La peur dans tous ses états
Un bruit dans le noir. Un film d’horreur. Un animal menaçant. Sursauts et frémissements, chacun a déjà expérimenté la peur. Elle peut nous oppresser, nous paralyser voire devenir très invalidante en déclenchant anxiété, phobies ou attaques de panique. Comment fonctionne-t-elle? Peut-on la soigner? Quelles structures sont impliquées dans notre cerveau? Réponses avec le Pr Patrik Vuilleumier, directeur du Centre des neurosciences de l’Université de Genève et codirecteur du laboratoire du cerveau et du comportement humains.
«La peur est une des émotions les mieux étudiées. Elle est associée à des comportements reproductibles dans le règne animal et a un lien avec la survie chez toutes les espèces. Les circuits cérébraux impliqués sont bien connus, de même que les pathologies associées», explique-t-il. Au départ, la peur est déclenchée par un stimulus visuel, auditif ou olfactif qui signale un danger. «C’est très efficace, presque automatique: dès qu’un signal est détecté par un organe sensoriel, l’information arrive directement à l’amygdale, le centre de la peur, située dans le lobe temporal», note le neurologue.
L’amygdale au cœur du réseau
Essentielle dans le décodage des émotions pour signifier le danger, elle est aussi très liée au système d’apprentissage. Un exemple: on écoute un son et, en même temps, on reçoit un choc électrique; la prochaine fois qu’on entendra ce son, on aura peur… de se faire secouer. «C’est une forme de mémoire automatique», relève le Pr Vuilleumier. On appelle aussi ce phénomène «conditionnement». Autre rôle joué par l’amygdale: en même temps qu’elle déclenche l’alarme, elle influence, par les nombreuses connexions dont elle est dotée, tout le reste du cerveau.
Elle envoie ainsi des informations au système moteur (fuite), à l’hypothalamus qui contrôle le rythme cardiaque (cœur s’accélère), régule le système de stress (adrénaline et cortisol sécrétés pour préparer le corps à réagir) et celui d’éveil et d’attention (paupières écarquillées et pupilles dilatées). Elle met en action également le lobe frontal, région contrôlant le comportement, les cortex sensoriels et l’hippocampe.
Situation réévaluée
L’hippocampe joue un rôle primordial dans les processus de mémorisation en permettant de retrouver des situations ou d’autres informations associées à des dangers. Par exemple, on se souviendra d’un coin de forêt où vivent des ours, et donc un danger potentiel, mais on sait aussi que ce danger n’existe pas dans toutes les forêts. «Le lobe frontal et l’hippocampe réévaluent la situation, reconnaissent de manière complète l’information et, si besoin, apaisent l’amygdale par les voies de régulation (cortex cingulaire antérieur). On a peur en voyant une forme par terre qui ressemble à un serpent, mais en quelques fractions de seconde, si on constate qu’il s’agit d’un tuyau, on est soulagé», précise le spécialiste du cerveau.
Que se passe-t-il lorsque la peur devient pathologique? Dans le cas d’un stress post-traumatique, l’hippocampe n’informe pas l’amygdale qu’il n’y a pas de danger: une personne agressée dans un parking sera anxieuse dans tout lieu lui rappelant cet événement. «Il suffit d’un indice pour réactiver la peur», explique le Pr Vuilleumier. Lorsque les voies de régulation ne fonctionnent pas bien, il y a un risque d’anxiété. Enfin, si l’amygdale donne une réponse exagérée à un stimulus, cela débouche sur des attaques de panique ou des phobies. «La plupart de celles-ci sont acquises lors d’expériences traumatisantes ou vécues comme telles. Mais elles peuvent aussi l’être par le langage et l’éducation: un enfant auquel on répéterait sans cesse de ne pas s’approcher des chiens pourrait en avoir peur même s’il n’a jamais été mordu.»
Pour soigner ces problèmes, il s’agit de redonner à la personne sa capacité de réguler et de réévaluer l’information, généralement par des thérapies d’exposition progressive à la situation qui fait peur pour apprendre à la maîtriser.
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Pulsations – Mars-Avril 2014
Article original: http://www.hug-ge.ch/sites/interhug/files/mars-avril2014.pdf
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