cellules matures fonctionnelles nécessaires à la régénération du tissu. Simultanément, le tissu doit maintenir un pool de cellules souches pour maintenir sa capacité de régénération future. Reste la question de savoir comment ces deux exigences sont équilibrées en réponse au stress que constituent de telles blessures et plaies. Ces chercheurs ont étudié dans le détail les effets cellulaires produits par une blessure expérimentale ou par irradiation de rayons ultraviolets de type B. Ils se sont alors intéressés aux migrations de certaines cellules souches, dites mélanocytaires (MCSCs): celles qui au final sont productrices de mélanine, le pigment responsable de la couleur de la peau et des cheveux.
Observations sur les cuirs chevelus humains
Les auteurs de l’étude disent avoir constaté que ces MCSCs quittent les follicules pileux pour migrer vers l'épiderme. Il s’y différencient de manière à constituer une sorte de barrière protectrice contre les rayons ultraviolets sur la peau endommagée. Ces résultats fournissent selon eux un exemple dans lequel la différenciation de cellules souches provoquée par une blessure prévaut sur le maintien de leur stock. Ils ont également étudié de quelle manière ces phénomènes sont associés à une molécule jouant un rôle clef dans les mécanismes biologiques de stress: le récepteur de la mélanocortine.
Les mêmes études ont été effectuées sur des cultures de cuir chevelu humain. Il apparaît que lorsque les chercheurs cultivent de la peau de souris en présence d'une hormone de stress, les hormones augmentent la production de mélanocytes dans la peau lorsque celle-ci a été exposée aux UVB. La seule production d’hormones du stress ne suffirait donc pas à induire une migration ou une production de mélanocytes, mais elle participerait à la fois à la pigmentation de la peau et à l’apparition, in fine, de cheveux grisonnants.
Les plaies des champs de bataille
Le stress apparaît ainsi clairement impliqué dans le mouvement des cellules souches MCSCs depuis les follicules pileux jusqu’à la peau. Tout se passe en somme comme si, face à une agression, le corps préférait sauvegarder la barrière cutanée plutôt que l’apparence folliculaire. C’est, pour les auteurs, un premier pas vers de nouvelles thérapeutiques: en manipulant les cellules MSCs on peut envisager traiter les troubles de la pigmentation de la peau tels que le vitiligo ou le piébaldisme (taches blanches sur la peau).
On peut aussi penser que cette expérience nous enseigne, à quelques siècles de distance, que c’était bien le stress qui, au fond, faisait blanchir ceux qui se trouvaient sous leur harnais. Quant à leur expérience, c’était peut-être celle d’apprendre à maîtriser les stress et les plaies des champs de bataille.
1. On trouvera ici un résumé (en anglais) de cette publication. Les auteurs travaillent au Baylor College of Medicine de Houston (Texas) et à l’Université de New York.

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