Neuf hernies discales sur dix se soignent sans chirurgie
De quoi on parle?
Les faits
Le 22 février, juste après sa libération, Ioulia Timochenko a harangué la foule sur la place centrale de Kiev assise dans un fauteuil roulant. Elle souffrirait de douleurs au dos dues à une hernie discale. En 2012 déjà, puis en 2013, les médecins allemands qui la suivaient avaient demandé à l’opérer d’urgence, à Berlin.
Sur son site internet, Ioulia Timochenko dit avoir maintenant accepté de se faire soigner en Allemagne sur l’invitation d’Angela Merkel.
Tout juste libérée de l’hôpital carcéral, Ioulia Timochenko s’est rendue au Maïdan, la place centrale de Kiev, pour s’adresser à la foule. Une première sortie spectaculaire, après deux ans et demi d’incarcération, où elle apparaissait tassée dans un fauteuil roulant. Car, disent ses proches, l’égérie de la Révolution orange de 2004 et ex-premier ministre souffre d’une hernie discale.
Un diagnostic plus difficile à déterminer qu’il n’y paraît. Les médecins estiment en effet qu’entre 30 à 40% de la population a une hernie discale, mais que la grande majorité l’ignore et n’en souffrira jamais. Car une hernie n’est douloureuse que si la racine du nerf qui passe à proximité est enflammée ou compressée (lire encadré). Lorsque la hernie est située dans la région lombaire (neuf fois sur dix), cette inflammation provoque une douleur intense dans la jambe: la sciatique, ou plus précisément syndrome radiculaire. Si la hernie est située dans la zone cervicale, ce qui est plus rare, la douleur est alors ressentie dans un bras. A noter que la majorité des sciatiques guérissent d’elles-mêmes et que ce qu’on appelle souvent «sciatiques» sont de simples douleurs dorsales aucunement liées à une hernie discale
Une hernie discale naît d'une inflammation
La colonne vertébrale est constituée de 24 vertèbres mobiles et du sacrum. Les vertèbres sont séparées par les disques intervertébraux, qui jouent un rôle d’amortisseur et donnent de la mobilité à la colonne. Ces disques comportent un noyau central (noyau pulpeux) maintenu en place par des couches de fibres (anneau fibreux). Avec le vieillissement, l’anneau fibreux peut se fissurer et laisser passer le noyau pulpeux, qui déborde alors du disque. C’est ce qu’on appelle une hernie discale. La plupart disparaissent d’elles-mêmes, sans provoquer de douleur.
On a longtemps cru qu’une hernie devenait douloureuse en raison de la compression d’un nerf. «On sait aujourd’hui que c’est avant tout le résultat d’une inflammation», précise le rhumatologue Stéphane Genevay. Si les médecins ne comprennent pas encore tout à fait le mécanisme d’une hernie discale, ils écartent l’idée répandue qu’elle survienne suite à un traumatisme ou à un effort trop conséquent.
Rares opérations d’urgence
Quand faut-il alors s’alarmer? Et surtout, quels sont les risques de se retrouver en chaise roulante, comme Ioulia Timochenko? «C’est une peur courante chez les patients, mais je n’ai jamais vu ça. En général, les gens font un épisode de douleur intense, qui peut durer plusieurs mois, mais finissent par guérir tout seuls», explique Stéphane Genevay, rhumatologue, responsable du programme dos aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Dans 90% des cas, la hernie discale se soigne par un traitement non chirurgical visant à supprimer l’inflammation. Celui-ci comprend différents médicaments: des antidouleurs classiques et des anti-inflammatoires. Dans certains cas, des antiépileptiques et des antidépresseurs sont également utilisés en raison de leur efficacité dans les douleurs liées à une inflammation des nerfs. Pour combattre la douleur, on peut encore utiliser un TENS, appareil qui envoie des ondes électriques à travers la peau. Enfin, dans certains cas, les médecins pratiquent des infiltrations. «Une méthode souvent utilisée à mauvais escient dans les problématiques de dos, mais indiquée et efficace en cas de véritable sciatique par hernie discale», souligne Stéphane Genevay.
Ces méthodes peuvent être couplées, en fonction de l’intensité de la douleur, avec une physiothérapie spécifique par exemple. «Le but n’est pas d’accélérer la guérison mais bien de soulager la douleur, relève le médecin. Une personne seule sur une île déserte va souffrir le martyre si elle est victime d’une hernie, mais elle a de grandes chances de guérir. Nous essayons donc de calmer la situation jusqu’à ce que le corps ait fait son travail!» Dans 5 à 10% des cas toutefois, la situation n’évolue pas favorablement, soit parce que rien ne soulage les douleurs, soit parce qu’elles se prolongent trop. La seule solution est la chirurgie pour enlever la hernie discale.
L'ablation par abrasion
Depuis deux ans, le professeur Nicolas Theumann propose l’ablation de certaines hernies discales sans opérer. Sous contrôle d’un scanner et d’une scopie (rayons X), qui permet le suivi du geste en direct, le radiologue introduit une aiguille d’un millimètre de diamètre à travers la peau sous anesthésie locale. Cette aiguille présente une ouverture latérale à son extrémité. Une seconde aiguille, en pas de vis, est introduite à l’intérieur de la première pour raboter la hernie. La technique n’est pas indiquée dans tous les cas. «Je traite surtout les patients présentant une douleur sciatique résistante», explique le médecin, l’un des seuls à utiliser cette technique en Suisse, à la Clinique Bois-Cerf, à Lausanne. L’intervention est le plus souvent remboursée par l’assurance de base. «Des études ont prouvé son efficacité mais la méthode étant nouvelle, le recul manque encore pour une reconnaissance à plus grande échelle», précise-t-il. En effet, dans l’attente de nouvelles études, certains médecins ne proposent pas cette intervention par crainte de lésions accidentelles du nerf déjà atteint.
Dans de rares cas, l’opération d’urgence s’impose. D’abord quand il y a une perte rapide de la force des muscles situés à l’avant de la jambe et que le patient ne peut, par exemple, plus marcher sur la pointe des pieds ou sur les talons – cela arrive dans environ 2 à 5% des cas. Ensuite, dans moins d’un cas sur 1000, lorsque le patient a des difficultés à uriner ou aller à selles, ou qu’au contraire il ne maîtrise plus ses sphincters. «En dehors de ces urgences, il existe une zone intermédiaire où l’opération n’est pas impérative, explique le professeur Heinz Fankhauser, neurochirurgien à la Clinique Cecil de Lausanne. Tout dépend du patient. S’il estime qu’il ne peut pas se permettre d’attendre, ou s’il ne répond pas au traitement antidouleur, l’opération est alors préférable. Il s’agit alors d’enlever la hernie discale pour supprimer la compression du nerf. Rappelons aussi que, par rapport à une opération, les médicaments ont souvent des effets secondaires désagréables, voire des risques potentiellement graves.»
Selon les standards internationaux, il faudrait attendre trois mois après le début des douleurs avant d’opérer. Des études ont pourtant montré de meilleurs résultats si l’on opère très rapidement. «C’est peut-être vrai, mais ce n’est pas une preuve d’efficacité car en se décidant pour une intervention pendant la phase aiguë d’une sciatique, on opère aussi des gens qui n’en auraient pas eu besoin, remarque le professeur. Une partie d’entre eux aurait guéri spontanément. Il faut donc que les patients soient bien informés de ce qui les attend. Sur dix personnes opérées, cinq sont guéries, trois sont satisfaites et deux ne le sont pas. Et le taux de récidive est d’environ 10%.» Autant dire qu’il ne faut pas se précipiter.
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