La polypharmacie: une nouvelle épidémie
La polypharmacie, à savoir la prise de quatre médicaments et plus aux indications diverses, représente un enjeu sanitaire qui ne cesse de croître. Augmentation des hospitalisations, dangers de potentielles interactions, hausse de la mortalité chez les patients souffrant de maladies chroniques… cette tendance peut avoir des répercussions graves.
Des risques augmentés
Lors de la prise de multiples traitements, le risque d’interactions dangereuses augmente de façon exponentielle. A chaque médicament supplémentaire, l’apparition d’effets indésirables est en effet plus élevée de 8,6%. D’après une étude suisse, prendre cinq traitements parallèles aboutirait ainsi à quelque 26 combinaisons d’interactions possibles, et jusqu’à 247 en cas de prise de huit médicaments! Des situations d’autant plus fréquentes que le nombre de patients présentant plusieurs affections augmente avec le vieillissement de la population. Ainsi, il existe un lien direct entre le nombre de médicaments et l’âge, les comorbidités et le degré d’invalidité du patient.
Des prescriptions toujours nécessaires?
A l’instar de la sous-médication, la sur-prescription est fréquente. Et avec elle augmentent les risques de complications, de morbidité, d’hospitalisations, de dépendance précoce, et aussi les coûts. Plusieurs facteurs contribuent à des prescriptions inappropriées. La fin d’une hospitalisation est notamment une étape décisive en raison de l’introduction de nouveaux médicaments. Une prescription qui, souvent, perdurera au-delà de l’affection du moment.
Autre risque, le suivi de patients chroniques par différents intervenants. Les spécialistes, comme le médecin généraliste, ne connaissent pas forcément toutes les molécules prises par le patient. En cause, une application automatique et trop stricte des recommandations qui conduit fréquemment à une prescription inappropriée. Côté médicaments, anticoagulants et antidiabétiques sont les principaux traitements incriminés. Ils génèrent environ trois quarts des effets indésirables, avec notamment hémorragies et hypoglycémies.
Quelles solutions envisager?
Des programmes de réduction de la polypharmacie sont aujourd’hui testés auprès de patients gériatriques. Des outils tels que des listes de prescriptions à éviter et des critères d’évaluation de chaque molécule ont été développés. Un algorithme permet notamment de mesurer la légitimité d’une médication, en évaluant tour à tour l’indication, le rapport bénéfices/risques, la réduction possible du dosage et les alternatives à ce médicament. La poursuite du traitement est envisagée si toutes les solutions précédentes ne sont pas viables.
«Less is more», mieux vaut-il sous-prescrire?
En 2011, un courant nommé «Choosing wisely» –«Choisir avec sagesse»– questionne l’intérêt de la sous-prescription. La polypharmacie est souvent associée à une sous-prescription concomitante. Une étude néerlandaise révèle que 43% des patients gériatriques concernés par la polypharmacie étaient aussi sous-traités, contre 13,5% des autres patients.
Prioriser les objectifs du patient
L’arrêt d’un médicament pris de longue date peut angoisser les patients: un tiers d’entre eux s’oppose ainsi à l’arrêt de traitements jugés superflus par le médecin. Il s’agit alors de hiérarchiser les priorités du patient. L’expérience du médecin, sa capacité à négocier et son intuition permettront d’avancer des solutions en fonction de chaque individu. A l’avenir, des logiciels de systèmes d’alerte en cas d’interactions médicamenteuses devraient aussi voir le jour.
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Adapté de «La polypharmacie: une nouvelle épidémie», Dr Stefan Neuner-Jehle, Institut für Hausarztmedizin, Universitätsspital und Universität Zürich. In Revue médicale Suisse 2016;12:942-7.