«L’irresponsabilité pénale peut être difficile à comprendre»
En quoi consiste la psychiatrie légale?
Bio express
1986 Naissance à Strasbourg.
2004 à 2010 Études de médecine à Strasbourg.
Entre 2010 et 2015 Exerce en tant que psychiatre au CHU de Strasbourg ainsi qu’à la prison de Colmar et Ensisheim (France).
2013 Obtient son diplôme de psychiatrie légale à Strasbourg.
2015 Master de recherche en neurosciences de l’Université de Lyon et thèse de médecine.
Entre 2015 et 2017 Exerce en tant que psychiatre en milieu carcéral en Guyane et en Guadeloupe (France).
2016 et 2017 Première médecin acceptée au doctorat de criminologie à l’Université de Montréal.
2018 Rejoint l’Unité de psychiatrie légale du CURML à Genève.
Juin 2023 Est nommée responsable de l’Unité de psychiatrie légale des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Dre Camille Jantzi: La psychiatrie légale, sous-spécialité de la psychiatrie, est à l’interface entre la médecine et la justice. Notre rôle est de réaliser des expertises psychiatriques à la demande des juges ou des procureurs. Nos missions s’articulent autour de plusieurs domaines.
Lesquels?
Le premier est la sphère pénale, pour laquelle nous sommes mandatés lorsqu’une personne a commis un acte répréhensible mais qu’un doute plane sur sa responsabilité, soit du fait de troubles psychiatriques, soit du fait de la prise de substances. Le juge nous demande alors une expertise psychiatrique visant à établir l’état mental de la personne au moment des faits, à mettre en place des mesures de soins ou encore à évaluer le risque de récidive.
Nous sommes également mandatés pour des expertises civiles, sur demande du Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (TPAE), pour évaluer les situations de personnes ayant un besoin de protection (par exemple curatelle, placement à des fins d’assistance, etc.). Il s’agit souvent de personnes âgées ayant des difficultés à rester en autonomie à leur domicile. Après un entretien psychiatrique, des examens complémentaires et un inventaire des difficultés concrètes au quotidien, nous proposons éventuellement des mesures de protection.
Enfin, nous menons des expertises militaires, par exemple auprès de personnes qui ne se sont pas présentées au service obligatoire pour cause de problème psychique. Notre rôle est alors d’évaluer si l’individu était effectivement inapte au service militaire à ce moment-là.
Vous vous intéressez également à la victimologie, cette branche de la criminologie qui étudie les victimes…
Nous proposons en effet des expertises de victimologie chez les adultes, lorsqu’un magistrat –en général dans des faits de naturelle sexuelle– se pose la question du retentissement psychologique des actes supposés sur la victime. Nous rencontrons alors cette dernière, essayons de retracer son parcours de vie, ses antécédents psychiatriques, etc. L’objectif étant de faire un état des lieux du fonctionnement de cette personne, avant les faits et aujourd’hui, afin de constater d’éventuelles conséquences psychologiques de l’agression présumée.
Qu’est-ce qui vous a attirée vers le domaine de la psychiatrie légale?
À l’adolescence, je ne savais pas trop vers quel domaine spécifique me tourner, mais je savais que je voulais faire des études longues. Je me suis donc dirigée vers le cursus le plus long possible: médecine! J’ai toujours été intéressée par les neurosciences et au fil de mes études, j’ai constaté que l’histoire de vie des patients me passionnait davantage que les gestes techniques de soins. Durant mon internat, j’ai travaillé dans plusieurs prisons en France et cela a confirmé mon intérêt pour la psychiatrie légale, qui regroupe l’expertise psychiatrique et le soin des personnes ayant commis des actes répréhensibles.
Dans le cas d’affaires graves, les aménagements de peine pour raisons psychiatriques sont souvent mal perçus par le public. Cette incompréhension est-elle légitime selon vous?
C’est la grande question de l’irresponsabilité. Quand une personne est dans un état d’altération de sa pensée et de son rapport à la réalité au moment de perpétrer un acte, elle n’en est pas responsable, c’est inscrit dans le Code pénal. C’est vrai qu’il est difficile alors pour les victimes ou le grand public de comprendre que dans ces cas-là, il puisse y avoir une mesure thérapeutique, mais pas de peine prononcée. Concrètement, l’auteur ou l’autrice des faits n’est pas puni par la loi. C’est une question politique, autour du bien-fondé de l’irresponsabilité pénale, qui va au-delà de l’expertise médicale. En Suisse, une personne jugée irresponsable de ses actes ne sera pas punie. C’est le cas dans de nombreux autres pays, même si des particularités –notamment dans la mise en place de différents degrés de responsabilité– peuvent s’observer.
Les victimes peuvent néanmoins être déstabilisées face à cette particularité du droit pénal…
Oui et c’est compréhensible. Depuis quelques années, on assiste à l’émergence de la justice restaurative, qui fait se rencontrer et communiquer des victimes, ou familles de victimes, et des auteurs d’infractions similaires à celles qu’elles ont vécues. Cela leur permet de se réapproprier leur histoire et de mieux intégrer cette notion d’irresponsabilité.
Est-ce qu’au contraire, certaines de vos expertises peuvent entraîner un alourdissement de la peine?
À aucun moment l’expert psychiatre ne se prononce directement sur la peine, ce n’est pas notre travail. Nous nous prononçons uniquement sur la responsabilité de l’individu et les mesures qui pourraient être mises en place. C’est ensuite au juge de décider. La seule mesure que nous pouvons proposer qui n’est pas vraiment thérapeutique, mais de sécurité publique, c’est l’internement.
Certains types de demandes de la justice à votre service sont-ils en augmentation?
Oui, en effet, nous avons constaté ces dernières années une augmentation assez nette des demandes d’expertise pour des faits de nature sexuelle vis-à-vis de victimes mineures. Même si on ne peut pas exclure que le nombre d’actes commis soit en hausse, cette augmentation est peut-être due à une certaine libération de la parole ou, en tout cas, à une meilleure écoute de la parole des mineurs, qui a mené à plus de dépôts de plaintes et d’instructions. Les demandes d’expertise pour détention ou échange de matériel pédopornographique sont également en hausse. Là aussi, cela peut probablement s’expliquer par une meilleure capacité de la police à enquêter efficacement sur ces cas et par une meilleure collaboration internationale.
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