Médecin, demande à ton patient si tu as été clair
Annoncer un diagnostic, prescrire un traitement, choisir des options de soin. Des tâches quotidiennes pour un médecin qui voit des patients. Des tâches de communication qui échouent si le patient ne comprend pas ce qu’on lui a expliqué. Un truisme, évidemment, mais une situation qui doit être très courante si l’on se penche sur les chiffres de la littératie en Suisse, cette mesure de la capacité d’un individu à faire façon d’un document écrit, à le comprendre et à pouvoir agir en fonction. Selon la dernière grande étude réalisée à ce sujet en 2003, près d’une personne sur deux en Suisse a des compétences en littératie faible à très faible[1].
Or, dans le domaine médical, l’écrit abonde, qu’il s’agisse d’un plan de traitement, d’une notice de médicament ou d’une brochure d’information sur une maladie. Sans compter qu’il faut aussi saisir le discours parfois complexe du médecin.
Depuis quelques décennies, des chercheurs étudient ces interactions. Partant des données sur les compétences réelles des patients face à l’information, ils tentent de déterminer comment la communication médicale peut être la plus efficace possible, comment aussi les documents peuvent être formulés le plus clairement et simplement.
Le professeur Rima Rudd d’Harvard est une pionnière de ce domaine que l’on appelle littératie en santé. En novembre dernier, elle donnait un exposé à la Policlinique médicale universitaire à Lausanne, à l’occasion d’un symposium organisé par l’institution sur «Littératie et Web 2.0». Elle a répondu aux questions de Planète Santé.
Quand il s’agit d’accéder à l’information sur la santé, qui est le plus vulnérable?
Rima Rudd: Nous tous. La littératie est déjà quelque chose de difficile en soi: dans la plupart des pays industrialisés, près de la moitié des adultes rencontrent des difficultés avec l’écrit.
Si l’on en vient à la santé, les informations à transmettre sont si complexes que même les personnes qui maîtrisent bien l’écrit peuvent rencontrer des difficultés.
Pouvez-vous donner un exemple de cette complexité?
Prenez le «risque». C’est un concept mathématique très difficile à expliquer. Si l’on me dit que «par rapport à la normale», j’ai une «plus grande probabilité d’avoir telle maladie», que signifie «probabilité» ici? Qu'est-ce que «la normale» en matière de santé? Ces termes, nous ne les expliquons pas aux patients.
Et encore, il ne s’agit pas de jargon…
C’est une autre difficulté; mais toutes les professions utilisent un jargon, c’est normal.
Considérons que l’on possède en fait deux langues: celle, spécialisée, que l’on emploie avec ses collègues et celle que l’on parle à la maison, avec ses amis ou sa famille. Quand nous communiquons des informations complexes à un patient, il faut s’efforcer d’utiliser la seconde.
Que faire quand un terme technique est vraiment nécessaire?
Si la précision est capitale, il faut expliquer au mieux le mot que vous employez. Remplacer un mot par un autre n'est effectivement pas toujours adéquat; proposer une explication est par contre toujours approprié.
Quelle est la réaction des médecins quand vous leur annoncez que de nombreux patients ne comprennent simplement pas ce qu’ils leur expliquent?
C’est dur pour eux: aucun docteur ne souhaite que cela arrive.
Ont-ils d’autres outils à leur disposition?
Oui. Les étudiants en médecine apprennent désormais à ne jamais poser cette question: «Vous avez bien compris?» Celle-ci place toute la responsabilité sur les épaules du patient: elle donne envie de répondre «oui», même si ce n’est pas le cas.
Au lieu de quoi, ils apprennent à demander «Ai-je été clair?», «Ai-je laissé quelque chose de côté?» Dans le même ordre d’idées, nous avons une technique appelée teachback. Par exemple, au lieu de demander «Je vous ai prescrit vos médicaments, vous avez compris?», on dira: «Je vous ai prescrit vos médicament, et c’est compliqué. Pour être sûr que je n’ai rien oublié, dites-moi ce que vous ferez demain matin.» La responsabilité dans l’échange est devenue celle du soignant. Il faut aussi encourager les questions.
Et que dire de l’information écrite que l’on donne aux patients: brochures, notices et autres plans de traitement?
Ces textes sont à traiter avec le même sérieux que les médicaments. Des asthmatiques meurent parce que les instructions nécessaires à la prise de leur traitement ne leur ont pas été fournies clairement.
Il faut donc effectuer des tests rigoureux, comme on le fait pour les médicaments. Choisir une approche, produire un document et le tester avec des membres du public visé.
Ces mesures visant à améliorer la communication orale et écrite sont-elles chères?
Elles ont un coût, mais elles peuvent aussi conduire à des économies. Par exemple, un centre de Washington pratique beaucoup de coloscopies, un examen qui se prépare plusieurs jours à l’avance selon un protocole rigoureux. De ce fait, si le patient arrive non préparé, un autre ne pourra pas prendre sa place au débotté. Dans le cadre d’une étude, ils ont révisé leur documentation, l’ont testée et améliorée. De plus, ils ont mis en place un téléphone avant l’examen demandant au patient s’il avait des questions et s’il souhaitait qu’un infirmier l’appelle. En une année, ils avaient économisé des dizaines de milliers de dollars.
Et pour l’information sur la santé en ligne, les défis diffèrent-ils?
Non, le plus grand danger est que les institutions transposent directement sur internet leurs documents papier. Publier sur internet la même information pleine de jargon, mal organisée et mal écrite, ne la rendra pas plus accessible que sur le papier.
Note
[1] Sur une échelle allant de 1 à 5, les niveaux 1 et 2 sont qualifiés, respectivement, de très faible et faible. Pour les textes suivis, par exemple cet article, 15,9% de la population suisse a un niveau 1 et 36,3% un niveau 2 (total 52,2%). Pour les textes schématique, par un exemple un horaire de bus, 14,5% de la population suisse a un niveau 1 et 34,5& un niveau 2 (total 49%).