L’Helicobacter pylori: une bactérie surprenante mais pas sans danger
Beaucoup d’entre nous ignorent être porteurs d’Helicobacter pylori. Si environ 10 à 20% de la population suisse, tous âges confondus, est concernée (contre 70% dans les pays émergents), seules 10 à 15% de ces personnes développent, au cours de leur vie, des symptômes liés à la présence de la bactérie dans leur organisme. En forme d’hélice, dotée de flagelles, elle se loge, tel un parasite, dans les parois de l’estomac. Grâce à la sécrétion d’une enzyme (appelée «uréase»), elle parvient à se créer une petite coque au PH neutre la protégeant du milieu très acide de l’estomac, où les autres bactéries sont incapables de survivre (lire encadré).
Des dommages sérieux
L’Helicobacter pylori peut causer différents dommages à l’estomac, à commencer par la gastrite. Il s’agit d’une inflammation de la couche superficielle de l’estomac. D’abord aiguë, cette affection peut devenir chronique et aboutir à la destruction de l’épithélium (tissu tapissant l’organe). Lorsqu’elle se complique, la gastrite évolue en ulcère, maladie qui peut toucher les cinq couches de l’estomac et entraîner une hémorragie digestive ou une perforation intestinale. Contrairement aux idées reçues, l’ulcère n’est pas causé par le stress de la vie de tous les jours, mais par d’autres facteurs, dont la bactérie. Dans les cas les plus sévères, l’infection peut conduire à un cancer de l’estomac, la bactérie étant, au même titre que le tabac, cancérigène, confirme le Pr Jean-Louis Frossard, médecin-chef du Service de gastro-entérologie et hépatologie des HUG: «80% des personnes ayant un cancer de l’estomac sont porteuses d’Helicobacter pylori.»
Pour passer d’une personne à une autre, l’Helicobacter pylori n’a pas besoin d’intermédiaire. Elle se transmet le plus souvent au sein d’une même famille, par voie orofécale, c’est-à-dire par le biais de la salive, des mains et des selles. On l’acquiert généralement, et sans le savoir, dans la petite enfance. Pendant des années, elle peut passer inaperçue et ne provoquer aucun symptôme. Mais cette cohabitation sereine ne dure pas toujours. En effet, l’Helicobacter pylori peut soudain devenir invasive, causant alors des problèmes potentiellement sérieux chez son hôte. Et pour cause, l’enzyme qu’elle sécrète produit de l’ammoniac, une substance toxique qui attaque les muqueuses, et la bactérie produit en plus des toxines destructrices.
Un inconfort digestif
L’infection peut se manifester par des troubles digestifs qu’on rassemble sous le terme savant de «dyspepsie». Les personnes concernées évoquent une sensation de douleur ou d’inconfort dans la partie supérieure de l’abdomen, sensation qui a la particularité de diminuer après les repas. Elle peut être décrite comme une indigestion, un sentiment de satiété précoce, de plénitude, des ballonnements. Des brûlures d’estomac peuvent également être ressenties. Pour faire la lumière sur l’origine de ces symptômes et éviter des complications, il s’agit de rechercher Helicobacter pylori. Elle est en effet impliquée dans la gastrite, l’ulcère ou le cancer de l’estomac (lire encadré), notamment. D’où l’importance du dépistage, note le Pr Jean-Louis Frossard, médecin-chef du Service de gastro-entérologie et hépatologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), qui rappelle: «Le taux de mortalité lié à l’hémorragie d’un ulcère demeure en 2023 d’environ 10%.» La présence d’un ulcère de l’estomac ou du duodénum (première partie de l’intestin), ou encore d’un cancer (estomac ou lymphome de Malt) justifie aussi de rechercher la bactérie.
L’existence de facteurs de risque est également une indication. «Les anti-inflammatoires que l’on prend pour soulager un mal de dos, une entorse ou des douleurs liées à une arthrose ou à une arthrite peuvent conduire à une rupture d’équilibre entraînant une prolifération de la bactérie. C’est le cas aussi des chimiothérapies et des traitements immunologiques», explique le Dr Michel Maillard, spécialiste en gastro-entérologie au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et au Centre des maladies digestives à Lausanne. Le Pr Frossard confirme: «Dans 85% des cas d’ulcère, soit on retrouve la bactérie, soit on constate la prise d’anti-inflammatoires, parfois les deux combinés.» Des antécédents familiaux de cancers de l’estomac, un déficit de globules rouges (carence en fer) ou une carence inexpliquée en vitamine B12 sont d’autres facteurs de risque connus. «On doit aussi tenir compte du souhait du patient. Certains préfèrent faire ce dépistage pour écarter cette éventualité», note le professeur genevois.
Comment savoir?
Il existe différents moyens de mettre en évidence la présence d’Helicobacter pylori. Le choix va dépendre de la situation médicale du patient. Chez les moins de 50 ans, on peut recourir à des méthodes non invasives comme le test respiratoire à l’urée, la recherche d’antigènes dans les selles ou dans la salive. Des examens plus approfondis comme la gastroscopie peuvent aussi être réalisés et permettre, par la même occasion, d’évaluer les éventuels dommages dans l’estomac.
Si l’infection est confirmée, un traitement est mis en place afin d’éradiquer la bactérie et prévenir les risques de complications. La prise de plusieurs antibiotiques durant dix à quinze jours permet généralement de se soigner.
Une bactérie et un prix Nobel
Les scientifiques ont longtemps cru que les ulcères étaient dus à une production d’acide gastrique trop importante au printemps et en automne… jusqu’à ce que John Robin Warren et Barry Marshall découvrent l’Helicobacter pylori et son rôle dans les problèmes gastriques et les ulcères de l’estomac. Une découverte qui a valu aux deux chercheurs australiens le Prix Nobel de physiologie ou médecine en 2005. «C’est un très bon exemple de ce qu’est la médecine», commente le Pr Jean-Louis Frossard des HUG. Les chercheurs ont procédé à des prélèvements gastriques et des mises en culture, d’abord sans succès. C’est après un week-end de Pâques prolongé qu’ils ont, par hasard, retrouvé la bactérie dans des boîtes de Petri, convaincus alors de son rôle dans ces troubles gastriques. Moqué par la communauté médicale, qui mettait en doute la possibilité que des bactéries puissent vivre dans un milieu aussi acide, Marshall a avalé le contenu de cette culture. Quelques jours plus tard, il a développé un ulcère, qui a pu être soigné grâce à des antibiotiques. La présence d’Helicobacter pylori a été confirmée et leur hypothèse démontrée.
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Paru dans Le Matin Dimanche le 23/04/2023
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