L’expertise psychiatrique décryptée
Selon l’article 20 du Code pénal suisse, c’est le juge qui ordonne une expertise, «s’il existe une raison sérieuse de douter de la responsabilité de l’auteur». Les parties au procès peuvent également solliciter une expertise, mais elles peuvent aussi tenter de s’y opposer.
Pour le Dr Gérard Niveau, psychiatre au Centre universitaire de médecine légale des Hôpitaux universitaires de Genève, la question centrale est d’évaluer le plus précisément possible la responsabilité de l’auteur d’un crime, plus précisément la responsabilité au sens pénal. Le code précise en effet que «l’auteur n’est pas punissable si, au moment d’agir, il ne possédait pas la faculté d’apprécier le caractère illicite de son acte ou de se déterminer d’après cette appréciation.» Ceci en raison de troubles mentaux graves, de toxico-dépendances ou de «graves
troubles du développement de la personnalité» pour les moins de 25 ans.
La responsabilité pénale de l’individu repose sur deux facultés qui doivent être réunies –et qui le sont chez tout citoyen majeur:
1. La faculté de comprendre une situation, un événement ou un acte, dans un sens concret aussi bien que symbolique. C’est ce qu’on appelle la faculté cognitive. Elle est typiquement absente dans les cas d’état confusionnel, de retard mental ou de psychose dissociative.
2. La faculté d’agir conformément à sa volonté, autrement dit, de commettre des actes en toute conscience et connaissance de cause. C’est ce qu’on appelle la faculté volitive. Elle est le plus clairement atteinte dans les cas d’hallucinations impérieuses ou de délires paranoïdes.
Pour l’expert, mesurer cette deuxième faculté pose de sérieux problèmes, car il s’agit de discerner la limite entre le normal et le pathologique. Cela en raison des aspects philosophiques qui s’attachent aux notions de volonté et de liberté d’action, et des aspects subjectifs qu’il faut arriver à cerner.
«Pour l’expert, la question centrale est d’évaluer le plus précisément possible la responsabilité de l’auteur d’un crime.»
La question de la responsabilité n’est pas la seule demandée à l’expert psychiatre: il doit également se prononcer sur les mesures thérapeutiques qu’il serait justifié ou utile d’imposer à l’accusé, pour son bien et celui de la société. Ces mesures vont du traitement ambulatoire à l’internement strict, en passant par des traitements en institutions, ouvertes ou fermées.
Dans tous les cas, l’expert rend un rapport répondant à des critères précis, et qui relève du secret professionnel, pendant le procès comme après.
Les experts, psychiatres ou psychologues, sont appelés à réaliser d’autres expertises:
1. L’expertise en crédibilité. Elle intervient dans les cas, particulièrement délicats, où un mineur porte des accusations graves contre un adulte qui rejette ces allégations, et qu’il n’existe pas de preuves. De tels expertises s’avèrent par exemple nécessaires dans des cas de divorces litigieux, où des accusations graves, mais délibérément fausses, sont proférées. Les enjeux sont évidemment cruciaux, et c’est pourquoi des procédures élaborées sont mises en place. Il s’agit notamment d’analyser le discours du mineur, enregistré en tout début de procédure par la brigade des mineurs, et de compléter l’expertise par un examen clinique de l’enfant et de sa situation socio-familiale.
2. L’expertise en dangerosité. L’expert psychiatre est également sollicité pour évaluer la dangerosité des délinquants. L’expert doit en effet évaluer, outre la responsabilité de ceux-ci, le risque qu’ils récidivent. Ce risque peut être lié soit à un trouble mental grave, soit à des caractéristiques de la personnalité des délinquants, des circonstances de leur crime, et de leur vécu. Le cas échéant, des mesures thérapeutiques peuvent également être proposées. Dans ce domaine, les experts agissent à la demande des juges d’application des peines, qui sont une autorité d’exécution. Ils se fondent sur une étude clinique approfondie de chaque cas individuel, et sur des outils scientifiques sous formes d’échelles qui permettent de mesurer le plus objectivement possible les tendances psychopathiques des individus, et les risques de comportements antisociaux.