Examens médicaux, la révolution à venir
Comment un grand généticien se retrouve-t-il chef d’un projet de bioinformatique clinique? Avec un grand éclat de rire, Jacques Beckmann explique que la limite d’âge l’a frappé au CHUV et qu’il souhaitait continuer son activité de chercheur. Mais son choix est cohérent : dans sa carrière, il a souvent évolué à l’interface entre plusieurs disciplines, sans compter que «la génétique est l’un des secteurs où la quantité d’information que l’on traite a déjà explosé». Il possède donc une « certaine sensibilité pour les changements qui s’opèrent » dans le lien entre médecine et informatique
Au sein du SIB, Jacques Beckmann s’efforce de dessiner les contours de la médecine de demain. Une discipline où les données deviennent fondamentales. Deux exemples : alors qu’il a fallu treize ans et des milliards de dollars pour réaliser le premier décodage du code génétique humain, on peut aujourd’hui réaliser la même opération en quelques jours et pour 3000 dollars, ce qui la rendra bientôt extrêment abordable et donc largement pratiquée. Dans le même temps, une grande partie de la population occidentale possède un smartphone. Equipés d’un accéléromètre et d’un GPS, ces appareils permettent de mesurer et de suivre précisément les mouvements quotidiens d’une personne. Mesurer son taux d’activité physique et planifier si nécessaire un petit footing en fin de journée devient un jeu d’enfant. De plus en plus performants, ces appareils sont en train de devenir des gadgets médicaux à la portée de tous permettant un suivi constant et continu.
Ces nouvelles données annoncent sans doute des bienfaits. Mais leur abondance rend complexe leur gestion et leur traitement. Comment retrouver le plus rapidement possible les aiguilles dans les bottes de foin?
Une visite chez le médecin aujourd'hui, c'est une auscultation et peut-être une prise de sang. Demain, le docteur aura-t-il devant lui des piles de données venues de la génétique et de capteurs enregistrant l'activité du patient?
Jacques Beckmann: La quantité et la qualité des informations dont disposent les médecins va exploser. Le système médical en recueille toujours plus. Il faudra, en outre, compter avec celles fournies par les patients qui prendront de plus en plus en charge leur propre santé, et ce dans toutes les sphères médicales, qu'il s'agisse d’hypertension, de cardiologie, d'ostéoporose, ou de cancer.
«Ome» et «omique»
On les appelle données -omiques et elles seront toujours plus présentes dans l’actualité. Le suffixe -ome désigne un ensemble pris dans sa totalité. Le génome est ainsi l’ensemble des gènes d’un organisme, le protéome l’ensemble des protéines dans un milieu donné. Par extension, les sciences -omiques étudient ces ensembles, ainsi de la génomique ou de la protéomique.
Comment, dans son cabinet, le médecin fera-t-il face?
J. B.: La médecine se digitalise de plus en plus. Tous les médecins ne seront pas informaticiens, loin de là. Aujourd'hui, un médecin de premier recours peut ne pas savoir interpréter lui-même un scanner ou une radio complexe. Il consulte donc le rapport que lui transmet le radiologue pour se faire une opinion.
La situation sera semblable demain: les médecins de ville recevront des rapports de collègues qui ont à la fois une formation médicale complète et l'expertise nécessaire pour comparer les résultats – par exemple génétiques – d'un patient avec les très grandes bases de données -omiques qui seront alors accessibles.
De quelles données parle-t-on?
Le microbiome est un bon exemple. Il décrit la centaine de billions de bactéries qui vivent avec nous et qui varient selon les individus. Les médecins l'examinent dans le cadre de maladies spécifiques comme une septicémie (une infection généralisée) mais il n'est pas encore intégré dans la prise en charge des patients qui ont d'autres troubles, comme l’obésité ou certains cancers, alors qu’on subodore qu’il pourrait y jouer un rôle.
Une anecdote à ce sujet: Michael Snyder, un professeur de génétique à l'université de Sanford a réalisé sur lui-même toute une batterie de mesures pendant quatorze mois. Son code génétique a été séquencé, il dispose aussi de données sur son transcriptome (de l'ARN, et du micro-ARN), son métabolome (ses hormones, ses neurotransmetteurs et autres métabolites) et de résultats protéomiques (sur l'ensemble des protéines de son corps), son «autoantibodyome» (l’ensemble des anticorps qu’il produit). Mais aujourd'hui, ces données ne lui servent que peu.
Demain par contre, quand on saura les renseignements que l'on peut en tirer, vous passerez peut-être, en arrivant à l'hôpital, une série de tests similaires à ceux de Snyder. Ils permettront de mieux calibrer votre prise en charge, notamment en les comparant aux résultats d'examens précédents que vous avez subis.
Avec quel degré de certitude?
Ce seront des informations probabilistes: on ne pourra que très rarement prédire que vous avez 100% de risque de développer une telle maladie. On vous dira par contre dans quelle mesure votre risque est accru ou non.
En tant que chef du projet «bioinformatique clinique» au SIB, quel rôle voulez-vous jouer dans cette évolution des prises en charge?
Nous partons du constat que la médecine va dans la direction d'un colossal accroissement des données qu'elle produit et qu'elle traite. Notre mission est d'être plus vite paré pour cette transition, de l'accompagner et, peut-être de l'accélérer, tout en sensibilisant les professionnels de la santé à l’utilité de cette évolution.
Le SIB a un rôle à jouer dans le développement d'outils d'analyse et de gestion des données mais pour l'instant, nous nous adressons aux médecins cliniciens. Nous leur demandons quels développements techniques ils entrevoient dans la prise en charge des patients pour déterminer comment nous pouvons les aider dans cette transition.
Les adeptes du quantified self (le soi quantifié) mesurent des pans entiers de leur existence, souvent à la recherche d'une meilleure santé. Que vous inspire leur démarche?
Jacques Beckmann: Il faudra opérer un tri: on ne sait pas encore quelles seront les mesures pertinentes. En attendant, garder une trace de ce qu'on mange a sans doute un effet positif si ça vous permet de vous rendre compte que, malgré votre petit creux, vous avez en fait mangé il y a peu et qu'il est donc un peu tôt pour reprendre des calories.
Au centre de ces développements, on trouve les smartphones
Votre smartphone est un dispositif médical, c'est vrai. Aujourd'hui déjà, il peut vous faire passer un électrocardiogramme: c'est une révolution en termes de coût par rapport à un appareil dédié.
Le smartphone devient un outil comme un autre pour le médecin, à la différence que c'est un outil dont disposent aussi les patients. Et ils ne vont pas se priver pour l'utiliser. Cela posera de nouveaux problèmes mais on verra aussi des améliorations. Si je tombe malade en voyage en Asie, je pourrai prendre mes mesures et les envoyer à mon médecin de Lausanne. Par email, il me donnera les informations dont j'ai besoin. Difficile de voir là autre chose qu'un progrès.