La honte n’a pas sa place devant le médecin
Le simple fait de pousser la porte d’un cabinet médical implique de se mettre un peu à nu, au propre comme au figuré. Se retrouver en soutien-gorge ou torse nu pour se faire examiner le thorax et contrôler le fonctionnement des voies respiratoires ne pose généralement pas de problème à la plupart des gens. Cependant, certains sujets sont difficiles à aborder avec son médecin, qu’il soit généraliste ou spécialiste, car ils touchent à l’intimité ou à des fonctions du corps jugées dégoûtantes. « Les hommes et les femmes ne sont pas gênés par les mêmes choses. Chez les premiers, la dépression ou les troubles de l’érection sont difficiles à aborder. L’éjaculation précoce est aussi un grand tabou, alors que 4 % des hommes en souffrent et qu’il existe des traitements dévolus à ce problème », explique le Dr Baptiste Pedrazzini, médecin de famille à Échallens et médecin associé responsable du secteur enseignement prégradué au Département de médecine de famille d’Unisanté, à Lausanne.
Ne pas négliger la couleur des selles
Les personnes qui poussent la porte du bureau du Pr Jean-Louis Frossard, médecin-chef du Service de gastro-entérologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), sont là pour des problèmes digestifs et sont donc moins gênées de parler de leurs selles ou de leurs flatulences. « Les gaz sont un phénomène tout à fait naturel. L’air expulsé est d’une part celui que nous avalons et de l’autre celui créé par les bactéries qui colonisent notre intestin. Cela devient inquiétant si le patient a plus de vingt gaz par jour. » Quant à la couleur des selles, le spécialiste rappelle que des variations dans les tons bruns ou verts sont tout à fait normales. « En revanche, des selles noires sont le signe d’une hémorragie dans le tube digestif et il faut investiguer. Lorsqu’elles sont rouges, cela peut évoquer des hémorroïdes, un polype ou des diverticules. Enfin, les selles blanches, accompagnées d’urines très foncées, montrent qu’il y a une obstruction des voies biliaires. » Et de préciser : « Tout changement important dans la fréquence des selles ou leur texture, accompagné de douleurs ou de perte de poids et qui perdure, devrait donner lieu à une consultation chez un spécialiste. En Suisse, il y a chaque année 4500 nouveaux cas de cancer du côlon. Il est donc important de ne pas passer à côté du diagnostic. »
Les femmes peinent quant à elles à aborder leurs problèmes de libido, mais ce n’est pas leur seul domaine tabou. Le Dr Pedrazzini précise : « Elles ne parlent pas facilement de leurs flatulences par exemple, alors que les gaz sont un phénomène tout à fait normal qui touche tout le monde. En cas de gêne importante, il faut s’assurer qu’il n’y a pas d’intolérance alimentaire ou de signe d’alarme, comme une perte de poids » (lire encadré).
Dans les cours qu’il donne aux futurs médecins, Baptiste Pedrazzini insiste sur un point important : « La gêne du patient vient souvent de celle de son docteur. Aborder les questions délicates frontalement et sans crainte est une bonne façon de montrer qu’il est ouvert à ce type de discussion. »
Oser parler de sexualité
Ne pas oser parler des questions en lien avec les organes sexuels est d’autant plus dommage que certains troubles peuvent être le miroir de maladies plus graves. « Des problèmes dans le couple ou le stress peuvent avoir un impact sur la sexualité. Cependant, chez les hommes de plus de 50 ans, un trouble de l’érection peut être le premier symptôme d’une maladie cardiovasculaire. Une panne arrive à tout le monde, mais si le problème devient récurrent et dure depuis plusieurs mois, il faut consulter », explique le Dr Lorenzo Soldati, responsable de l’Unité de médecine sexuelle et sexologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). « Chez la femme, poursuit le spécialiste, le manque de désir et la sécheresse vaginale sont parfois la conséquence de maladies endocriniennes, comme le diabète. Des douleurs lors de la pénétration peuvent être dues à des maladies gynécologiques comme l’endométriose. Quoi qu’il en soit, il est important de pouvoir parler de sexualité à son médecin puisqu’elle est en même temps une source de plaisir, un moyen de communication avec l’autre et d’expression de l’identité de genre ».
Et le Dr Pedrazzini de conclure : « Quelle que soit l’origine du problème, à partir du moment où il fait souffrir la personne, elle doit en parler. Le médecin pourra lui proposer un traitement adapté après avoir exclu certaines pathologies. »
Bouchons de cire, mauvaise haleine et transpiration
Les personnes qui transpirent beaucoup ont souvent des réticences à en parler, car cela renvoie à un manque d’hygiène. « La sudation excessive est un sujet gênant. En principe, transpirer beaucoup n’est pas pathologique. Dans de rares cas toutefois, cela peut être le signe d’une maladie. Par exemple, si la forte sudation survient surtout la nuit et qu’elle est accompagnée de fièvre et d’une perte de poids, cela peut parfois cacher un lymphome. Si la personne se plaint d’une transpiration malodorante, je propose d’utiliser un déodorant topique et de se laver avec un savon antibactérien pour diminuer la colonisation bactérienne », explique le Dr Baptiste Pedrazzini, d’Unisanté. Autre sujet gênant : la mauvaise haleine. « Elle provient le plus souvent de la bouche, par exemple en cas de gingivite ou simplement de bouche sèche, poursuit l’expert. Plus rarement, elle peut être le signe d’une infection des voies respiratoires ou de maladies plus graves. » Et le Pr Jean-Louis Frossard, médecin-chef aux HUG, de préciser : « Dans seulement 10 % des cas, elle est le signe d’une lésion à l’œsophage ou d’un reflux gastrique important. » Bouchons de cire ou crottes de nez, pourtant anodins, sont souvent perçus comme des signes de négligence. Il n’y a pas grand-chose à faire, « les deux ont notamment un rôle de protection contre les infections, ils sont donc utiles », précise Baptiste Pedrazzini. Et que faire en cas de pieds malodorants ? « Parfois, c’est à cause d’une mycose. Une infection bactérienne peut aussi être responsable de mauvaises odeurs. Des traitements existent, il ne faut pas hésiter à consulter », conclut l’expert d’Unisanté.
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Paru dans Le Matin Dimanche le 25/02/2024