La toxine botulique est sur tous les fronts
La toxine botulique, commercialisée notamment sous le nom de botox, est utilisée en médecine pour son effet paralysant sur la musculature. Elle bloque la sécrétion d’acétylcholine, un neurotransmetteur qui permet la transmission de l’influx nerveux au muscle. Ses usages sont multiples.
Tout est parti du strabisme
La toxine botulique a été utilisée pour la première fois dans les années 1970 par l’ophtalmologue américain Alan Scott pour le traitement du strabisme. Son effet sur les muscles oculomoteurs (ceux qui permettent les mouvements des yeux) a permis de corriger ce défaut. Aujourd’hui, la Dre Yalda Sadeghi-Roulin, médecin consultante pour la chirurgie oculoplastique à l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin de Lausanne, utilise la toxine pour traiter les blépharospasmes essentiels bénins. Ces contractions involontaires et répétées des muscles orbiculaires, ceux qui entourent l’œil et permettent le clignement, sont particulièrement gênantes et entravent la vision des patients. «La toxine botulique est le seul traitement efficace pour ce type de blépharospasme. Les patients viennent tous les trois à quatre mois à l’hôpital pour les injections. Ce traitement permet clairement d’améliorer leur qualité de vie!»
1. En médecine esthétique
Injectée proche de la ride du lion – ces traits qui se creusent entre les sourcils – ou au niveau des pattes d’oie, elle permet de lisser le visage et de lui donner un aspect rajeuni. «On utilise le botox sur des rides déjà présentes du haut du visage, il n’y a pas de raison de l’injecter à titre préventif. C’est la raison pour laquelle la patientèle qui a recours au botox a en général plus de 35 ans. Rares sont les plus jeunes à le demander. Le botox a l’avantage de ne pas provoquer d’allergie et son action peut durer jusqu’à six mois», explique la Dre Patricia Delarive, dermatologue et directrice du groupe Clinique Matignon.
2. En neurologie
Lors de maladies provoquant une activité musculaire excessive, la toxine botulique est d’un grand secours. Elle apaise les tensions musculaires et les douleurs liées à la spasticité secondaire à la sclérose en plaques ou à un AVC. Elle est également efficace lors des dystonies, maladies rares entraînant des postures anormales et des mouvements involontaires. «La toxine botulique est injectée dans le muscle sous contrôle échographique, notamment. Son action est locale. Elle présente peu d’effets secondaires, contrairement à d’autres traitements médicamenteux», explique la Dre Vanessa Fleury, médecin responsable de l’Unité des troubles du mouvement aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Un avis partagé par le Dr Stefano Carda, médecin adjoint au Département des neurosciences cliniques du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV): «La toxine botulique est un traitement de premier choix de ces maladies pour lesquelles il y a peu d’alternatives. Son efficacité est élevée et ses effets se déploient pendant trois mois et parfois même six. Les injections requièrent cependant d’être effectués par une personne correctement formée, car l’injection du produit au mauvais endroit peut paralyser inutilement certains muscles.»
3. En médecine sportive
La toxine botulique agit également sur la douleur. «En limitant la contraction musculaire, elle permet de diminuer les tractions douloureuses sur certaines articulations ou structures. Le volume musculaire est également moins important, ce qui limite la compression des nerfs», explique le Dr Mirko Gutzmann, spécialiste de la douleur au Service d’antalgie du CHUV. Le Dr Marc-Antoine Démaret, chef de clinique dans l’Unité d’orthopédie et de traumatologie du sport des HUG, l’utilise lors de tendinopathies (inflammations ou lésions des tendons): «La toxine botulique permet de soulager une épicondylite ou une aponévrosite plantaire. Elle peut aussi être utile sur une forme de pubalgie des hockeyeurs ou joueurs de rugby, lorsque les muscles de l’intérieur de la cuisse – les adducteurs – tirent trop sur leur attache au niveau du pubis. Toutefois, son potentiel thérapeutique n’est pas encore parfaitement connu et s’avère comparable actuellement à celui des corticoïdes.Comparée à ces derniers, la toxine botulique provoque moins d’effets indésirables.»
4. Contre les migraines et la transpiration
«Les médecins de chirurgie plastique et esthétique se sont rendu compte, à la fin des années 1990, que les patients qui bénéficiaient d’injections de botox pour gommer leurs rides se réjouissaient de ne plus avoir de migraines. C’est ainsi que le corps médical s’est intéressé à l’effet antimigraineux de la toxine botulique. L’apaisement des douleurs provient d’une part du relâchement musculaire qu’elle provoque dans la zone injectée, mais également de l’interaction qu’elle a avec les messagers biologiques de la douleur», explique la Dre Gabriella Di Virgilio, neurologue au Département des neurosciences cliniques du CHUV. Seul un petit pourcentage des personnes souffrant de migraines chroniques est traité avec la toxine botulique, car ce traitement n'est remboursé que sous certaines conditions. «Celui-ci implique de procéder à des injections réparties sur le crâne, la région cervicale et le haut des épaules», précise la neurologue. Enfin, la toxine botulique agit également au niveau des glandes qui produisent la sueur et la salive. Elle limite ainsi transpiration ou salivation excessives.
Un allié pour la gestion des émotions
Une récente étude* menée en Allemagne s’est intéressée aux effets de la toxine botulique sur la gestion des émotions. Selon les chercheurs, en empêchant les muscles du visage responsables des expressions négatives de se contracter, la toxine botulique réduirait l’intensité des émotions. Les personnes dépressives ou avec un trouble de la personnalité borderline verraient ainsi leur mal-être diminuer. Le Pr Chin-Bin Eap, responsable de l’Unité de pharmacogénétique et psychopharmacologie clinique du Centre de neurosciences psychiatriques du CHUV, est dubitatif: «Cette étude a montré par imagerie par résonance magnétique fonctionnelle qu’après une injection de toxine botulique, certaines zones du cerveau réagissent. Mais cet effet n’est pas probant. Il suffit de dire à une personne de penser à des choses tristes ou joyeuses pour constater aussi des modifications de l’activité cérébrale. La dépression est une maladie pour laquelle l’effet placebo peut être très important, ce qui explique peut-être les résultats obtenus par l’étude. En psychiatrie, la toxine botulique n’a aucune utilité. Cependant, son effet esthétique aide les personnes à se sentir mieux dans leur peau. Cela va influencer positivement leur humeur et peut-être les rendre plus heureuses. Mais de là à traiter une dépression aiguë ou les symptômes de la personnalité borderline avec du botox…»
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* https://www.nature.com/articles/s41598-022-17509-0#Abs1
Paru dans Le Matin Dimanche le 16/04/2023