Autotests à consommer avec modération
Test antigénique + PCR = une aberration
Le Pr Nicolas Vuilleumier, médecin-chef du Service de médecine de laboratoire des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), est catégorique: «Pendant la crise sanitaire, l’obligation de confirmer par PCR tout autotest antigénique positif a été un gaspillage des ressources diagnostiques, contribuant à surcharger inutilement les laboratoires. En plein pic de la pandémie, les faux positifs avec ces tests spécifiques sont très rares. Et lorsque la prévalence de la maladie est faible et les personnes asymptomatiques, mieux vaut faire une PCR pour éviter les faux-négatifs.» Le Pr Gilbert Greub, directeur de l’Institut de microbiologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), pointe également du doigt les faux-négatifs: «À l’hôpital, nous avons pu constater que deux tiers des personnes sans symptômes Covid étaient infectées par le coronavirus malgré un autotest négatif à l’admission, ce qui leur permettait de transmettre la maladie. Faire un antigénique avant d’aller au cinéma: pourquoi pas. Mais pour une visite en EMS, il fallait impérativement faire une PCR!»
La pandémie a mis sous le feu des projecteurs les tests antigéniques capables de dire, en une vingtaine de minutes, si l’on est infecté par le coronavirus. Ces dispositifs ont permis à des milliers de personnes de décider si elles devaient renoncer à un repas de famille ou à une réunion de travail. Mais ces autotests simples et rapides, ne nécessitant pas l’intervention d’un soignant, sont-ils fiables? En ce qui concerne le coronavirus, ce point a fait polémique. Mais au-delà, que penser de ces dispositifs vendus en pharmacie et sur internet? «Il faudrait limiter le recours aux autotests au strict minimum, explique le Pr Nicolas Vuilleumier, médecin-chef du Service de médecine de laboratoire des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). La plupart utilisent de faibles volumes de fluide corporel, ce qui rend la fiabilité du résultat moins bonne. Le patient se retrouve alors face à un dilemme: si le résultat est négatif, il ne peut pas totalement s’y fier. S’il est positif, il va devoir consulter son médecin pour une vérification. Alors à quoi bon se tester?»
Faux sentiment de sécurité
La qualité de l’échantillon prélevé, le moment où le prélèvement a lieu et la façon dont le test est réalisé influencent grandement les résultats. «Les tests antigéniques, tels que celui utilisé pour déceler le coronavirus, détectent les protéines du virus ou des bactéries responsables de la maladie. Si la quantité de ces protéines n’est pas très élevée, le test peut être faussement négatif, explique le Pr Gilbert Greub, directeur de l’Institut de microbiologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Cela donne ainsi un faux sentiment de sécurité.» Le spécialiste prend l’exemple d’une flambée de cas de chlamydiose chez les jeunes Suédois: «Un autotest qui décèle la présence de la bactérie chlamydia trachomatis n’est sensible que dans 30% des cas. En utilisant cet outil avant d’avoir des rapports sexuels non-protégés, deux tiers des jeunes infectés ne l’ont pas su et ont pu transmettre la maladie. Il faut donc être prudent.»
Se pose aussi la question de l’intérêt de se soumettre à ce type de test pour tout un tas de maladies ou de carences. «Si le résultat n’a pas de conséquence sur l’attitude de la personne qui passe le test ou sur sa prise en charge, pourquoi le faire? Un diabétique a tout intérêt à tester sa glycémie régulièrement, car il va agir en fonction du résultat. Pour le Covid, en plein pic de la pandémie, une personne avec des symptômes typiques devait s’isoler et prendre du paracétamol. Ça ne rimait pas à grand-chose de faire un test antigénique pour confirmer ce qu’elle savait déjà», poursuit le Pr Greub. Un avis complété par le Pr Vuilleumier: «Tous les tests qui ne peuvent pas être interprétés correctement ou qui ne changent pas la prise en charge médicale, ne doivent pas être prescrits, ni réalisés, y compris par soi-même.»
Sans oublier qu’il est impossible de suivre l’évolution de certaines maladies endémiques si aucun laboratoire officiel ne peut avoir accès aux résultats des tests faits par les particuliers.
Jeremy De Mooij, pharmacien à Bulle et délégué du canton de Fribourg à PharmaSuisse, la faîtière de la branche, fait aussi preuve de réserve: «Dans la pharmacie où je travaille, nous avons limité l’assortiment des autotests. En les faisant seuls chez eux, les patients peuvent manquer d’accompagnement et courir le risque de s’auto-rassurer à tort. Cela n’est pas souhaitable.»
Interprétation des résultats et conséquences
Tous ces dispositifs ne sont pas à bannir pour autant. «À titre d’exemple, les bandelettes urinaires peuvent être utiles aux personnes régulièrement sujettes aux cystites, pour autant qu'elles aient été formées et connaissent les biais d'un tel test. Un résultat positif leur permet d’être autonomes et peut faciliter leur prise en charge médicale. En revanche, quelle est l’utilité de faire un test pour savoir si l’on souffre d’une carence en vitamine D, sachant que plus de 80% de la population en souffre? Mieux vaut faire une prise de sang chez le médecin ou en pharmacie pour avoir une vision globale des éventuelles carences, exclure des maladies qui pourraient en être la cause et se supplémenter en conséquence.» De manière générale, Jeremy De Mooij comprend l’intérêt de favoriser l’accessibilité aux tests, mais reste prudent face à une interprétation pertinente des résultats.
Un test positif au VIH… et après?
Pour moins de trente francs, on peut acheter un test sanguin pour savoir si l’on est séropositif ou pas. Discret et relativement facile à faire, ce type d’outil de dépistage n’est pas sans conséquence. «Avant de procéder à ce test seule chez elle, la personne doit se demander ce qu’elle fera avec le résultat. S’il est positif, est-elle en mesure de supporter cette nouvelle? On peut imaginer par exemple qu’un jeune pourrait réagir très fortement, voire faire une tentative de suicide», explique le Pr Gilbert Greub, directeur de l’Institut de microbiologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Jeremy De Mooj, pharmacien à Bulle et délégué du canton de Fribourg à PharmaSuisse, la faîtière de la branche, refuse de laisser un client repartir de sa pharmacie avec un tel test sous le bras: «Je lui demande de le faire sur place, en toute discrétion, afin de pouvoir lui donner des conseils en fonction du résultat et l’orienter vers un médecin ou un centre spécialisé.» Quant au Pr Nicolas Vuilleumier, médecin-chef du Service de médecine de laboratoire des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), il rappelle que «pour être fiable, l’autotest VIH sérologique agréé doit être effectué trois mois après le contact à risque. Fait avant, un résultat négatif peut être trompeur et inciter des personnes possiblement infectées à ne plus prendre les mesures de précaution nécessaires. Un résultat positif doit obligatoirement être confirmé par un laboratoire habilité.»
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Paru dans Le Matin Dimanche le 26/06/2022