Patients et soignants désormais partenaires

Dernière mise à jour 24/10/23 | Article
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Le modèle de Montréal, initié en 2010, prône une relation d’égal à égal entre les professionnels de la santé et les malades. Il a fait des émules partout dans le monde, y compris en Suisse, où les rôles sont redéfinis.

«J’avais besoin de comprendre pour avoir une conversation d’égale à égal avec mon médecin»

Christine Bienvenu est patiente partenaire diplômée de l’Université des patients de la Sorbonne. Aujourd’hui, la quadragénaire fait de la recherche et enseigne à Unisanté (Lausanne), à l’Institut des sciences pharmaceutiques de Suisse occidentale (IPSOS à Genève) et, depuis septembre, à la Haute École de santé de Suisse occidentale (HES-SO). Son objectif est de mettre à disposition ses connaissances en tant que femme touchée par un cancer du sein en 2010.

Son intérêt pour l’implication du patient se manifeste déjà en 2006, lorsque son fils âgé de 5 ans présente des troubles de l’apprentissage et qu’elle cherche des moyens pour l’aider. «En tant que maman, je ne supportais pas d’être impuissante, alors j’ai cherché des informations sur Internet. J’avais besoin de comprendre pour avoir une conversation d’égale à égal avec le pédiatre de mon fils afin de lui trouver les meilleures solutions d’accompagnement. J’ai trouvé des informations qui semblaient correspondre aux caractéristiques comportementales de mon fils. Je les ai montrées au pédiatre, qui a été réceptif à les intégrer dans son bilan.»

Par la suite, lors de son diagnostic de cancer du sein, Christine s’implique également en recherchant des informations sur sa maladie et en essayant de mieux comprendre les traitements. Elle se démène pour rester informée, recherche des publications scientifiques sur sa tumeur rare et agressive.

Elle crée une plateforme romande destinée aux autres femmes touchées par un cancer du sein afin qu’elles puissent parler entre elles de leurs expériences, de leurs traitements et trouver des informations autrement. «De fil en aiguille, on me sollicitait pour participer à des symposiums et des conférences. Puis, on m’a demandé d’intervenir dans des programmes de formation. Pour consolider mes connaissances et avoir un peu de "légitimité académique", j’ai suivi une formation à la Sorbonne, à Paris, pour obtenir un diplôme de patiente partenaire.»

Grâce à sa maladie et ses études, Christine Bienvenu s’est réinventée dans un nouveau métier, où elle a transformé son expérience en expertise. Cela fait d’elle une interlocutrice indispensable lorsqu’il s’agit de réfléchir à la manière de soigner les patients de façon plus éthique et inclusive. «Longtemps, le corps médical plaçait le patient au centre des discussions, mais sans que ce dernier fasse réellement partie de la conversation. De plus en plus, avec le partenariat et la décision partagée, c’est la maladie qui est placée au centre des préoccupations et le patient est autour de la table avec les soignants pour trouver des solutions.»

Aujourd’hui, rares sont les personnes qui ne se documentent pas sur internet sur le mal qui les affecte et les traitements existants. La suprématie du médecin est, par la force des choses, ébranlée. Exit donc le modèle paternaliste en vigueur il y a quelques décennies. Désormais, le corps médical et la patientèle interagissent de manière plus transversale. Et c’est une bonne chose.

Si internet a favorisé ce changement, ce n’est clairement pas la seule raison. Le besoin d’impliquer davantage le patient dans les décisions le concernant, de lui apprendre à gérer sa maladie et son traitement, est né également d’un constat: il y a de plus en plus de personnes atteintes de maladies chroniques ou de cancer. Ce qui implique des soins de longue durée et l’acquisition d’une certaine expérience en tant que patient, devenu –par la force des choses– spécialiste de sa maladie. L’éducation thérapeutique s’est développée dès les années 1970 en réponse à ce constat.

Le modèle de Montréal

Initié en 2010, le modèle de Montréal est également né de cette volonté de créer un véritable partenariat entre les professionnels des soins et les malades pour renforcer la démocratie en santé. Les savoirs des soignants et ceux issus des expériences du patient sont complémentaires. Ce dernier est considéré comme un membre de l’équipe de soin. Il a ainsi la légitimité de prendre les décisions thérapeutiques qui lui semblent les plus adaptées à sa situation et à ses projets futurs, en collaboration avec son médecin. Au Canada, le gouvernement soutient ce type de partenariat, que ce soit au niveau de la recherche, de l’enseignement ou encore des décisions à prendre dans les organisations de santé.

En France, l’Université des patients, créée en 2010, forme les personnes atteintes d’une maladie pour que leurs expériences puissent être mises à disposition de la collectivité.

En Suisse, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a élaboré un concept de soutien à l’autogestion des maladies non transmissibles qui s’appuie sur les notions d’éducation thérapeutique et de partenariat. «Les professionnels sont invités à renoncer à une conception traditionnelle du soin, marquée par la hiérarchie, et à entrer dans une relation de partenariat avec les personnes concernées et leurs proches», peut-on lire dans une brochure de l’OFSP.

Les premiers changements ont eu lieu petit à petit sur le terrain. Aline Lasserre Moutet, cheffe du Centre d’éducation thérapeutique du patient aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), illustre: «Un des pionniers d’une approche plus humaniste et centrée sur le vécu du patient est le professeur Jean-Philippe Assal. En 1975 déjà, il a créé aux HUG l’Unité de traitement et d’enseignement pour diabétiques, dans le but de renforcer l’autonomie des personnes atteintes de diabète en leur apprenant à gérer leur maladie et leur traitement. Dès 2016, les HUG ont commencé à faire appel à l’expertise de patients partenaires, en s’inspirant du modèle de Montréal.»

Des patients partenaires

Aujourd’hui, de plus en plus d’hôpitaux (lire encadré) se mettent ainsi à prendre en compte les savoirs des patients. «Il y a désormais une vraie reconnaissance, de la part du corps médical et soignant, des compétences acquises par les malades. Au sein des HUG par exemple, tous les cadres médicaux et soignants doivent désormais suivre une formation obligatoire, co-animée et co-conçue par des patients, sur ce concept de partenariat», explique Sandrine Jonniaux, infirmière responsable du programme «Patients partenaires + 3P Proches, Professionnels et Public» des HUG.

Un espace de médiation pour récolter des données sur le vécu hospitalier

Ouvert en 2012, l’Espace de médiation entre patients, proches et professionnels (EMP) du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) a permis de développer des projets d’améliorations inspirées des insatisfactions décrites par les usagers. «Nous avons recueilli plus de 5000 témoignages sur le vécu hospitalier des patients et de leurs proches. L’EMP est un véritable laboratoire de production de données. Celles-ci nous permettent d’agir concrètement pour améliorer l’hospitalité de l’hôpital tant pour les patients que pour les professionnels», explique Béatrice Schaad, professeure en charge des relations entre patients et professionnels à l’hôpital à l’Université de Lausanne (UNIL) et à l’Institut des humanités en médecine du CHUV.

Le classement minutieux des milliers de données recueillies via l’EMP permet d’alimenter des projets de recherche. «À titre d’exemple, sur la base de témoignages recueillis, nous avons monté une étude de terrain en oncologie sur les besoins insatisfaits des patients. Elle nous a permis de proposer des solutions qui améliorent leur quotidien. Pour une mère de famille, cela peut être une garde pour ses enfants lors de ses séances de chimiothérapie. Pour une autre personne, il peut s’agir d’obtenir des informations sur les aides financières auxquelles elle peut prétendre. Ces améliorations sont indispensables pour éviter que l’hôpital ne devienne une machinerie compliquée et inhospitalière tant pour les patients que pour les professionnels», poursuit Béatrice Schaad.

Les doléances récoltées à l’EMP sont anonymisées et transmises aux services concernés. «En médecine interne, par exemple, plusieurs patients se sont plaints de ne pas savoir quelle était la personne qui dirigeait la prise en charge. Désormais, toutes les personnes admises dans ce service reçoivent une carte de visite avec les coordonnées du médecin. Une amélioration très simple et très efficace.»

L’EMP a également recueilli des témoignages de soignants maltraités par leurs patients, que ce soit physiquement, verbalement ou sur les réseaux sociaux. «L’hôpital ne doit pas être un lieu de conflit. Aujourd’hui, ce n’est plus un tabou de dire que l’on a été malmené par un patient. Les professionnels apprennent à poser des limites et à témoigner de leurs difficultés.»

Concrètement, le vécu global d’un malade, les conséquences du traitement et de la pathologie sur son quotidien, ses besoins pour vivre malgré un parcours de soins de longue haleine, doivent désormais être pris en considération par les professionnels de santé. En théorie, cela semble évident, mais cela implique un grand bouleversement.

«Jusqu’à présent, les médecins ont été formés pour devenir des experts et guérir leurs patients. Ils posent un diagnostic et prescrivent un traitement. Pour une maladie aiguë, cela fonctionne très bien: au bout d’un certain temps, le patient guérit. Malheureusement, ce n’est pas le cas pour les pathologies chroniques. La personne suit un traitement sur le long terme. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de 60% des patients ne prennent pas correctement leur médication. Pour améliorer l’adhésion thérapeutique (le fait de comprendre et donc de suivre correctement son traitement, ndlr), les professionnels de la santé doivent intégrer les aspects psychosociaux et émotionnels dans leur prise en charge», explique le Pr Zoltan Pataky, directeur du Centre collaborateur de l’OMS pour les maladies chroniques et responsable de l’Unité d’éducation thérapeutique du patient aux HUG. Et de poursuivre: «D’un côté, le malade doit accepter les changements que la maladie chronique va engendrer sur son quotidien; de l’autre, les médecins doivent s’adapter et comprendre l’importance d’une relation de confiance et d’une collaboration avec les patients. La plupart sont motivés, mais ils se sentent parfois démunis.»

Former les professionnels

Ce changement de mentalité passe, notamment, par la formation des professionnels de la santé. «Certaines universités invitent des patients pour enseigner dans les auditoires des facultés de médecine. C’est une reconnaissance du savoir expérientiel des patients, dans un environnement où le savoir académique domine», relève Aline Lasserre Moutet. «Le partenariat avec les patients soulève des enjeux de pouvoir importants qui doivent être nommés pour favoriser une “conflictualité constructive”; c’est ce qui garantit une réelle collaboration», conclut-elle.

À Genève, l’Association Savoir Patient donne, depuis 2003, des cours dans les Hautes écoles et à la Faculté de médecine de l’Université de Genève. Elle organise également des Forums soignants-soignés. «Notre association est née d’une volonté de pouvoir intégrer pleinement les patients. Il faudrait aller plus loin dans la formation, en imaginant des modules co-enseignés par les patients sur des thématiques qu’ils jugent importantes. Il est aussi nécessaire de les intégrer dans les comités directeurs des institutions de soins, des ligues contre le cancer. Les patients ont envie que les choses changent, mais cela doit également venir des soignants. Un grand nombre d’entre eux ne proposent toujours pas aux patients de leur fournir une copie de leur dossier médical et, de leur côté, les patients ne la demandent pas», explique Angela Grezet, directrice de Savoir Patient.

Les intéressés sont formels: les mentalités évoluent et les patients sont de plus en plus présents dans les nouveaux projets liés à la santé. «Désormais, une des conditions pour obtenir un soutien financier du Fonds national Suisse est que des patients soient intégrés dans la recherche. La Fondation privée des HUG, par exemple, soutient l’engagement des patients et pose aussi cette condition lors d’une demande de financement», conclut Sandrine Jonniaux.

Tour d’horizon non exhaustif de ce qui se fait en Suisse romande

En plus de leur Unité d’éducation thérapeutique, les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ont mis sur pied le programme «Patients partenaires + 3P Proches, Professionnels et Public», qui met l’accent sur le partenariat à chaque étape du parcours de soins du patient, dans toutes les spécialités, notamment dans l’enseignement et la recherche. Il en découle une plateforme regroupant plus de 700 patients partenaires, dont 70 particulièrement actifs. «Toutes les institutions romandes peuvent solliciter notre plateforme pour leurs projets. Des patients ou proches aidants partenaires leur sont proposés selon le profil recherché. Par ailleurs, chaque fois que les professionnels de santé des HUG montent un projet ou une formation, ils intègrent des patients partenaires», explique Sandrine Jonniaux, infirmière responsable du programme des HUG.

À Genève encore, le Réseau Cancer du Sein existe depuis 2001. Cet organisme de l’Association Savoir Patient se définit comme une plateforme participative transdisciplinaire dont le but est de diminuer l’impact de la maladie et des traitements sur la vie des patientes. «Présidé par deux médecins et une patiente, ce groupe de travail s’occupe de l’amélioration des soins et du parcours des patientes, de recherche et d’enseignement», explique Angela Grezet, directrice de Savoir Patient.

À Lausanne, le Collège citoyen de co-chercheur-es en matière de santé est associé au ColLaboratoire, l’unité de recherche-action, collaborative et participative de l’Université de Lausanne (UNIL). Né en 2018 et soutenu par l'Office du médecin cantonal vaudois, le Collège regroupe des membres de la société civile menant une réflexion globale sur la santé et s’engage sur différents projets de santé avec des institutions partenaires. Par exemple, certaines personnes membres du Collège participent au projet de recherche Santé intégrative et société lancé par la Fondation Leenaards. D’autres sont engagées dans le projet Hôpital adapté aux aînés (HAdAS) mené avec le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Jean Richard, citoyen engagé dans le Collège et dans d’autres projets de recherche à titre personnel, témoigne: «Lorsque mon cancer de la moelle osseuse a été diagnostiqué, je me suis documenté. J’ai une copie des documents médicaux me concernant. Cela me permet de poser des questions à mon oncologue et je m’attends à obtenir des réponses.» Jean Richard a également intégré un projet de recherche sur le myélome multiple aux HUG. «Je participe activement à la formation des oncologues grâce à mon expérience de malade du cancer. L’existence d’infirmiers référents en oncologie spécialistes des médecines complémentaires est un premier pas vers une meilleure collaboration entre soignants et patients, où l’empathie et le relationnel ont une vraie place dans le parcours de soins.»

Le CHUV a aussi un programme de patients partenaires. Parallèlement, il développe également des projets d’amélioration sur la base de témoignages de patients et de leurs proches, tout comme des enseignements. «Nous avons, par exemple, mis sur pied un cours en collaboration avec l’École hôtelière de Lausanne afin que l’hôpital puisse appliquer des méthodes d’accueil et de services propres à l’hôtellerie auprès de ses patients», explique Béatrice Schaad, professeure à l’Institut des humanités en médecine (CHUV/UNIL). Sur la centaine d’heures de cours qu’elle a développés sur la base de vécus hospitaliers, plusieurs sont structurés autour de récits de patients qui interviennent par vidéo ou en direct. Ces formations sont dispensées tout au long du cursus des futurs médecins.

De son côté, l’Unité de diabétologie de l’Hôpital Riviera Chablais recourt à l’éducation thérapeutique. L’Hôpital du Valais a, lui, fait de la culture collaborative son cheval de bataille. Il propose plusieurs initiatives en ce sens, comme le tableau des patients. Cet outil rempli par un professionnel et le patient, au moment de son admission, est sans cesse actualisé tant par l’un que par l’autre. Il permet de tenir informés proches, patient et soignants.

L’Hôpital du Jura implique aussi les patients partenaires. À la maternité, en oncologie, au centre obésité, en réhabilitation gériatrique, entre autres, ils sont sollicités pour permettre une amélioration de la prise en charge.

L’Ensemble hospitalier de la Côte (EHC) a participé au lancement de l’association européenne SPX (expérience patient). Il a également créé le Centre de confiance qui vise à maintenir le lien entre patients, proches et professionnels de santé. Le EHC intègre aussi systématiquement un patient partenaire dans ses développements.

Enfin, les cinq hôpitaux universitaires de Suisse (Genève, Vaud, Bâle, Berne, Zurich) ont mis sur pied un projet patients et proches partenaires commun.

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Paru dans Planète Santé magazine N° 50 – Octobre 2023

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