Expertise et thérapie: les psychiatres coopèrent avec la justice
En tant qu’expert psychiatre, quel est votre rôle?
Dr Georges Klein (GK): L’expertise psychiatrique a pour objectif d’aider la justice à rendre son jugement. Notre travail consiste à investiguer sur le plan psychiatrique une personne prévenue qui pourrait souffrir d’un trouble psychique. Il s’agit d’aider la justice à se prononcer sur l’irresponsabilité du sujet par rapport à l’acte qui lui est reproché. L’expert ou l’experte intervient donc en auxiliaire de la justice. Il faut préciser que l’expertise psychiatrique est une activité clinique qui comporte des enjeux relationnels entre les expert·e·s – en général, il y en a deux – et la personne expertisée. Mais il ne s’agit pas d’une activité thérapeutique.
Vous parlez de responsabilité. C’est une notion qu’il est important d’évaluer car cela peut influencer la nature de la peine prononcée…
GK: Tout le monde est présumé responsable de ses actes. Il ne s’agit donc pas pour nous de statuer sur la responsabilité mais de démontrer, s’il y a lieu, l’irresponsabilité, totale – ce qui est rarissime – ou partielle d’un·e prévenu·e. À cette fin, nous nous fondons sur l’étude du dossier fourni par la justice et sur un examen clinique psychiatrique. Notre rapport peut en effet influencer la peine qui sera prononcée par le ou la juge, ainsi que l’opportunité d’ordonner des mesures thérapeutiques.
Dre Marie Pflieger (MP): Il faut souligner que l’expert·e n’est pas là pour statuer sur la culpabilité d’un·e prévenu·e. Cela est du ressort de la justice.
L’expert·e doit-il ou elle aussi se prononcer sur la dangerosité de l’individu?
GK: Non, car il n’existe pas d’outils médicaux permettant de statuer sur la dangerosité d’une personne. En revanche, nous devons fournir au juge ou à la juge une appréciation sur le risque de récidive, que nous évaluons en fonction de l’état clinique de la personne au moment de l’expertise, de ses antécédents et des circonstances dans lesquelles elle a commis l’acte qui lui est reproché. L’expert·e peut s’appuyer pour cela sur des outils criminologiques.
Lorsque des mesures thérapeutiques sont prononcées par le tribunal, est-ce le Service de médecine pénitentiaire dont vous êtes en charge, Dre Pflieger, qui intervient?
MP: En effet, notre service, strictement ambulatoire, assure plusieurs missions en Valais romand. Nous sommes en charge des soins médicaux, notamment psychiatriques, ordonnés ou non par la justice, pour les patient·e·s-détenu·e·s en milieu carcéral, d’une part. D’autre part, nous intervenons sur mandat de la justice pour des suivis hors détention dans le cadre de mesures thérapeutiques.
On entend souvent dire que les psychiatres sont trop complaisant·e·s vis-à-vis de la personne expertisée. Qu’en pensez-vous ?
GK: On nous reproche en effet souvent de contribuer à adoucir la peine des délinquant·e·s. Ce n’est pas le cas. Lorsque nous concluons que la responsabilité de la personne est diminuée, cela aboutit à des mesures thérapeutiques qui sont loin d’être douces.
MP: Pour les personnes concernées, ces mesures sont souvent ressenties comme une double peine. Une peine de prison a une fin et, lorsque les détenu·e·s sont libéré·e·s, on estime qu’ils ou elles ont payé leur dette à la société. Alors que la mesure thérapeutique se prolonge parfois quand les personnes sont sorties du milieu carcéral. Celles-ci restent donc redevables auprès des services d’application des peines, elles doivent consulter un·e thérapeute qu’elles n’ont pas choisi·e et suivre une thérapie dont les objectifs ne sont pas forcément les leurs. Malgré tout, pour certaines personnes, c’est aussi une opportunité. L’un de nos objectifs est de faire en sorte que la personne concernée puisse trouver un intérêt personnel dans ce suivi ordonné, dont les enjeux pour la justice sont également d’ordre sociétal et sécuritaire. Le ou la thérapeute en charge du patient ou de la patiente n’est toutefois pas garant·e de ces aspects, propres au système pénal.
Vous êtes tous deux médecins psychiatres, mais vous collaborez avec la justice. Votre statut n’est-il pas ambigu?
GK: Non, car pour les expert·e·s, le travail est très clair: il est encadré, explicite et transparent pour la personne expertisée.
MP:En tant que thérapeutes, même si nous avons des rapports de prise en charge à remettre à la justice, notre priorité reste l’intérêt thérapeutique pour le ou la patiente.
Mais cela pose quand même la question de la levée du secret médical?
GK: Il est vrai que l’expert·e n’est pas soumis·e au secret médical vis-à-vis de l’autorité qui le ou la mandate. Mais nous prévenons d’emblée la personne expertisée que tout ce que nous apprenons de pertinent dans notre travail d’investigation avec elle figurera dans notre rapport. Le ou la prévenu·e doit d’ailleurs signer un document l’informant de ce fait. L’expertisé·e est également invité·e à délier ses médecins et autres intervenant·e·s de leur secret professionnel vis-à-vis de l’expert·e.
MP: En tant que thérapeutes intervenant dans le domaine forensique, nous avons une posture différente. Nous devons être délié·e·s du secret médical par les patients et patientes pour toute communication avec la justice concernant la prise en charge. Par ailleurs, nous respectons la confidentialité dans notre travail quotidien avec les patient·e·s pour les éléments qui ne sont pas estimés pertinents pour ce type de rapport.
En quoi le travail que vous effectuez dans le cadre d’un mandat judiciaire diffère de votre pratique courante de psychiatre?
MP: Pour se sentir à l’aise dans ce milieu, je pense qu’il conviendrait de pouvoir faire preuve d’encore plus de bienveillance et d’humilité que ce que demande déjà toute mission de soin. Nous ne sommes pas là pour exercer un pouvoir que nous donnerait notre savoir.
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Paru dans Esprit(s), la revue de Pro Mente Sana, mai 2022.