L’irrésistible ascension de la télémédecine
La télémédecine, ce ne sont pas seulement des consultations via un logiciel de visioconférence. Cette nouvelle manière de pratiquer la médecine permet aux professionnels de la santé d’offrir d’autres prestations, le tout à distance: solliciter l’avis d’un expert (téléexpertise), assurer un suivi des patients à domicile (télésurveillance), assister un autre professionnel de la santé dans un acte médical (téléassistance), conseiller et orienter les patients qui s’adressent à un centre d’appels (télérégulation). Tout cela grâce aux technologies de l’information et de la communication (TIC).
Avant la pandémie du Covid-19, la télémédecine était peu développée en Suisse. On l’utilisait presque exclusivement pour des actes de téléexpertise et de téléassistance, le plus souvent par téléphone ou par courriel. La crise sanitaire liée au coronavirus a changé la donne. Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qualifie la situation de pandémique. La Suisse, comme les autres pays, doit s’adapter en introduisant des règles de distanciation sociale pour endiguer la propagation du virus. En conséquence, de nombreuses consultations et opérations chirurgicales sont provisoirement déprogrammées.
Un développement spectaculaire
Même après le 27 avril 2020, date à laquelle le Conseil fédéral a autorisé les hôpitaux et les cabinets médicaux à reprendre les consultations ambulatoires et les interventions non urgentes, les professionnels de la santé ont dû continuer à se conformer aux impératifs sanitaires en basculant vers la télémédecine chaque fois que la situation du patient le permettait. C’est ainsi que cette pandémie a favorisé et accéléré le développement de la télémédecine. Tri à distance des sujets contaminés et non contaminés, traçage des cas suspects via des applications pour smartphone, suivi des patients infectés par téléconsultation, sont quelques exemples de mise à profit des TIC dans l’exercice de la médecine en ces temps de crise.
À l’instar du Dr Jean Gabriel Jeannot, médecin généraliste à Neuchâtel, certains n’hésitent pas dire que la pandémie a contribué à un «essor inespéré de la télémédecine». Le quotidien Le Monde parle d’un «développement spectaculaire» et d’un «effet secondaire inattendu de la crise sanitaire». Comme si les circonstances avaient aidé les acteurs du système de santé à faire fi des réticences face à la nouveauté…
Assez vite, en effet, les gouvernements ont consenti à assouplir temporairement les réglementations concernant ce type de pratique médicale. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a encouragé les associations de médecins à l’introduire dans leur cabinet. Il ne pouvait échapper aux autorités que le basculement vers les vidéoconsultations permettrait d’éviter l’engorgement des services d’urgence, tout en protégeant les patients comme les professionnels de la santé contre les risques de contamination dans les lieux de soin.
Autre avantage de la télémédecine: les professionnels de la santé ayant contracté le virus peuvent continuer à fournir certaines prestations à distance. La continuité des soins et le maintien à domicile des patients fragilisés ne sont donc pas menacés. Dès le début de la crise, une collaboration inédite s’est nouée au sein des réseaux cantonaux de soins et tout cela s’est mis en place en très peu de temps.
Les seniors s’y mettent aussi
Un exemple: les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), qui travaillent déjà depuis 2017 sur une application connue aujourd’hui sous le nom de doctor@home. Au début, il s’agissait d’un projet de téléconsultation assistée par vidéo ou chat pour les infirmières qui, intervenant soit à domicile, soit en EMS, avaient besoin de solliciter l’avis d’un médecin quant à l’éventuelle nécessité de réadmettre un patient fraîchement sorti de l’hôpital. Il était question de rendre cette application accessible aux patients chroniques dès 2021. Mais la pandémie a motivé le développement accéléré d’une version destinée à l’ensemble du personnel médico-soignant des HUG et aux médecins de ville, pour des vidéoconsultations non liées au Covid-19. À ce jour, il s’en est effectué plus de 6000 via ces applications.
L’âge des patients n’est d’ailleurs pas un frein. La génération des digital natives (les enfants du numérique) est évidemment plus à l’aise avec tout ce qui a trait au digital, mais selon un sondage réalisé par la plateforme franco-allemande Doctolib, 15 % des patients qui plébiscitent les services de télémédecine ont entre 55 et 64 ans et 11 % sont âgés de plus de 65 ans. D’ailleurs, les situations dans lesquelles une vidéoconsultation n’est pas envisageable sont peu nombreuses. C’est le cas, bien sûr, lorsqu’il faut effectuer un examen physique (par exemple, auscultation, palpation) ou un geste technique (désinfection d’une plaie, biopsie, injection, etc.). Il arrive aussi que le patient et le médecin aient besoin d’être physiquement présents, parce qu’ils ne parlent pas la même langue et qu’ils ont des difficultés à se comprendre. Ou parce que le patient présente des troubles cognitifs, par exemple.
En théorie comme dans la pratique, la télémédecine facilite tout de même l’accès aux soins. Les téléconsultations assistées ont précisément été développées pour couvrir les zones géographiques éloignées des grands centres hospitaliers. À présent, elles sont appelées à intégrer l’offre des prestations de soins à domicile. La télémédecine pourrait ainsi apporter des réponses pratiques aux problèmes posés par le vieillissement de la population. Par exemple, grâce à l’internet des objets qui facilite le monitoring des patients à distance. Ces objets, habituellement des montres ou des bracelets, permettent en effet d’enregistrer des données médicales telles que la tension artérielle ou la glycémie (teneur du sang en sucre) pour les transmettre au médecin ou à une centrale de télésurveillance, via un système de communication sans fil. Pour certains observateurs, cette évolution s’inscrirait dans la suite naturelle des choses.
Témoignages
«J’avais toujours pensé que le téléphone était suffisant»
Témoignage du Dr Jean Gabriel Jeannot, médecin généraliste à Neuchâtel
«J’ai commencé à utiliser la vidéoconsultation pendant la période de semi-confinement, à un moment où nous ne devions recevoir en face-à-face que les patients urgents. J’étais déjà habitué à utiliser le téléphone et le courriel pour échanger avec mes patients, mais la vidéoconsultation a été une nouveauté. J’avais toujours pensé que le téléphone était suffisant, que l’image n’était pas très utile. Mes premières vidéoconsultations m’ont fait changer d’avis. Même si cela peut paraître paradoxal, la vidéo apporte une surprenante proximité. À chaque fois, mes patients se sont dits reconnaissants de pouvoir bénéficier d’une consultation sans devoir se déplacer. Bien sûr, il faut encore ne pas rencontrer de problèmes techniques ; mais dans la règle, la vidéoconsultation est un moyen de soigner efficace, sauf dans certains cas plutôt rares. Il est important que les professionnels de la santé et les patients s’habituent à ce nouveau moyen de communication qui est voué à prendre la place qui lui revient dans la prise en charge de nos patients.»
«Le lien est pratiquement le même qu’en face-à-face»
Témoignage d’un patient neuchâtelois, DD, 67 ans
«Nous sortions à peine d’une période de confinement volontaire à cause du Covid-19 quand j’ai découvert la vidéoconsultation. Je devais aller voir mon médecin mais, appartenant à un groupe à risque en raison de mon âge, je n’étais pas rassuré à l’idée de sortir de chez moi et de rencontrer des gens. J’ai donc aussitôt saisi cette opportunité. Nous avions déjà eu, mon médecin et moi, des contacts par e-mail et par téléphone ; mais là, j’ai trouvé que la vidéoconsultation, qui permet de se voir et de s’entendre, facilitait grandement la compréhension mutuelle. Il se crée pratiquement le même lien que lors d’une consultation au cabinet. J’ai eu recours à la vidéoconsultation à deux reprises et j’en ai retiré le bénéfice escompté. Cela ne remplace pas, bien sûr, la consultation traditionnelle, à laquelle je suis revenu par la suite, car j’avais besoin d’examens qui doivent nécessairement être effectués en cabinet.»
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Paru dans Planète Santé magazine N° 38 – Octobre 2020