Sentir et ressentir: de l’odeur à l’émotion

Dernière mise à jour 27/01/16 | Article
Sentir et ressentir: de l’odeur à l’émotion
L’odorat, le plus primitif de nos cinq sens, entretient un lien particulier avec nos émotions. Les scientifiques tentent de décoder les mécanismes cérébraux à l’origine d’une relation qui pourrait même influencer nos comportements.

Qui n’a pas éprouvé du plaisir en sentant le parfum de l’être aimé ou l’odeur sucrée d’un gâteau de son enfance? Ou au contraire du dégoût au contact d’effluves nauséabonds? Il est entendu depuis longtemps que les odeurs sont des déclencheurs émotionnels. Mais la relation entre olfaction et émotions ne fait l’objet de recherches scientifiques que depuis peu de temps.

Pour chacun des cinq sens –ouïe, odorat, vue, toucher et goût– les stimuli sont captés par des récepteurs répartis sur tout le corps: l’oreille, le nez, les yeux, la peau et la langue respectivement. Le message généré est ensuite acheminé via les nerfs jusqu’au cerveau, qui traite l’information. Mais une spécificité anatomique dans la transmission des informations olfactives met en évidence la relation odorat-émotions. «Dans l’olfaction, il existe une voie plus directe entre le stimulus et l’analyse par le cerveau que dans d’autres modalités sensorielles, explique Aline Pichon, chercheuse au Centre Interfacultaire en sciences affectives de l’Université de Genève. Le message passe en effet directement dans l’amygdale, la région cérébrale dédiée aux émotions. Pour les autres sens, le stimulus est d’abord pris en charge dans une structure située sous le cerveau, le thalamus, qui  "trie" l’information.»

Tu aimes ou tu n’aimes pas?

Au niveau anatomique, l’information sur l’odeur est envoyée de l’amygdale vers une région cérébrale située entre les deux yeux, nommée cortex orbito-frontal. C’est à cet endroit que naît la perception consciente de l’odeur qui plaira ou déplaira à un individu.

Pour comprendre pourquoi une odeur déclenche telle ou telle émotion, une théorie scientifique s’intéresse au vécu de l’individu. «Le ressenti par rapport à une odeur dépend de tout ce à quoi l’on a été exposé depuis tout petit, précise Aline Pichon. Selon le contexte, on éprouvera du dégoût si l’odeur est synonyme de danger ou au contraire du plaisir. Ceci rejoint une des fonctions de base de l’odorat, qui permet d’éviter des situations dangereuses comme l’ingestion de substances toxiques.»

Notre vécu est également à l’origine du célèbre effet «madeleine de Proust», correspondant à la réminiscence rapide d’un souvenir et de l’émotion associée sous l’effet le plus souvent d’une odeur. Ceci s’explique par le fait que la création d’un souvenir est favorisée par un stimulus sensoriel possédant une forte charge émotionnelle. «Il existe par ailleurs un "encodage" différent des souvenirs liés à une odeur dans la région cérébrale de la mémoire appelée hippocampe », souligne la chercheuse genevoise.

Six émotions liées aux odeurs

On parle souvent de l’existence de six émotions de base: joie, peur, colère, tristesse, surprise et dégoût. Mais les odeurs génèrent rarement un sentiment de colère ou de tristesse. En 2009, Christelle Chrea et ses collègues de l’Université de Genève ont donc tenté de décrire le type d’émotions suscitées par les odeurs, au-delà des descriptions subjectives «J’aime» ou «Je n’aime pas». Leurs expériences ont permis de décrire six émotions propres à l’olfaction: bien-être, sensualité, dégoût, réconfort, vitalité, nostalgie. «Des études récentes ont montré que chacune de ces émotions olfactives entraîne un motif différent d’activation de régions du cerveau», complète Aline Pichon.

Nos émotions n’ont donc pas encore livré tous leurs secrets. Par ailleurs, sachant que l’humeur influence les actions des individus, des chercheurs tentent actuellement de savoir si les odeurs, via les émotions qu’elles génèrent, pourraient elles aussi entraîner une modification du comportement. Affaire à suivre...

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