Diriger une prothèse par la pensée
Contrôler une prothèse par la pensée, c’est déjà possible. Mais de manière plutôt rudimentaire, explique le professeur José del R. Millán, directeur du laboratoire d’interface cerveau -machine de l’EPFL. Pour la commander, il faut apprendre à moduler l’activité électrique de son cerveau, à penser au mouvement que l’on veut faire. Des dispositifs –par exemple un électroencéphalogramme (EEG)– enregistrent et décodent alors ces «schémas d’activités». Telle configuration correspondra ainsi à une commande –diriger un bras robotique vers la gauche, par exemple–, telle autre à une autre commande –diriger le bras vers le haut. On peut générer des trajectoires en conjuguant les schémas: aller vers le haut et la droite, par exemple.
Cette approche a néanmoins une faiblesse: plus on demande un mouvement subtil à la prothèse, plus fins et complexes doivent être les signaux émis par le cerveau. Il semble qu’obtenir un tel raffinement soit possible. Toutefois, avec le déclin naturel des fonctions cognitives de l’utilisateur au cours de sa vie, «la performance du système va tôt ou tard diminuer», prédit le spécialiste.
L’erreur comme signal
Le Pr Millán et son équipe proposent donc une alternative. Elle se base sur un constat: «Il y a des tâches que nous avons tellement répétées –comme dessiner la forme d’une lettre quand nous écrivons– que notre cerveau n’a plus besoin d’y réfléchir en détail. Vous pensez à ce que vous voulez écrire et vous laissez faire votre main.» La suite de mouvements est mémorisée dans notre système nerveux, notamment dans la moelle épinière.
Le cerveau se contente donc d’initier l’action, mais il n’est pas inactif pour autant: il vérifie en effet que les mouvements résultants correspondent à son intention. Si ce n’est pas le cas, il produit alors un signal d’erreur qui indique que la séquence d’actions doit être modifiée. «Imaginons un jeu très simple: je vous montre des cartes et vous devez lever un bras selon la couleur de la carte, illustre le Pr Millán. Si l’on va très vite, vous allez finir par vous tromper. En 80 millisecondes –vous avez à peine commencé à lever la main–, vous réalisez que ce n’est pas le bon bras et le signal d’erreur apparaît. Vous ralentissez et vous commencez ce qui serait le mouvement correct.»
Sécuriser la technique
Détecter ces signaux d’erreur pour guider une prothèse, c’est ce qu’est parvenue à faire l’équipe de l’EPFL. Les chercheurs ont décrit leur expérience cet été dans la revue Nature Scientific Reports. Grâce à un «décodeur» de signaux d’erreur qui interprétait les informations fournies par un EEG, des personnes ont pu diriger un bras robotisé et lui faire atteindre des cibles précises.
«Au départ, la prothèse fait des mouvements aléatoires, décrit le scientifique. Elle reçoit ensuite des informations du cerveau de la personne et adapte son action selon que ses mouvements s’approchent ou non de l’objectif. Elle "apprend" également avec un algorithme: si, dans une situation donnée, elle a effectué un mouvement considéré comme correct par la personne, elle le reproduira la prochaine fois qu’elle sera dans des circonstances analogues.» Le système est très efficace: après quelques essais, la prothèse atteint sa cible presque à tous les coups.
Pour autant, on ne va pas voir tout de suite dans la rue des prothèses de ce type. «Il faut les tester et les développer pour qu’elles soient efficaces dans des circonstances très variées, prévient le Pr Millán. Dès lors qu’il y a une interaction physique entre la prothèse et l’environnement, il faut de plus absolument garantir la sécurité de ces dispositifs.» Les premières applications de cette technologie pourraient concerner des cas où une petite erreur d’interprétation ne met pas en danger la personne: un système où l’on contrôlerait un ordinateur par la pensée plutôt qu’avec une souris et un clavier, par exemple.