Trop de paracétamol abîme le foie, parfois irrémédiablement
Médicament antidouleur présent dans la plupart des armoires à pharmacie, le paracétamol nécessite de suivre scrupuleusement la dose maximum journalière autorisée. À noter que cette dernière a par ailleurs été revue à la baisse: au lieu des 4 grammes maximum par 24 heures préconisés par le passé, les médecins recommandent désormais de se limiter à 3 g. «Il y a une récente prise de conscience du corps médical au sujet de cette molécule. La posologie de routine a donc été diminuée et je vois de plus en plus d’ordonnances où une dose de 3 g journaliers au maximum est prescrite», explique Christophe Berger, président de la Société vaudoise de pharmacie. Par ailleurs, une des cinq recommandations de la Société suisse de pharmacologie et toxicologie cliniques présentées aux médecins ce printemps, dans le cadre du projet Smarter medecine (initiative qui lutte contre les traitements médicaux excessifs ou inappropriés), visait justement le respect de la dose maximale qui est encore officiellement de 4 grammes.
Que faire contre la douleur?
Le paracétamol est efficace contre les douleurs légères et utile pour faire baisser la fièvre. Cependant, il existe d’autres molécules qui agissent aussi sur ces deux aspects, de la classe des anti-inflammatoires. «Le problème de ces médicaments est qu’ils peuvent causer des problèmes rénaux, digestifs et augmenter la tension artérielle. Sans oublier qu’ils sont plus allergisants que le paracétamol», explique la Pre Caroline Samer, cheffe du Service de pharmacologie et toxicologie cliniques des HUG. À noter que pour les douleurs cancéreuses par exemple, les opioïdes sont davantage utilisés, avec leur lot d’effets secondaires, mais ils ne sont pas préconisés dans les douleurs chroniques du fait du risque de dépendance. Les corticostéroïdes soulagent aussi, mais leurs effets secondaires ne sont pas anodins non plus. Alors que faire? Les spécialistes s’accordent à dire que la douleur est un domaine complexe et qu’il n’y a pas de molécule miracle. Les thérapies non médicamenteuses sont aussi de bonnes alternatives, à l’instar de l’hypnose, l’acupuncture, ou la méditation pleine conscience, entre autres.
Hausse des cas d’intoxication
Pourquoi une telle prudence? Depuis la mise sur le marché des emballages de comprimés de 1 g en 2003, il y a eu une augmentation importante, d’environ 40%, des cas d’intoxication au paracétamol, comme l’a révélé une étude[1] de l’École polytechnique fédérale de Zurich en 2020. «La proportion de patients qui atteignent involontairement des doses toxiques est plus importante avec des comprimés de 1 g qu’avec ceux de 500 mg. Par ailleurs, un apport total de 3 g par jour, répartis en plusieurs prises, devrait suffire à soulager des douleurs modérées, tandis que le faible bénéfice d’une augmentation de posologie s’accompagne d’une augmentation du risque de toxicité», explique le Dr Haithem Chtioui, médecin associé au Service de pharmacologie clinique du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
Pour rappel, seuls les comprimés de 500 mg sont en vente libre, ceux de 1 g sont disponibles uniquement sur ordonnance. Christophe Berger poursuit: «Avec des comprimés de 500 mg, certaines personnes prennent l’habitude d’en prendre deux en une seule prise. Le problème, lorsqu’il y a des emballages de 1 g qui traînent à la maison, est que le consommateur, machinalement, avale deux comprimés. Dans ces cas-là, le risque de surdosage et donc d’intoxication est bien réel.»
Au-delà de 4 g de paracétamol par 24 heures, le foie peut déjà en pâtir. Entre 4 et 10 g, le risque de souffrance hépatique augmente et au-delà de 10 g en une prise, l’hépatite fulminante guette (lire encadré)! Par ailleurs, la prudence s’impose déjà après trois jours consécutifs à la dose maximale. «Le paracétamol est le médicament le plus consommé dans le monde et constitue également la première cause mondiale de toxicité du foie. Chaque année, les cas d’intoxication augmentent. Or ces dernières peuvent mener à des lésions irréversibles, parfois même à une greffe hépatique», explique la Pre Caroline Samer, cheffe du Service de pharmacologie et toxicologie cliniques des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Attention aux préparations combinées
Mais certaines personnes dépassent la dose maximale journalière sans même s’en rendre compte. Pour cela, il suffit de prendre plusieurs médicaments différents qui contiennent du paracétamol. «Rien qu’en France, 77 spécialités médicamenteuses associent certains principes actifs avec du paracétamol dans leur composition. En outre, on y trouve près de 120 médicaments contenant cette molécule seule ou en association, mais avec des noms différents», précise la Pre Samer. Il est donc facile de s’y perdre si on ne lit pas scrupuleusement la composition de chacun. Un exemple typique de surdosage non intentionnel est la prise simultanée d’une préparation permettant de lutter contre les états grippaux – qui peut renfermer plus de 300 mg de paracétamol – et d’un comprimé de 1 g de ce dernier. Et le Dr Chtioui de conclure: «Lors de fortes douleurs, l’émotion peut l’emporter sur la raison et certaines personnes auront tendance à reprendre un comprimé supplémentaire pour être soulagées, dépassant ainsi la dose maximale.»
Comment le paracétamol attaque le foie
Lorsqu’il se dégrade dans l’organisme, le paracétamol libère un métabolite (produit de transformation d’un corps chimique) toxique pour le foie. «Ce métabolite est hautement réactif et se fixe sur les protéines hépatiques. Cela provoque, entre autres, un stress oxydatif (agressions causées à une cellule, ndlr) et une nécrose du foie», précise la Pre Caroline Samer, cheffe du Service de pharmacologie et toxicologie cliniques des HUG. L’organisme est cependant bien fait et il peut, dans une certaine mesure, contrer cet effet. «Le foie fabrique du glutathion. Cette molécule permet de détoxifier le métabolite réactif. Malheureusement, lorsque la dose de paracétamol ingérée dépasse la capacité d’agir du glutathion, les lésions s’installent et peuvent aboutir à une défaillance hépatique sévère, nécessitant une transplantation», explique le Dr Haithem Chtioui, médecin associé au Service de pharmacologie clinique du CHUV. Mais tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Le glutathion provenant de l’alimentation, les personnes dénutries ne devraient pas prendre plus de 2 g de paracétamol par 24 heures. Même constat pour celles souffrant d’alcoolisme ou de maladies du foie, ainsi que pour les seniors. Quant aux enfants, il faut s’en tenir à la posologie indiquée sur le sirop pédiatrique à base de paracétamol. Un gramme peut déjà leur être toxique! Lorsque l’intoxication est avérée, il est possible de la court-circuiter par un traitement spécifique qui doit être administré dans les 24 heures suivant l’ingestion. Les symptômes n’apparaissent pas tout de suite, mais des vomissements, des douleurs abdominales et une coloration jaune de la peau sont des signes à ne pas ignorer.
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Paru dans Le Matin Dimanche le 19/05/2024
[1] Martine De la Torre A, Weiler S, Bräm DS, Allemann SS, Kupferschmidt H, Burden AM. National Poison Center Calls Before vs After Availability of High-Dose Acetaminophen (Paracetamol) Tablets in Switzerland. JAMA Netw Open. 2020;3(10):e2022897.