Des biomarqueurs prouvent la réalité d’une sensibilité au gluten
De quoi on parle
La maladie cœliaque, ou intolérance au gluten, ne toucherait pas plus de 1% de la population. Malgré cela, de plus en plus de personnes consultent pour des troubles digestifs chroniques, et beaucoup rapportent se sentir mieux lorsqu’elles écartent le blé de leur alimentation. Pour autant la sensibilité non-cœliaque au gluten est encore mal comprise, et certains patients ont parfois du mal à être pris au sérieux par leur médecin. Pour la première fois, des chercheurs ont mis en évidence des modifications biologiques chez ces sensibles au gluten. Peut-être un premier pas vers une meilleure reconnaissance de cette pathologie.
Des courts de tennis aux plateaux télé, on ne compte plus les personnalités qui font l’apologie du «sans gluten». Et le message est plutôt incitatif: bannir le gluten signerait la fin des ennuis gastro-intestinaux, mais aurait aussi des bénéfices sur toute une palette de troubles, des douleurs articulaires, à la dépression en passant par la fatigue chronique, ou les sautes d’humeur. De quoi se demander si finalement il ne serait pas temps d’exclure pain, pâtes, pizza et autres sources de blé pour retrouver la forme. Parmi ceux qui sautent le pas, beaucoup rapportent se sentir effectivement mieux.
Mais les médecins sont parfois dépourvus face à ces patients, car si l’intolérance au gluten et l’allergie au blé sont des diagnostics médicaux bien établis, la sensibilité reste, elle, controversée. Les travaux de chercheurs américains de l’Université Columbia pourraient changer la donne. Dans un article, publié dans la revue Gut, ils expliquent avoir mis en évidence des modifications biologiques chez des patients sensibles au gluten mais non-cœliaques. Une première.
La cœliaque est une maladie auto-immune aujourd’hui bien connue et diagnostiquée en recherchant des anticorps spécifiques, puis en réalisant une biopsie intestinale. «Cela permet de voir si les villosités présentes sur la paroi intestinale sont altérées», explique Michel Maillard, médecin adjoint au service de gastro-hépatologie du CHUV. L’allergie au blé est, elle, le plus souvent mise en évidence via des tests cutanés, ou un dosage sanguin d’immunoglobulines E. Pour la sensibilité au gluten, en revanche, aucun test n’est disponible. Les premiers cas ont pourtant été répertoriés en 1978, mais, depuis, la maladie continue de diviser la communauté scientifique et médicale.
Plusieurs études ont été menées sur des modèles animaux, ou in vitro, permettant d’avancer quelques hypothèses. Mais les travaux menés chez l’homme se sont avérés moins concluants. «Les protocoles n’étaient pas toujours rigoureux ou les patients inclus n’étaient pas correctement choisis, relève Michel Maillard qui souligne la qualité des travaux récemment publiés dans Gut. Les auteurs sont des spécialistes reconnus de la sensibilité au gluten non-cœliaque, et leur étude apporte un vrai début de réponse.»
Une consultation diététique s’impose
Si les patients cœliaques doivent exclure de manière stricte et définitive le gluten, il n’en va pas de même pour les personnes sensibles au gluten. «Il a en effet été observé que certains patients supportent du gluten en petite quantité. Selon la tolérance individuelle, une réduction des apports peut donc suffire pour éviter les symptômes», précise Sophie Gorin-Gottraux, diététicienne à l’Hôpital des enfants des HUG.
«Le régime sans gluten n’est pas anodin, insiste Michel Maillard, gastro-entérologue au CHUV. Pourtant, beaucoup de patients passent d’eux-mêmes à ce régime, parfois plusieurs mois avant de venir consulter.» Intolérants ou sensibles au gluten, un suivi diététique permet d’éviter carences et déséquilibres alimentaires. Les produits sans gluten contiennent souvent plus de sucres et de graisses, et peuvent amener à une augmentation de la ration calorique, avec le risque d’une prise de poids. Pour ceux qui seraient tentés par une éviction des FODMAPS, là encore, la consultation s’impose. «Ce régime est très restrictif, nous le faisons généralement en dernière intention et après des investigations médicales, prévient Emilie Bourgeois, diététicienne des Etablissements hospitaliers du Nord vaudois. Ce ne sont jamais tous les FODMAPs qui posent problème mais certains sucres, certains aliments et certaines quantités. D’où l’importance de bénéficier d’un suivi diététique spécialisé.»
Pour parvenir à leurs fins les chercheurs ont comparé différentes variables biologiques chez des personnes en bonne santé, des patients atteints de maladie cœliaque et des personnes présentant une sensibilité au gluten. Les résultats indiquent que plusieurs paramètres sont significativement différents chez ces dernières. En particulier, lors de sensibilité au gluten, le taux de CD 14 soluble plus élevé. Cette protéine est spécifique de certains globules blancs, les monocytes, qui sont responsables de la réponse immunitaire immédiate. «Cela suggère une activation du système immunitaire inné, détaille François Spertini, médecin-chef du service d’immunologie et allergie au CHUV. C’est un mécanisme totalement différent de la maladie cœliaque, où c’est l’immunité acquise qui est mise en jeu.»
L’étude met également en évidence une augmentation de la protéine FABP2 (fatty acid-binding protein 2) qui atteste d’une atteinte des cellules de l’épithélium intestinal. «Mais certains de ces marqueurs sont aussi retrouvés chez les malades cœliaques, modère Michel Maillard. On ne peut donc pas imaginer un test spécifique sur la base de ces résultats. Pour autant, cela pourrait indiquer qu’il y a peut-être un spectre de troubles, de la coeliaquie à la sensibilité, modulés par les prédispositions et l’environnement de chacun.»
Les FODMAPS en ligne de mire
Mais le gluten est-il bien le responsable de ces modifications biologiques et des symptômes associés? «Le blé ne contient pas que du gluten, mais comme celui-ci est responsable de la maladie cœliaque, il est devenu une cible majeure. Pourtant d’autres composants du blé sont connus pour créer des intolérances, comme les fructanes», commente François Spertini.
Ces sucres appartiennent à la famille des FODMAPs (fermentable oligo-, di- and mono-saccharides and polyols). Un acronyme qui regroupe des sucres peu absorbés et hautement fermentables, présents dans certains fruits ou légumes, dans le lait, le blé, le seigle et l’orge, ou encore les édulcorants. Dans les faits, parmi ceux qui s’estiment sensibles au gluten, beaucoup retirent un bénéfice d’une réduction de leurs apports en FODMAPs. Pas question pour autant d’opter pour un régime restrictif sur un auto-diagnostic. «La maladie cœliaque nécessite un suivi particulier pour éviter des complications, il est donc nécessaire de consulter et de faire les tests quand il y a une suspicion», conclut Michel Maillard.
L’espoir des polymères séquestrant
Plusieurs pistes de recherche sont actuellement explorées pour mettre au point des traitements contre la maladie cœliaque. Lors de la digestion, le gluten est fractionné en de nombreux peptides. Parmi ces molécules, la gliadine qui déclenche la réaction du système immunitaire, en passant la barrière intestinale. Les espoirs de traitement reposent sur des enzymes pouvant dégrader complètement le gluten, ou des agents modulateurs de la perméabilité intestinale. Une autre approche, développée à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich par l’équipe de Jean-Christophe Leroux, utilise des polymères capables de séquestrer la gliadine, avant d’être excrétés. Ces polymères ont démontré leur efficacité in vitro. Leur utilisation par voie orale fait actuellement l’objet d’un essai clinique.
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