Un coup de sang résulterait de «ratés» du cerveau

Dernière mise à jour 23/04/14 | Article
Un coup de sang résulterait de «ratés» du cerveau
Comment expliquer les coups de sang et les brusques accès de colère qui, chez certains, conduisent actes aux conséquences parfois irréversibles.

De quoi on parle?

Les faits

Le Sud-Africain Oscar Pistorius, amputé sous les genoux à l’âge de 11 mois, est le premier coureur à avoir défié les athlètes valides aux Championnats du monde d’athlétisme en 2011 puis aux Jeux olympiques de Londres en 2012. Mais le soir de la Saint-Valentin 2013, dans des circonstances qui restent à déterminer, il tue sa compagne Reeva Steenkamp de quatre balles.

Elevé au rang de héros grâce à des prouesses sportives hors du commun – il a été le premier athlète amputé et équipé de prothèses qui a couru avec les plus grands sprinteurs valides – Oscar Pistorius comparaît devant la justice sud-africaine pour le meurtre de sa compagne le 14 février 2013. Tout l’enjeu de ce procès est de déterminer sa personnalité et d’expliquer les circonstances du drame.

A la barre, des témoins ont parlé d’un homme régulièrement en proie à des coups de sang. Une des questions est donc: comment expliquer ces brusques accès de colère qui, chez certains, conduisent à des passages à l’acte violents? Avec l’aide de l’imagerie cérébrale, on commence à comprendre leur cause.

En premier lieu, rappelons que la colère est une réponse à un sentiment d’agression, causé par un «stimulus» externe. Mais dans le cas des colériques, cette réponse est exagérée (voir infographie): «Dans leur cerveau, l’amygdale, zone responsable de la peur et de la colère, s’active de façon intense. L’impulsivité survient, entre autres, en raison d’une hyperactivité de cette structure qui n’est pas compensée par les régions antérieures du cerveau qui l’inhibent normalement», explique le Dr Nader Perroud, responsable du programme Troubles de la régulation émotionnelle aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).

Tempérament ou trouble?

Il y aurait également des dysfonctionnements au niveau de certains neurotransmetteurs (messagers chimiques), comme une décharge anarchique de dopamine. L’organisme émet alors des signaux d’alerte: accélération du rythme cardiaque et de la fréquence respiratoire ainsi qu’une forte transpiration. Des événements externes souvent insignifiants suffisent à mettre les colériques dans un état d’excitation quasi continue.

Cet état affectif toucherait plus particulièrement certains types de personnalités. «Très tôt déjà, explique le Dr Philip Jaffé, spécialiste en psychologie légale, on observe que certains bébés ont une nature plus protestataire et une difficulté à se calmer.» Chez l’adulte, la colère peut résulter d’une fragilité psychologique. «Une peur intense de l’abandon peut expliquer des réactions disproportionnées chez des personnes déjà peu sûres d’elles-mêmes et émotionnellement fragiles, à l’image d’Oscar Pistorius, amoureux jaloux, ajoute-t-il. L’idée de perte, ressentie comme une menace d’anéantissement, déclenche des réactions passionnelles sorties de nulle part.»

Mais la colère peut aussi être le symptôme d’un trouble psychique, comme chez les personnes «borderline». A cause de leur impulsivité et de leur instabilité affective, elles sont fréquemment sujettes à des débordements émotionnels, ou à des réactions irrationnelles et disproportionnées. A tout cela s’ajoute une difficulté à exprimer leurs émotions. Ce sont souvent les proches qui donnent le signal d’alarme: ils se plaignent des sursauts agressifs, voire violents, qui rendent la relation très difficile. Plus rarement, les comportements violents de personnes souffrant de troubles bipolaires ou de schizophrénie peuvent être dictés par des hallucinations auditives ou visuelles.

On sait par ailleurs que la consommation de substances psychotropes est un puissant déclencheur de violence, comme l’explique le professeur Panteleimon Giannakopoulos, chef du Département de santé mentale et de psychiatrie des HUG: «Les drogues (cannabis, cocaïne) et l’alcool abaissent le seuil de vigilance et ont tendance à désinhiber (supprimer le contrôle de nos actes par la raison). Le processus de jugement en est perturbé. Du coup, l’évaluation de la conséquence d’un acte peut être diminuée.»

Les solutions pour gérer sa colère

La colère et l’impulsivité se soignent. Dans un premier temps, une approche médicamenteuse peut être utile pour stabiliser l’humeur. Selon le trouble qui en est à l’origine, différents médicaments pourront être prescrits. Les antidépresseurs de la classe des ISRs (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine) permettent un meilleur contrôle des émotions. D’autres neuroleptiques agissent aussi sur les systèmes dopaminergiques. Enfin, certains dérivés de la Ritaline© réduisent l’impulsivité.

Selon le Dr Nader Perroud, des HUG, les thérapies cognitives et comportementales (TCC) aident aussi à traiter la colère excessive. Les TTC donnent en effet au patient une meilleure connaissance de ses processus mentaux, il peut donc agir sur des comportements qui, d’habitude, lui échappent. Ces techniques semblent avoir un impact sur les régions antérieures du cerveau, impliquées dans la réponse à une agression. Dans le cas de la colère, cela passe par une prise de conscience des facteurs déclencheurs de l’énervement, par l’apprentissage de modes de comportements alternatifs (sortir du contexte par exemple) et par la nécessité de communiquer son ressenti plutôt que d’agir en fonction de ses affects.

Le rôle de l’entourage

L’environnement familial peut aussi être source de violence. Le modèle parental et la distribution du pouvoir entre les membres de la famille peuvent jouer un rôle. Un mode de fonctionnement démocratique et tolérant permet de mieux gérer les émotions et la frustration, alors qu’un contexte trop autoritaire peut causer des comportements antisociaux à l’âge adulte. «Il semblerait que Pistorius ait grandi dans un milieu dur et combatif où l’apitoiement n’avait pas sa place, ce qui pourrait avoir favorisé chez lui une certaine instabilité émotionnelle», commente Philip Jaffé.

Le milieu socioculturel joue également un rôle dans la capacité de chacun à maîtriser ses pulsions. «Ce qu’il y a d’intéressant, commente le Dr Jaffé, c’est que Pistorius cumule l’appartenance à différents groupes minoritaires. Athlète de haut niveau jouissant d’une certaine notoriété, il est en même temps handicapé et Afrikaner, c’est-à-dire blanc né en Afrique du Sud. Le fait d’être minoritaire, voire discriminé à l’intérieur de plusieurs groupes sociaux, pourrait expliquer un sentiment de malaise permanent et une fragilisation.»

Par ailleurs, il est courant, en Afrique du Sud, de posséder des armes et de s’en servir pour sa protection. Les témoins ont d’ailleurs révélé que l’athlète n’en était pas à son premier coup de feu. Un contexte social difficile pour un profil psychologique qui a montré une hypersensibilité évidente durant le procès: Oscar Pistorius a vomi à la lecture de l’autopsie de la jeune femme et il s’est bouché les oreilles pour ne pas entendre les détails du compte rendu. «C’est comme si, conclut le psychologue, son excellence et sa combativité dans le domaine sportif étaient un masque destiné à cacher une nature extrêmement fragile.»

Mécanismes de la colère

 

En collaboration avec

Le Matin Dimanche

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