Les très grands prématurés gardent souvent des séquelles
De quoi on parle
Les faits
Les soins donnés à un enfant prématuré ont fait controverse en France après que ses parents ont dénoncé un «acharnement thérapeutique». Né à 25 semaines et 4 jours, le garçon a dû être réanimé et a subi deux hémorragies du cerveau. Il est décédé après dix-neuf jours de vie.
Le chiffre
1%: la proportion de grands et très grands prématurés recensés en Suisse en 2013, soit un peu plus de 800 enfants nés entre 22 et 31 semaines.
Dans le monde, la prématurité devient de plus en plus fréquente et apporte son lot de défis médicaux et éthiques. Comment soigner le mieux possible ces enfants nés trop tôt? A partir de quelle prématurité faut-il s’abstenir de pratiquer une réanimation intensive? Le décès d’un nouveau-né à Poitiers a mis ces questions à la une des médias français. Elles mobilisent également les médecins suisses.
La prématurité recouvre des réalités très différentes selon son degré. L’OMS en distingue trois: prématurité moyenne (naissance entre 32 et 37 semaines de grossesse), grande (entre 28 et 32 semaines) et très grande (moins de 28 semaines). «A 23 semaines, seuls 5% de ces enfants survivent alors qu’ils sont plus de 95% à 31 semaines», explique le Dr Riccardo Pfister, chef du service de néonatologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Il en va de même pour les séquelles: à 23 semaines, 3 à 4% des nouveau-nés survivent sans complications majeures précoces alors qu’ils sont plus de 90% à 31 semaines.
Arrêt des soins
Que se passe-t-il quand la situation de l’enfant est si grave que parents et équipes médicales jugent qu’une réanimation intensive ne se justifie plus? D’abord, il n’y a pas d’«arrêt des soins», insiste le Dr Pfister, mais un passage à des soins dits de confort visant à ce que la qualité de vie du nouveau-né soit la meilleure possible – notamment qu’il n’ait pas mal, pas faim, pas froid – même si sa survie n’est plus l’objectif primaire.
Les soignants proposent aux parents d’être présents dans ses derniers instants et de tenir leur enfant. «L’avoir accompagné les aide énormément dans le deuil, relate le Dr Pfister. S’imaginer quelque chose de terrible est toujours pire que vivre humainement la réalité.»
Le dilemme des grands prématurés
La très grande prématurité est la plus critique, même si elle est aussi la plus rare (0,4% des naissances suisses en 2013). Avant une telle naissance, un dilemme se présente pour les parents: faudra-t-il réanimer le bébé intensivement s’il en a besoin? «Il s’agit de le prendre en charge pour l’assister dans la transition entre la vie intra et extra-utérine», explique le Dr Anita Truttmann, néonatologue au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Il doit pouvoir respirer, son cœur doit battre et il doit recevoir une alimentation. Ce qui suppose de lui fournir de l’oxygène, souvent en lui insérant un tube dans les poumons, mais aussi de pratiquer un massage cardiaque.
«Nous essayons toujours de discuter avec les parents en amont, poursuit la spécialiste. Pour qu’ils puissent se prononcer, nous leur détaillons les risques de séquelles neurologiques et pulmonaires et les guidons selon la situation.» «Il y a une balance à trouver entre la survie et la qualité de la vie ultérieure, complète le Dr Pfister. Et elle n’est pas la même pour tous les parents. Selon la Société suisse de Néonatologie, la limite de la viabilité se situe entre 24 et 25 semaines. En dessous de 24 semaines, il n’y aura presque jamais de réanimation; en dessus, elle aura généralement lieu. Entre les deux, c’est une zone grise.»
Hospitalisés dans un service de néonatologie, les prématurés sont étroitement surveillés, explique le Dr Truttmann. On vérifie que leur sang est bien oxygéné, preuve que la respiration est efficace, que leur cœur bat bien et que leur température est contrôlée. Différents médicaments et dispositifs, dont une couveuse et des respirateurs, sont employés à cet effet. Durant la première semaine de vie, le grand danger est l’hémorragie dans le cerveau, liée notamment aux changements de pression sanguine. Elle représente un risque vital pour les grands prématurés et elle peut surtout entraîner des séquelles neurologiques.
Les causes de la prématurité
Dans environ six cas sur dix, la naissance prématurée est spontanée. Dans quatre cas sur dix, elle est médicalement déclenchée. De nombreux facteurs augmentent le risque de prématurité. Ils peuvent s’additionner les uns aux autres: âge de la mère (très jeune ou âgée), grossesse multiple (jumeaux ou plus), présence d’une infection ou d’une maladie chronique chez la mère, comme l’hypertension ou le diabète. La consommation de tabac et d’alcool a également une influence, de même qu’un exercice physique d’intensité disproportionnée.
La prématurité est rarement une surprise, explique le Dr Pfister: 90% des enfants très prématurés naissent dans une structure appropriée en Suisse. Si bien que les services d’obstétrique et de néonatologie peuvent généralement avertir les parents que leur enfant risque de naître prématurément avant le début de l’accouchement.
Troubles divers à long terme
Au-delà de la survie du nouveau-né, toute la discussion sur la prise en charge des grands prématurés porte sur les troubles divers qui risquent de les affecter à long terme. Ces troubles peuvent concerner leur motricité, leurs capacités d’apprentissage ou encore leur comportement. On estime ainsi que 40% des très grands prématurés gardent des séquelles neurologiques. Pour 20 à 25% des très grands prématurés, elles restent mineures et peuvent se manifester par des troubles du comportement, des troubles d’apprentissage, le port de lunettes ou une surdité mineure. Pour environ 10%, elles sont modérées et peuvent provoquer un retard mental léger ou une infirmité motrice qui permet toutefois de marcher. Mais pour 5% des très grands prématurés, ces séquelles sont majeures, entraînant un retard mental important, une infirmité motrice ou une surdité sévère. Ces risques sont entre trois et cinq fois supérieurs pour un grand prématuré par rapport à un enfant né à terme. Ils sont moindres si la prématurité est modérée.
La motricité peut aussi être atteinte: 35% des enfants de moins de 1500 g à la naissance sont victimes de troubles moteurs transitoires, se dissipant après la première année. Certains d’entre eux peuvent toutefois être victimes de problèmes plus importants, comme une difficulté d’acquisition de la coordination. Comme cette pathologie interfère sur les performances scolaires et sur les activités de la vie quotidienne, elle doit être repérée et suivie rapidement. La paralysie cérébrale est quant à elle la forme la plus sévère et invalidante de ces troubles moteurs.
Malgré cela, la prise en charge des prématurés ne cesse de progresser, note le Dr Pfister. Ainsi les prématurés de tous les degrés de gravité vivent mieux. Depuis 2000, la mortalité dans la prématurité extrême a diminué de 10 à 15% dans chaque tranche d’âge de 24 à 26 semaines. Et si l’on observe une augmentation des prématurés nés entre 34 et 37 semaines, c’est en raison de progrès dans le suivi de la grossesse et du fœtus qui permettent d’amener vers cet âge gestationnel des enfants qui, il y a vingt ans, auraient été des grands prématurés, seraient décédés in utero ou y auraient subi des lésions irréversibles.