Les personnes âgées ne sont ni «vieilles» ni «fragiles»
L’autosuggestion peut être la meilleure ou la pire des choses. Et l’âge ne change rien à l’affaire. Une nouvelle démonstration nous en est apportée au travers d’une étude concernant les personnes âgées, menée par Krystal Warmoth, chercheuse universitaire de l'Exeter Medical School, et dont les résultats viennent d’être présentés lors de la conférence annuelle de la British Psychological Society.
Ce travail a été mené sur un petit groupe de personnes mais il est riche d’enseignements. Il a consisté à interroger vingt-neuf personnes âgées vivant dans le sud-ouest de l'Angleterre, en les questionnant tout particulièrement sur leurs propres expériences du vieillissement et de la fragilité. Il en résulte que celles qui se décrivent elles-mêmes comme «vieilles et fragiles» encouragent les comportements qui vont, progressivement, confirmer leur état et les enfermer dans cette situation qui les conduira à la dépendance. C’est là une forme de processus auto-entretenu. Ce travail montre notamment qu’unetelle attitude conduit à une perte progressive d'intérêt pour la participation aux activités sociales et physiques mais aussi à un état de santé qui se détériore. Il faut aussi y ajouter une qualité de vie dégradée, suivie de la stigmatisation de la part des membres d’un entourage qui s’éloigne.
Briser le cycle de régression
«En se voyant vieux et fragile, on agit comme si l’on était vieux et fragile», résume l’auteur. Elle dit observer l’installation d’un véritable cycle de régression qui débute avec la perception d’une fragilité et conduit à un désengagement des activités. Il en va notamment des activités physiques qui pourraient précisément réduire ce risque de fragilité. C’est dire l’importance des mesures qui permettraient de prévenir ce cycle qui accélère l’émergence des problèmes de santé, d’une perte de mobilité, d’une réduction de l’autonomie, de l’installation de la dépendance et de l’hospitalisation que cette dernière impose. Un tel constat n’a certes rien d’original: le poids du «psychologique» sur la santé et l’autonomie peut être fait par toutes celles et ceux qui observent et prennent en charge des personnes âgées, notamment les soignants.
Une autre étude, également britannique et de grande ampleur celle-là, vient démontrer le poids de l’isolement social sur le risque de mort prématurée. Elle a été récemment publiée dans les Comptes rendus de l’Académie des Sciences américaine(PNAS) (on en trouvera un résumé en anglais ici). Ce travail de l’University College London a pu être mené à partir de la cohorte English Longitudinal Study of Ageing. Il portait sur les relations complexes pouvant exister entre l'isolement social, le sentiment de solitude et le risque de décès prématuré.
Célibat, veuvage, etc.
Cette étude établit que les facteurs «isolement social» et «sentiment de solitude» s’associent pour constituer un risque accru de mort prématurée. Toutefois, une fois les facteurs démographiques et de santé pris en compte, c’est l’isolement social plus que la solitude qui apparaît associé à ce risque chez les personnes âgées.
Les chercheurs de l'University College de Londres ont travaillé sur les données de 6500 hommes et femmes âgés de 52 ans ou plus. L'isolement social a été évalué à partir d’un indice avec attribution d'un point pour chaque marqueur de l'isolement: le célibat ou le veuvage, l’absence de contact avec les membres de la famille, avec des amis, l’absence de participation à des activités sociales, etc. Quant au «ressenti» de la solitude, il a été évalué au moyen de la UCLA loneliness scale: un test que vous pouvez tenter ici même. Les décès, toutes causes confondues, ont d’autre part été relevés sur une période de plus de sept ans: à la fin de l’étude les chercheurs en avaient recensé 918.
Internet et le quatrième âge
Principales conclusions: la mortalité est plus élevée chez les personnes les plus isolées socialement et les plus solitaires; l’isolement social est significativement associé à la mortalité; la solitude, à l’inverse, ne l'est pas à elle seule. Ainsi donc, alors que l'isolement et le sentiment de solitude nuisent tous deux à la qualité de vie et au bien-être, les efforts doivent principalement porter sur la réduction de l'isolement social si l’on veut réduire la mortalité prématurée.
Le problème risque d’ailleurs de devenir de plus en plus d’actualité. La dernière étude de la Fondation de France sur l’isolement et la solitude, indique une augmentation rapide de la part de la population française en situation d’isolement relationnel: de 9% en 2010 à 11% en 2012, soit une augmentation de 800 000 personnes en deux ans seulement. En France près de cinq millions de personnes éprouveraient désormais de réelles difficultés à développer des relations sociales. Quant à la solitude, elle est une source de souffrance pour 75% des personnes vivant seules.
Il reste aujourd’hui à évaluer le rôle que peuvent (et pourront jouer) les nouveaux outils multiformes de communication et autres «réseaux sociaux». Des outils que les plus concernés n’ont le plus souvent pas (encore) appris à manipuler et à maîtriser. Vaste chantier.