Thomas Bischoff: «L’attractivité du métier de médecin de famille ne tient pas à la rémunération»
Médecin de premier recours, omnipraticien, généraliste, médecin traitant, les dénominations du médecin de famille sont nombreuses. Comment définissez-vous cette profession?
En suisse alémanique, nous disons du médecin de famille qu’il est le spécialiste de tous les cas. Il est celui qui gère toutes les demandes de manière adéquate. Il représente ainsi la porte d’entrée du système de santé. Il est aussi celui qui sait traiter les problèmes selon leur ordre d’importance. Son rôle d’accompagnateur est selon moi une des particularités du médecin de famille qu’il faut encore et toujours défendre, car c’est le seul à superviser la santé d’une personne sur le long terme, à travers les différentes étapes de sa vie.
Qu’est-ce qui vous a poussé à faire carrière dans la médecine de famille?
Mon intérêt pour la médecine de famille s’est construit au fil de mes années d’études. J’ai fait ma première année de formation postgrade en médecine sociale et préventive, puis un cursus classique de médecine interne. Après avoir été chef de clinique à Fribourg, j’ai monté avec des amis un cabinet de groupe dans la banlieue de Zurich. A l’époque, les cabinets de groupe étaient relativement rares et je pense que c’est vraiment ma vision communautaire de la médecine qui m’a poussé vers la médecine de famille. Etre proche des gens et de leur maladie. Il y a, selon moi, une richesse dans la médecine de famille que vous ne trouvez nulle part ailleurs. La diversité de choses auxquelles nous sommes confrontés est énorme, ce qui peut aussi faire peur, car nous ne maîtrisons pas forcément 100% des aspects de cette profession. Il n’y a pas de routine dans la médecine de famille et c’est ce qui me plaît.
Nous sommes face à une pénurie imminente de médecins de famille. Comment expliquez-vous que ce qui était une passion pour vous ne le soit plus pour la jeunesse d’aujourd’hui?
Nous payons les conséquences d’une politique de santé qui a été mal menée. Il ne s’agit pas uniquement d’une pénurie de médecins de famille, mais d’une pénurie de soignants tout court. La Suisse n’a pas formé suffisamment de médecins parce que ce sont des formations qui coûtent cher. L’intérêt n’étant pas immédiat – il faut dix ans pour former un médecin – et nécessitant des investissements importants, ces dispositions étaient politiquement difficiles à défendre. Des mesures ont désormais été prises et Lausanne va par exemple augmenter ses places d’étudiants de 160 à 220 dans les deux prochaines années. Concernant plus particulièrement la médecine de famille, plusieurs points ont joué en sa défaveur: les conditions d’installation, les conditions du métier et, bien sûr, la rémunération qui est moindre chez les médecins de famille que chez les spécialistes.
La rémunération n’est-elle pas finalement la raison principale du désintérêt des jeunes médecins pour la médecine de famille?
L’argent est un élément très important. Mais l’attractivité de ce métier ne tient certainement pas à la rémunération. Il y a beaucoup d’autres éléments à prendre en considération, comme le rôle que l’on donne au médecin de famille et la façon dont ce rôle s’exprime. Prenons l’exemple des frais d’examen de laboratoire qui ont été révisés à la baisse en 2009: est-ce important ou non? En soi, on peut réduire cette question à son seul aspect financier, mais ce n’est pas de cela dont il s’agit. La question est plutôt de savoir si nous valorisons ou non certaines fonctions du médecin de famille. Est-ce que nous estimons qu’elles sont importantes ou non? C’est de cela dont il s’agit.
Vous avez créé en 2009 à Lausanne la première chaire de médecine générale de Suisse romande. Depuis lors, avez-vous l’impression que les étudiants s’intéressent davantage à la médecine de famille?
Nous ne sommes pas encore en mesure de donner des chiffres, mais nous avons clairement l’impression que le nombre de candidats augmente. Pour que le milieu académique accepte et reconnaisse la médecine de famille comme discipline digne d’un enseignement universitaire, il a fallu vingt ans. Auparavant, les étudiants ne choisissaient pas la médecine de famille comme projet de carrière parce qu’ils ne la connaissaient tout simplement pas. Maintenant, tous les étudiants connaissent la médecine de famille de l’intérieur. Une de nos grandes réussites, c’est d’être parvenus à instaurer, en sixième année, un mois de stage obligatoire dans un cabinet. Et depuis, nous avons clairement l’impression qu’une bonne partie des étudiants perçoit ce choix de carrière de manière plus positive.
Le changement politique entre Pascal Couchepin et Alain Berset y est-il pour quelque chose?
Disons que sous Pascal Couchepin des actions claires en défaveur de la médecine de famille ont été menées, les plus visibles concernant la diminution du tarif de laboratoire qui a rendu le maintien de cet outil par les médecins de famille pratiquement impossible. Mais il faut surtout voir cela comme un signe de mépris vis-à-vis de la médecine de famille. Alain Berset a maintenant clairement reconnu l’urgence de soutenir la médecine de famille et de la renforcer. Et il a raison, car il est désormais prouvé que plus un système de médecine de premier recours est fort, plus le système de santé est performant: il coûte moins cher, assure une meilleure médecine préventive, de meilleurs soins et contribue à baisser le taux de mortalité de la population.