Maintien à domicile ou placement en institution: une question financière?
Les autorités en charge de la santé publique multiplient les démarches en vue de favoriser le maintien à domicile. Tel est par exemple le cas dans le canton de Genève, où une Loi sur le réseau de soins et le maintien à domicile a été adoptée le 26 juin 2008. Outre les bénéfices thérapeutiques, le coût moins élevé de ce type de prise en charge est traditionnellement présenté comme un avantage par rapport à un placement institutionnel à l’hôpital ou en établissement médico-social (EMS).
Toutefois, un arrêt du 6 mars 2013 de la IIe Cour de droit social du Tribunal fédéral1 limite l’accès à cette forme de traitement, précisément pour des motifs d’ordre financier. Selon cette décision, l’assurance obligatoire des soins (AOS) n’a pas à rembourser les coûts des prestations prodiguées par des organisations de soins et d’aide à domicile lorsque le bénéfice thérapeutique du maintien à domicile est faible et que les coûts apparaissent disproportionnés par rapport à un placement institutionnel.
Le cas soumis à l’examen du Tribunal fédéral concernait une patiente âgée de 89 ans et atteinte de la maladie d’Alzheimer. En raison de l’évolution de la maladie, l’importance des prestations à effectuer par les organisations de soins n’avait cessé de croître au fil des années pour atteindre un montant d’environ 8300 CHF par mois en 2011.
Les prestations de ces organisations de soins et d’aide à domicile ne sont remboursables que si elles sont « efficaces, appropriées et économiques2». Ainsi, lorsque, parmi plusieurs mesures thérapeutiques, l’une d’entre elles permet d’atteindre l’objectif recherché à un coût sensiblement moindre que les autres, l’assuré n’a droit qu’au remboursement des frais afférents à la mesure la moins onéreuse.
La qualité de vie prise en compte
Le Tribunal fédéral refuse toutefois de procéder à une comparaison stricte des coûts. En effet, malgré l’existence d’une disproportion à ce niveau-là, une prise en charge chez le patient peut s’avérer plus adéquate qu’un transfert en EMS. Tel est notamment le cas lorsque le maintien à domicile permet d’apporter à la personne concernée un épanouissement sur le plan personnel ou d’assumer une fonction sociale importante qu’un placement dans une institution n’autoriserait pas. En revanche, si les soins à domicile ne permettent pas à l’assuré de bénéficier d’une meilleure qualité de vie, l’assureur-maladie est en droit de privilégier un placement en EMS si ce dernier est sensiblement moins onéreux.
Un paradoxe politique ?
La décision prise par le Tribunal fédéral en 2013 repose sur un raisonnement juridique à première vue logique et défendable. En outre, même s’il restreint la liberté thérapeutique, cette décision poursuit un objectif légitime de maîtrise des coûts de la santé, ce dont l’ensemble des assurés est censé bénéficier.
Cela étant, la conclusion à laquelle parviennent les juges est la conséquence du tarif applicable à la rémunération des prestations de soins, lequel est fixé par le Département fédéral de l’intérieur (DFI)3. Les soins prodigués en EMS sont en effet indemnisés selon un forfait horaire. Ce montant équivaut environ à la moitié de la rémunération versée aux infirmiers ou aux organisations de soins et d’aide à domicile pour des prestations équivalentes. Le montant facturable à la charge de l’AOS est par ailleurs plafonné à un montant maximal de 108 CHF par jour. Cependant, le coût des soins fournis à domicile évolue linéairement en fonction du nombre d’heures effectuées par les prestataires concernés.
Pour résumer, les bases tarifaires sont donc défavorables au maintien à domicile de patients dont la pathologie requiert davantage de soins. Lorsque les prestations à effectuer sont plus importantes, les coûts d’une prise en charge à domicile augmentent linéairement, alors qu’ils sont plafonnés en cas de placement en EMS.
Cette différence de traitement tarifaire risque de diminuer, en pratique, la possibilité de maintien à domicile de certains patients. Ce résultat est contradictoire avec les politiques de santé publique actuelles. Les dispositions tarifaires mériteraient donc d’être corrigées déjà pour ce seul motif.
Compte tenu du coût global élevé d’un placement en EMS, il est par ailleurs douteux que l’arrêt rendu par le Tribunal fédéral aboutisse à coup sûr à une économie. Que les soins soient prodigués à domicile ou en institution, il appartient en effet aux patients et aux cantons d’assumer le financement résiduel de ces prestations. Dès lors, si la rémunération versée aux EMS au titre de l’AOS s’avère trop faible pour prendre en charge des cas lourds, comme ceux de patients atteints de la maladie d’Alzheimer, le coût des soins prodigués par ces établissements seront reportés sur les patients et les cantons.
Avant d’affirmer qu’une disproportion existe entre les coûts d’un traitement à domicile, d’une part, et d’un traitement en EMS, d’autre part, il convient donc de déterminer le coût global de chaque prestation. Le Tribunal fédéral omet de faire cette analyse « globale » dans son arrêt, ce qui le conduit à privilégier l’assureur-maladie sans examiner l’impact de sa décision sur les patients et les cantons, qui devront prendre des frais en charge. Le maintien à domicile est donc écarté sans qu’un surcoût réel ne soit clairement démontré. On peut donc s’interroger sur le bien-fondé de cet arrêt et souhaiter que la jurisprudence évolue sur ce point.
Références
1. Arrêt de la IIe Cour de droit social du Tribunal fédéral dans la cause CSS Assurance-maladie SA contre M., réf. 9C_685/2012, publié au Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral suisse (ATF 139 V 135).
2. Article 32, alinéa 1er, de la Loi fédérale du 18 mars 1994 sur l’assurance-maladie (LAMal).
3. Cf., en particulier, les articles 7 et 7a de l’Ordonnance du DFI sur les prestations dans l’assurance obligatoire des soins en cas de maladie (OPAS).
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