Les démences affectent toutes les dimensions de notre mémoire

Dernière mise à jour 15/12/17 | Article
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Avec l’âge, les excès ou les aléas de la vie, notre mémoire peut subir différentes pathologies. Bien les connaître permet une prise en charge plus précoce et spécifique.

De quoi on parle

Le cofondateur et guitariste du groupe AC/DC Malcolm Young est décédé le 18 novembre dernier à l’âge de 64 ans. Considéré comme la «force motrice» du groupe, le musicien australien souffrait de démence depuis plusieurs années. En 2014, il mettait fin à sa carrière en évoquant des raisons de santé. Le critique musical Bernard Zuel écrivait alors: «Il a totalement perdu la mémoire immédiate». Un terme qui laisse toutefois sceptique les spécialistes de la mémoire.

Au fil des ans, notre mémoire capte, enregistre et stocke la trace des événements qui structurent notre vie. Mécanisme complexe, la mémorisation d’un épisode se fait en plusieurs étapes. Tout d’abord, en une fraction de seconde, nous percevons un son, un mot, un objet sur lequel notre regard se pose. Ensuite, notre mémoire à court terme nous permet de retenir des données dans un ordre bien précis. Finalement, notre mémoire à long terme conserve certains événements pour une durée potentiellement illimitée.

D’après le critique musical Bernard Zuel, c’est en particulier la mémoire «immédiate» qui semblait faire défaut au musicien Malcolm Young. Une déclaration à ne pas prendre à la lettre, selon les spécialistes. «Il y a souvent un mélange au niveau de la nomenclature, remarque le Pr Christophe Büla, chef du service de gériatrie au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Dans ce cas, on veut sans doute faire référence à la mémoire à court terme». Dotée d’une grande précision, la mémoire à court terme, associée à la mémoire de travail, nous permet de garder le fil du quotidien. Grâce à elle, nous sommes ainsi capables de répéter un numéro de téléphone, nous souvenir du grammage indiqué sur la recette que nous venons de lire ou tout simplement suivre une discussion. Cependant, sa durée d’action est limitée et éphémère (de l’ordre d’une trentaine de secondes). Elle est toutefois d’une excellente fiabilité et permet de préserver l’information de manière efficace.

Un problème plus large

Peut-on mourir d’une démence?

En soi, une démence n’est pas mortelle. Mais les complications qui y sont liées peuvent être fatales. «La plupart des démences sont accompagnées de problèmes de déglutition, note le Pr Christophe Büla, chef du service de gériatrie au CHUV. Les personnes ont tendance à avaler de travers et à développer des pneumonies d’aspiration à répétition. Tôt ou tard, ce sont ces infections qui finissent par entraîner le décès». Lorsque la démence atteint un stade très avancé, les personnes qui en souffrent ont également tendance à moins bien s’alimenter ou à faire des chutes qui peuvent être responsables d’hémorragies. «Mais la plupart du temps, une personne atteinte de démence traverse une longue période de déclin avant d’être emportée, souvent par une infection finale».

Pour le Pr Jean-François Démonet, neurologue et directeur du Centre Leenaards de la Mémoire au CHUV, il est pourtant impossible que Malcolm Young ait uniquement été touché au niveau de sa mémoire à court terme. «La démence, par définition, concerne une dégradation générale de la mémoire». C’est donc probablement le ressenti des proches du guitariste d’AC/DC qui a suscité une telle déclaration. «Quand une démence commence à se développer, les gens se plaignent souvent d’une difficulté à enregistrer les événements de la vie quotidienne, ajoute le spécialiste. En temps normal, cet épisode s’inscrit dans la mémoire. Mais avec une démence, il faut énormément se concentrer pour s’en rappeler». Les proches du musicien ont sans doute été marqués par ses difficultés à se souvenir des événements récents, d’où l’emploi du terme de mémoire «immédiate».

Des pathologies multiples

Le type d’atteinte peut cependant varier en fonction de la pathologie démentielle. «Avec la maladie d’Alzheimer, par exemple, on peut initialement rester capable de répéter un numéro de téléphone, constate le Pr Büla. En revanche, on ne peut pas le mettre en stock, et on est donc incapable de mémoriser un événement récent. Une personne atteinte d’un autre type de démence, par exemple celle liée à la maladie de Parkinson, peut par contre stocker une information mais aura de la peine à aller la rechercher sans qu’on lui donne un indice».

Une consommation abusive d’alcool peut également entraîner des troubles très sévères de la mémoire épisodique. Le syndrome de Korsakoff, notamment, amène les personnes touchées à oublier et transformer des pans entiers de leurs vies, tout en effaçant au fur et à mesure les nouvelles informations qui se présentent à eux.

Selon les médias australiens, c’est cependant un accident cardio-vasculaire (AVC) qui serait à l’origine des troubles de mémoire de Malcolm Young. Un saignement cérébral peut en effet provoquer des lésions irréversibles. «Certaines personnes subissent parfois des petits AVC subtils, subits et répétés, qu’on ne remarque pas forcément mais qui altèrent au fur et à mesure les capacités cognitives, détaille le Pr Büla. Ces petites lésions sont souvent cumulées à une maladie dégénérative. Il peut également arriver qu’un important saignement dans une zone stratégique de la mémoire, comme l’hippocampe ou les amygdales (voir infographie), provoque des pertes irréversibles».

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Des biomarqueurs pour stopper la maladie

A l’heure actuelle, il n’existe aucun traitement capable de guérir une démence. En revanche, des techniques permettent de détecter la maladie de manière précoce. «Certaines études montrent qu’il y a parfois des indicateurs de démence dans le cerveau d’une personne vingt ans avant que la maladie ne montre de signes cliniques, relève le Pr Démonet. Or, nous sommes aujourd’hui capables de détecter certains de ces signes à l’aide de biomarqueurs. Il s’agit par exemple d’analyser le liquide céphalo-rachidien ou l’imagerie cérébrale d’un patient».

Pour le spécialiste, il ne fait donc aucun doute que les solutions thérapeutiques du futur passeront par la prévention. En détectant le plus tôt possible la probabilité de développer une maladie démentielle, il sera possible de la prévenir complètement ou au moins de stopper son évolution à un stade précoce. D’ici-là, il reste important d’agir au préalable sur les facteurs de risque (dont l’hypertension, le surplus de cholestérol, l’inactivité, l’obésité ou encore la consommation de tabac). En identifiant la maladie assez tôt, cela permet également à la personne et à ses proches de planifier l’évolution de la maladie et d’organiser l’aide nécessaire.

Troubles de la mémoire, quand faut-il s’inquiéter?*

Il existe les oublis «normaux» de tous les jours, conséquence de notre fatigue, stress, surcharge mentale ou manque d’intérêt. Il ne faut pas les confondre avec les dysfonctionnements qui sont le fait de pathologies latentes. Quels sont les signes nécessitant une consultation médicale?

  • Le caractère évolutif: une aggravation des troubles au fil des mois doit alerter.
  • L’inquiétude de l’entourage: les proches, pour autant qu’ils soient bienveillants et de bonne volonté, sont souvent de meilleurs juges pour observer les éventuels dysfonctionnements de la mémoire.
  • Des plages de vie «entièrement blanches»: s’il ne reste aucun souvenir de certains événements, cela doit inquiéter.
  • Perte des repères dans des lieux connus.
  • Mots introuvables: avec l’âge, les noms propres donnent souvent du fil à retordre, ce qui n’est pas forcément inquiétant. En revanche, il est plus anormal d’oublier les noms communs du quotidien.
  • Pertes importantes d’objets, d’argent, etc. qui se répètent.
  • Tâches administratives en panne: les troubles de la mémoire peuvent se traduire par des erreurs et confusions rendant tout calcul ou travail administratif laborieux.

* Recommandations issues du livre J’ai envie de comprendre la mémoire et ses troubles, de Laetitia Grimaldi, Jean-François Démonet et Andrea Brioschi Guevara, Ed. Planète Santé, 2015.

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Paru dans Le Matin Dimanche du 03/12/2017.

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