Aux prémices du cortex cérébral

Dernière mise à jour 29/03/22 | Article
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Siège de notre réflexion, du langage et de nos aptitudes les plus élaborées, le cortex cérébral est d’une complexité infinie que la recherche ne cesse d’explorer. Une récente étude genevoise lève le voile sur la façon dont il s’organise, étape par étape, à la naissance.

Voir un ballon arriver et tendre les bras pour l’attraper, entendre une voix au téléphone et deviner l’état émotionnel de la personne qui nous parle: les informations reçues de nos cinq sens convergent en un temps éclair - par le biais de signaux électriques - vers le cortex cérébral (lire encadré) et, plus précisément, vers les zones associées aux divers stimuli (visuels, tactiles, gustatifs, etc.). Tout aussi fulgurante, la transmission des données se dirige ensuite vers les zones nécessaires pour comprendre l’événement, lui donner un sens et agir en conséquence. C’est ainsi par exemple que les informations fusent de l’aire visuelle à celle de la motricité pour attraper le ballon plutôt que le recevoir de plein fouet sur le nez.

Mais comment naissent ces connexions indispensables entre les diverses aires du cortex cérébral? Une équipe de chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE) s’est penchée sur les cellules nerveuses clés impliquées dans le processus: les neurones dits «de projection corticale interaréaux» (ICPN). Une étude inédite parue dans la revue Nature* et dont les résultats ont surpris les chercheurs eux-mêmes.

Deux hypothèses

«Nous avions deux hypothèses principales. La première: l’existence d’un gène spécifique à chacune de ces connexions corticales, ce qui aurait supposé un nombre extrêmement élevé de gènes impliqués. La seconde: l’éventualité d’un même panel de gènes pour tous ces neurones ICPN», explique Esther Klingler, maître-assistante au Département des neurosciences fondamentales de l’UNIGE dans l’équipe du Pr Denis Jabaudon et co-auteure de l’étude. Et de préciser: «Nous savions déjà que ces neurones étaient anatomiquement différents les uns des autres. Et pour cause, ils créent des ramifications différentes – par le biais de leurs axones (les «câbles» des neurones, ndlr) – selon les besoins des aires corticales qu’ils mettent en lien.» Cette diversité morphologique pouvait donc plaider pour la première hypothèse, mais c’est un résultat tout autre qui a été obtenu à l’issue des travaux menés sur de jeunes souriceaux: «Nous avons découvert que ces différentes populations de neurones partagent en réalité un programme génétique similaire, mais que celui-ci s’active selon un rythme propre à chacune. Et cela fait toute la différence», indique la chercheuse.

C’est ainsi que les connexions nécessaires au toucher se mettent en place les premières, avant celles liées à la motricité, par exemple. Un phénomène en lien direct avec les besoins des souriceaux: «Le sens du toucher est indispensable aux nouveau-nés pour téter, il y va de leur survie, souligne la chercheuse. La motricité et, a fortiori, la motricité fine, peut ne se développer qu’un peu plus tard.»

Un résultat sans appel

Pour confirmer leur hypothèse, les scientifiques genevois ont modifié la chronologie d’activation génétique de certains neurones ICPN chez des souriceaux. Ils ont ainsi allongé le temps d’expression d’un gène, habituellement exprimé sur une période courte et précoce du développement. Et le résultat a été sans appel: les jeunes souris ont à la fois montré des connectivités cérébrales anormales, mais également, dans les faits, une exploration inhabituelle de leur environnement. «Cette seule modification dans le tempo d’expression d’un gène a perturbé le système dans son ensemble», résume Esther Klingler.

Quelle suite donner à ces résultats? «Nous avons pu nous pencher sur la temporalité normale d’expression des gènes propres aux neurones ICPN. Nous souhaitons maintenant mieux comprendre ce qui se passe quand le "tempo" dysfonctionne, ce qui pourrait expliquer les anomalies de connexion observées dans certaines maladies neurodéveloppementales, comme les troubles du spectre autistique», indique la chercheuse. Et de conclure: «Ces investigations sont d’autant plus intéressantes que nous disposons aujourd’hui de techniques de séquençage révolutionnaires nous permettant d’explorer l’expression génétique et les connexions établies par des cellules uniques, ce qui était impossible il y a quelques années encore.»

Vous avez dit cortex cérébral ?

Constituant l’épaisse coque entourant les deux hémisphères cérébraux, le cortex cérébral est fait de substance dite «grise», par opposition à la substance «blanche» présente à l’intérieur de la boîte crânienne. Tandis que la substance blanche contient des millions de «câbles» (les axones) connectant les neurones entre eux, la substance grise renferme surtout les corps cellulaires des neurones. Elle est responsable des fonctions cognitives supérieures propres à l’être humain: capacités de calcul, de réflexion, d’anticipation, mais renferme également les aires sensorielles recevant et traitant les informations de nos cinq sens (odorat, vue, ouïe, goût, toucher). À noter qu’à l’instar des enchevêtrements des intestins, les innombrables plis caractéristiques du cortex cérébral humain visent à augmenter sa surface opérationnelle.

_______

* Klingler, E., Tomasello, U., Prados, J. et al. Temporal controls over inter-areal cortical projection neuron fate diversity. Nature 2021 ;599 :453-457

Paru dans Planète Santé magazine N° 44 – Mars 2022

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