Maladie à corps de Lewy: une cause de démence fréquente mais trop peu connue
L’importance du don de cerveaux
Le cerveau est sans doute l’organe le plus complexe à étudier chez l’humain, notamment car il est impossible d’y réaliser des biopsies. Aucune zone cérébrale n’est sans importance et tout prélèvement pourrait avoir des conséquences désastreuses sur le fonctionnement cérébral. Mieux comprendre les pathologies cérébrales, neurodégénératives en particulier, nécessite pourtant de pouvoir travailler sur des cerveaux humains. «Les modèles animaux ne sont pas suffisants et cela nous serait très utile de pouvoir étudier post mortem les cerveaux des patients que nous avons suivis, confirme le Pr Gilles Allali, directeur du Centre Leenaards de la mémoire au CHUV. Malheureusement cela reste rare, car nous ne disposons pas d’une "banque de cerveaux" en Suisse.» Plusieurs biobanques de ce type existent à l’étranger, notamment en France voisine. En Suisse, il est cependant possible de contribuer à la recherche de son vivant (et sans biopsie!): récemment plusieurs centres de la mémoire se sont associés pour créer le Registre suisse pour la santé du cerveau. Cette plateforme rassemble les projets de recherche consacrés à la maladie d’Alzheimer et à celles liées à la mémoire et vise, entre autres, à faciliter la participation de volontaires. L’inscription est gratuite et ouverte à toute personne de plus de 50 ans, avec ou sans problème de mémoire.
Quand l’âge avance et que des problèmes cognitifs se manifestent, c’est la maladie d’Alzheimer que l’on redoute. Si des problèmes moteurs émergent, on craint la maladie de Parkinson. Mais bien peu de personnes pensent à la maladie à corps de Lewy (MCL), quasiment inconnue du grand public et parfois même des professionnels de santé non spécialistes. Lorsque les patients apprennent qu’ils sont touchés par la MCL, une grande majorité se montre soulagée, heureuse d’avoir échappé à Alzheimer. La MCL est la deuxième cause de démence neurodégénérative et, selon les spécialistes, pourrait toucher jusqu’à 40’000 personnes en Suisse. Son manque de «notoriété» induit souvent une longue errance diagnostique, délétère pour le pronostic des patients. Pourtant, comme ses «cousines», cette maladie a un fort retentissement sur la santé et la qualité de vie des patients et de leurs proches aidants. L’identifier le plus rapidement possible permet d’éviter des traitements inadaptés et parfois dangereux.
Une maladie encore «jeune»
Les corps de Lewy sont de petits dépôts de protéines observés au début des années 1910 par Frederic-Friedrich Lewy dans certaines cellules du cerveau de personnes décédées qui étaient atteintes de la maladie… de Parkinson! Il faudra attendre les années 1960-70 pour que la MCL soit décrite et la fin des années 1990 pour que la protéine constituant ces corps – l’alpha synucléine – soit identifiée. «Il s’agit d’une pathologie "jeune" et il y a encore beaucoup de recherches à faire dessus, résume le Pr Frédéric Assal, responsable de l'Unité de neuropsychologie et neurologie générale et cognitive aux Hôpitaux universitaires de Genève. En matière de traitement, il n’existe pas aujourd’hui de molécule spécifique pour cette maladie mais des traitements pour prendre en charge les symptômes qui peuvent améliorer la qualité de vie des patients.»
Les symptômes de la MCL sont plus variés que dans la maladie d’Alzheimer, avec un impact sur lacognition mais aussi sur les fonctions motrices, la marche en particulier. «Il y a parfois des tremblements, plus souvent une raideur et un ralentissement dans les déplacements en rapport avec un syndrome parkinsonien, explique le Pr Assal. Deux traits sont typiques de la maladie: les fluctuations importantes des symptômes et les hallucinations visuelles, mais malheureusement, les patients ou leurs proches n’en parlent pas toujours et cela contribue au retard de diagnostic.» En Europe, entre 50 et 70% des patients concernés ne seraient pas diagnostiqués.
Hallucinations fréquentes
Huit patients sur dix feraient l’expérience de «visions» qui se manifestent le plus souvent par l’impression d’une présence. «Les hallucinations sont parfois plaisantes, comme cette dame qui pensait que des enfants venaient tous les jours prendre le goûter chez elle, mais elles peuvent aussi être plus problématiques. Certains patients prennent leur reflet dans le miroir pour quelqu’un d’autre ou un proche pour un étranger», précise le Pr Gilles Allali, directeur du Centre Leenaards de la mémoire au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
Selon le spécialiste, l’histoire de Robin Williams serait représentative de ce que vivent encore beaucoup de patients. Décédé par suicide en 2014, l’acteur américain avait été traité pour différents symptômes psychiatriques, sans que les médecins n’identifient la MCL. Sa femme, Susan Schneider Williams, a publié un témoignage dans la revue scientifique Neurology, intitulé «Le terroriste dans le cerveau de mon mari», pour évoquer les derniers mois de vie de son mari et tenter d’attirer l’attention sur cette maladie. «Les patients atteints de MCL sont particulièrement sensibles aux neuroleptiques, habituellement prescrits aux patients atteints de troubles psychiatriques avec des hallucinations, rappelle le Pr Allali. Comme l’a souvent dit Susan Schneider Williams, ce n’est pas la dépression qui a tué son mari mais bien la MCL et l’errance diagnostique qu’elle a provoquée.»
Un robot pour faciliter le diagnostic
Un des deux Prix Leenaards pour la recherche biomédicale translationnelle 2024 a récompensé un projet consacré à la maladie à corps de Lewy, mené par le Pr Gilles Allali, directeur du Centre Leenaards de la mémoire au CHUV, et le Dr Fosco Bernasconi, neuroscientifique au Laboratoire de neurosciences cognitives de l’École polytechnique fédérale de Lausanne. Le système robotique qu’ils ont développé est capable de «réveiller» les hallucinations visuelles dormantes chez les patients atteints de MCL. Ces visions sont un symptôme clé pour la différencier d’autres maladies neurodégénératives et les détecter tôt limiterait l’errance diagnostique.
Ce système permet au patient de diriger, grâce à un joystick, un doigt mécanique qui lui touche le dos de manière synchrone. Après un court temps d’entraînement, un léger décalage est introduit entre les deux gestes. «Ce décalage entre l’action du patient et la réponse du robot peut faire naître chez certaines personnes une sensation de présence dans leur dos, alors même qu’il n’y a personne, a expliqué le Dr Bernasconi dans un communiqué. Ce sentiment de présence figure probablement parmi l’un des premiers signes d’hallucinations qui peuvent apparaître lors de la maladie; il est donc crucial de comprendre leur rôle dans ce déclin cognitif.»
Le projet prévoit de suivre sur plusieurs années des volontaires sains et des personnes à risque de développer la MCL afin de valider la pertinence de ce robot dans le diagnostic de la maladie et de mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre lors des hallucinations.
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Paru dans Le Matin Dimanche le 09/06/2024
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