Les mots pour mesurer l'efficacité de la médecine
EXPERTS
Pointu mais essentiel
«Incidence», «sensibilité» et autre «risque relatif». Autant de notions que les médecins emploient quand ils décrivent l'efficacité d'un examen, d'un traitement ou la fréquence d'une maladie. Autant de termes qui échappent au commun des mortels et que nous essayons d'expliquer ici avec le Dr Idris Guessous, responsable de l'Unité d'Epidémiologie Populationnelle aux Hôpitaux Universitaires de Genève. Au-delà du jargon, ces notions sont importantes pour mieux comprendre la santé des individus.
Prévalence/incidence
Comment décrire la répartition d'une maladie sur la planète? Cela dépend. Si l'on veut parler des personnes nouvellement malades, on parlera d'incidence, le nombre de nouveaux cas sur une période ou un territoire donnés. A l'inverse, si l'on veut donner le nombre total de personnes touchées par une maladie sur une période donnée (que leur cas soit nouveau ou pas), on parlera de prévalence.
A titre d’exemple, la grippe saisonnière a une incidence forte: de nombreuses personnes l’attrapent tous les ans, mais une prévalence très faible, puisqu’elle est normalement transitoire. A l’inverse, l’insuffisance rénale chronique a une incidence faible, les nouveaux cas n’étant pas nombreux, mais comme elle est une maladie chronique (les malades le restent généralement), sa prévalence est haute.
Mais à quelle fin? (Prévalence/incidence)
Prévalence et incidence n’ont pas la même utilité. Savoir que la prévalence du diabète à Genève est de 6% (donc que 6% des Genevois ont le diabète) ne me renseigne pas sur les risques que j’ai de développer un diabète, pour cela c’est l’incidence qui m’intéresse. L’incidence se situe donc bien du côté de l’individu.
A l’inverse, les décideurs politiques peuvent se baser sur la prévalence pour des décisions affectant la santé publique. Dans notre exemple, savoir que 6% des Genevois ont le diabète est utile pour planifier les moyens nécessaires pour les soigner.
Sensibilité
Pour parler de dépistage ou d'un examen, deux mots reviennent systématiquement: «sensibilité» et «spécificité». Dans un cas comme dans l'autre, une certitude: les tests ne sont malheureusement pas parfaits et peuvent, dans certains cas, «ne pas voir» une maladie présente… ou à l'inverse annoncer une maladie qui n'est en fait pas là.
La sensibilité regarde ce que le test donne chez les personnes atteintes de la maladie. Plus le test est sensible, plus il y a de chance qu'une personne malade ait un résultat positif. Autrement dit, il y aura peu de «faux négatifs», des personnes réellement malades mais dont le test indique qu’elles sont en bonne santé.
Spécificité
La spécificité mesure, elle, ce que le test donne chez les personnes saines. Plus un examen ou un dépistage est spécifique, plus il aura de chance de se révéler négatif pour les personnes saines (de les déclarer correctement comme non malades). Moins nombreux donc seront les «faux positifs», des personnes saines que le test «trouve malades». Si l'on doit décider d'une intervention importante qui comporte elle-même un risque (enlever l'appendicite par exemple), on imagine bien que l'on souhaite une haute spécificité pour ne pas ouvrir le ventre de quelqu'un qui n'en aurait pas besoin.
Mais dans un test il y a les deux
Néanmoins, un test a toujours et une sensibilité et une spécificité. Si la sensibilité est haute mais la spécificité basse, la plupart des malades seront repérés comme tels, mais un résultat négatif de ce test ne donnera que peu de certitudes que la personne est saine. Il y aura en effet peu de «faux négatifs» mais un certain nombre de «faux positifs».
A l’inverse, un test dont la spécificité est haute mais la sensibilité basse exclura bien les personnes saines, sans qu’on puisse se fier à ce qu’il dit des personnes atteintes de la maladie. Il donnera peu de «faux positifs» mais de nombreux «faux négatifs».
Qu'en déduire?
Par définition, les tests parfaits n’existent pas. Les médecins choisissent donc avec soin les instruments qu’ils emploient pour les aider dans leurs diagnostics. La logique dépend aussi du contexte dans lequel on se trouve. Pour un dépistage, par exemple, on souhaite éviter à tout prix que le test manque une maladie chez une personne. Une haute sensibilité sera donc importante (peu de faux négatifs). A contrario, si l’on s’apprête à «choquer» une personne en arrêt cardiaque, on aimerait que le test concerné soit le plus spécifique possible, afin de ne pas réaliser cette intervention sur une personne qui n’en a pas besoin.
Risque relatif et absolu
Comment la médecine mesure-t-elle les risques que nous avons d’être malades? Elle emploie deux risques différents: le risque absolu et le risque relatif. Le premier concerne une population donnée, le deuxième est un rapport entre ces deux populations. Imaginons ainsi que le risque de cancer du poumon soit de 10% chez les non-fumeurs et de 20% chez les fumeurs. Ces deux proportions sont des risques absolus. Mais quand l’on déduit de celles-ci que l’on a deux fois plus de chance d’avoir un cancer du poumon si l’on est fumeur, on établit un risque relatif.
Cibler les risques
Détaillons la différence entre risque absolu et relatif. Reprenons d’abord notre exemple fictif de risque absolu de cancer du poumon (10% chez les non-fumeurs, 20% chez les fumeurs, donc risque relatif de 2, chiffres fictifs). Comparons le ensuite au risque absolu d’avoir un cancer du poumon chez les personnes exposées au radon. Si celui-ci est de 0,1% chez les personnes exposées au radon et de 0,05% chez les individus qui n’y sont pas exposés, le risque relatif est aussi de 2, mais l’événement en question est beaucoup plus rare (chiffres fictifs).
D’une manière un peu analogue à la distinction incidence/prévalence, le risque absolu concernera plus le politique: il sauvera plus de vie en choisissant de réglementer le tabac plutôt que le radon, puisque le tabac est un facteur de risque beaucoup plus répandu. Par contre, une personne qui a du radon dans sa maison, aura, du fait du risque relatif, intérêt individuellement à minimiser son exposition.
Survie ou mortalité?
Dans le domaine du cancer notamment, on entend beaucoup parler de mesure de survie.Ce n’est malheureusement pas une donnée très utile et, à chaque fois que cela est possible, on devrait plutôt parler de mortalité.La survie mesure en effet en années la durée de vie d’un patient après le diagnostic. Or, l’on peut tout à fait imaginer qu’une personne chez qui une tumeur a été détectée très tôt vive dix ou quinze ans «avec le cancer». Une autre personne dont le cancer a été diagnostiqué très tard, pourra, elle ne vivre que quelques mois. Pourtant, si elles décèdent les deux au même âge, leur mortalité sera la même. Si l’on entend mesurer l’efficacité des traitements, c’est bien une différence de mortalité qu’il faut montrer, pas de survie qui elle dépend du moment diagnostic (biais de survie).